Les dessous chics de la chanson

L’inspiration du chanteur ©CathLaugier

Voici un ouvrage qui ne paie pas de mine, à la couverture austère, paru chez un petit éditeur sous un titre un peu passe-partout : Grands artistes et petits secrets. Son autrice ? La linguiste-journaliste-scénariste-romancière et documentariste Gaby Liaud, dont on a pu apprécier naguère l’analyse savante des trouvailles poétiques chez Aya Nakamura dans son essai Aïe aïe aïe Aya, ou découvrir les aspects méconnus de Plastic Bertrand grâce à son film-portrait Le Plastic est fantastique.

Cet opuscule pas bien épais (180 pages) est pourtant une immense source de bonheur pour tout amateur de chansons qui se respecte. Au départ, une question simple, que nous nous sommes tous déjà posée un jour ou l’autre : « Mais où vont-ils chercher tout cela ? ». C’est pour résoudre cette énigme que Gaby Liaud s’est lancée dans une enquête de longue haleine, cherchant à percer le secret de fabrication de ces chansons qui ont fait, font et feront le bonheur de millions de gens. Durant deux années, elle a ainsi interrogé non seulement des centaines d’auteurs/autrices et compositeurs/compositrices, mais aussi les gens de l’ombre, dont l’apport est moins connu du grand public sans qu’il doive pourtant être sous-estimé, comme les éditeurs et éditrices, ou les producteurs et productrices… Sans oublier évidemment les premiers concernés : les chanteurs et les chantrices.

Le livre nous apprend qu’en réalité, le jardin de Charles Trenet n’était pas extraordinaire !

Le résultat de ce travail de longue haleine s’avère passionnant, pour qui s’intéresse un tant soit peu aux dessous de cet art populaire qu’est la chanson. Explorant pour nous les mystères de l’inspiration, Gaby Liaud y va en effet de son lot de révélations. C’est que la voie qu’empruntent leurs auteurs pour aboutir à la chanson que nous connaissons aujourd’hui peut se révéler parfois tortueuse.

Prenez ainsi une publicité d’un promoteur immobilier de Lille, vantant les mérites de ses pavillons verdoyants, avec sa brochure forcément ensoleillée et son slogan définitif « L’Italie à portée de main ». Savez-vous que c’est ce document qui a guidé Nino Ferrer pour l’écriture de son célébrissime Le Sud ?

Souvenez-vous de même de Ma petite entreprise, d’Alain Bashung. Il y chante : « Qui fait que je bosse / Le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi / De l’aube à l’aube / Une partie de la matinée /Et les vacances abstinence ». Vous apprendrez avec surprise que ce tube est en réalité le remake de Le représentant en confitures, une chanson de Pierre Perret, dont le rocker était un fervent admirateur : « Le lundi matin avec Yvonne / Mardi c’est Mélanie le mercredi Momone / Le jeudi c’est avec Hélène le vendredi Suzanne / Samedi Monique et le dimanche avec ma femme ».

Yves Montand se mettant en condition pour interpréter « La bicyclette »

D’autres exemples ? En 1988, à la Chandeleur, Mylène Farmer invita quelques amis pour un traditionnel repas-crêpes. Elle se rendit donc chez son crémier pour y acquérir les ingrédients nécessaires. Alors que ce dernier lui demandait si elle préférait les gros ou les petits œufs, la chanteuse s’entendit lui répondre : « Qu’importe, pourvu qu’ils soient douze ! ». De retour chez elle, elle n’eut plus qu’à modifier légèrement sa phrase pour ce qui allait devenir un de ses plus grands succès.

Quant à Adamo, que son grand cœur avait poussé à accepter de chanter une publicité radiophonique pour l’opération caritative mise sur pied par une association venant en aide aux personnes démunies durant l’hiver, il fut bien inspiré de reprendre et d’étoffer la mélodie qu’il avait écrite, changeant juste lui aussi quelques paroles. Je vous laisse deviner en quoi s’est transformé son hymne « Tombola Neige / Pour qu’ils n’aient pas froid ce soir »…

Le livre de Gaby Liaud regorge de pareilles anecdotes, toutes plus étonnantes les unes que les autres. Elle dévoile ainsi également les petites manies d’écriture de certains (Didier Barbelivien qui, à sa grande époque, n’écrivait que de 6 h à 6h30 du matin, afin d’avoir tout le temps pour ensuite courir à la SACEM déposer ses 10 chansons du jour) ou le perfectionnisme extrême d’autres (Claude Nougaro qui s’était mis à la boxe pour vivre pleinement ses Quatre boules de cuir, Jacques Dutronc et sa serre de cactus, Renaud s’adonnant au pastis pour interpréter au mieux son Pochtron…).

Je n’en dirai pas davantage, ne voulant en aucun cas gâcher le plaisir et la surprise des futurs lecteurs. Grands artistes et petits secrets est un maître-achat. Qu’on se le dise !

Gaby Liaud, Grands artistes et petits secrets, April Fish Edition, 2024. Charlebois, lui, n’en fait pas mystère : il n’a pas de secret particulier

« Ordinaire »