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Henri Tachan, 1939-2023

(photo libre de droit, tirée de Wikipedia)

(photo libre de droit, tirée de Wikipedia)

Ça fait tellement d’années qu’à rebours de ses collègues il a pris sa retraite, déserté toutes scènes, que Tachan ne manquera pas plus au paysage actuel de la chanson. N’empêche que nos cœurs saignent d’abondance, que c’en est définitivement fini de ce trublion de la chanson, de cet artiste d’exception. Que quand on l’a connu, à plus forte raison en concert, quand dans les premiers rangs on a recueilli plus qu’il n’en faut ses postillons, vu briller dans ses yeux tant sa tendresse que sa rage, on en est marqué à jamais. Tachan fut un des plus grands et la mémoire collective ne s’en souvient hélas pas, ou très peu. Les cerbères de la pensée unique, les gardiens de l’ordre, l’ont tenu jusqu’au bout à bonne distance de toute reconnaissance publique. « La quéquette à Tarzan, je me l’imaginais / S’élançant fièrement entre mes petites cannes / La quéquette à Tarzan, faut dire que je l’enviais / Proportionnellement au beau cul rond de Jane » : on a célébré le départ de Jane hier, et on tient Tachan-Tarzan à distance de tout applaudissement.

On a donné à l’Henri le nom de tas de fauves, c’est dire si chasseurs et beaufs pourront arroser ce jour de leur grosse vinasse, se vengeant de l’auteur d’une chanson assassine, tirer La Chasse, s’entre-tuer même en mesurant qui pissera et tirera le plus loin : Tachan est mort, parti rejoindre ses potes Cabu, Wolinski, Reiser, Siné et Gébé, qui l’ont tous dessiné. Et le Grand Jacques qui dit un jour de lui : « Mesdames, le lion est lâché ! »

A coté de son œuvre, la chanson d’aujourd’hui fait pâle figure, comme anémiée. Lui l’a osé, la chanson, a fait de son art une arme aussi pacifique que redoutable, toujours révoltée. Il a tout osé et l’a payé, on l’a censuré comme aucun autre avant lui : « Elle est le cerbère des royaumes / L’hydre à cent têtes et le pogrom / La main de fer et le bâillon / Qui étouffent les révolutions / La censure, la censure ».

Tachan n’a finalement d’équivalent que Gaston Couté : la sagesse, l’insoumission, le refus de la bêtise, la violence de vers toujours d’une brûlante et brillante actualité. Lui aussi banni, interdit, absent. Plus un seul disque n’existe de Tachan, même son nom s’estompe. Mais il renaîtra : déjà repris par Yves Jamait et par Jean-Marc Héran, il connaîtra bien un jour le regain, ou c’est à désespérer. Souvenez-vous de ses tubes pas creux : La Table habituelleLe Grand méchant loup, Les Z’hommes, L’Amour et l’amitié, On est tous des putes, La Durlutte, Telle est la télé, J’ai pas vécu, La Marche funèbre des enfants morts dans l’année… Et cet hymne à la vie qu’est « Fais une pipe à pépé / Avant qu’il ne la casse / Une p’tite langue à mémé / Avant qu’elle ne trépasse… »

La chanson n’est désormais bien souvent que du vent, lui fut tempête dans nos cerveaux, quasi cyclone dans le ciel bien trop calme de ces refrains interchangeables d’un répertoire qui ronronne. Comme il le dit, le chante, Quoi de plus redoutable qu’un pet ? Tachan fut agréable car nécessaire flatulence. J’aime votre odeur, monsieur Tachan, j’aime ce que vous êtes, ce que vous nous chantez. Ce soir, les larmes de crocodiles sont indécentes car qui aime la chanson, la vraie, ne peut que vous pleurer abondamment : la nappe phréatique ne s’en portera que mieux.

 

« Tarzan » : Image de prévisualisation YouTube

« La Chasse » : Image de prévisualisation YouTube

« Entre l’amour et l’amitié » : Image de prévisualisation YouTube

12 Réponses à Henri Tachan, 1939-2023

  1. Pierre LACOMBE 17 juillet 2023 à 19 h 22 min

    Merci beaucoup Michel pour ton papier ! Parfois, il vaut mieux sortir des sentiers battus et avoir un auditoire intimiste qui apprécie les textes et les compositions de certains artistes.
    A nous de les faire découvrir, connaître et apprécier à juste titre.
    C’est le cas de Henri Tachan.
    Humainement, j’ai eu la chance de le rencontrer et de l’avoir en interview radiophonique ! Du pur bonheur !
    Une chose est sûre, je continuerai à l’écouter aussi souvent que je peux et à le faire découvrir !
    Salut et merci Henri !

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  2. Joào 17 juillet 2023 à 20 h 19 min

    Bel et poignant hommage. Henri le tendre, le drôle et le rageux. Moi j’adore « Sheherazade »

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  3. Nadine Secheresse 17 juillet 2023 à 23 h 45 min

    Bel article, bel hommage, mais très triste de ne pouvoir maintenant qu’écouter ses disques…

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  4. Yves Jamait 18 juillet 2023 à 10 h 15 min

    Henri Tachan né Tachdjian n’est plu…
    Henri chantait : « Ce ne sont pas les morts qui nous font de la peine, mais le chagrin de ceux qui restent… »
    Je suis de ceux qui restent, de ceux qui l’ont écouté et de ceux que ses chansons ont marqué. J’étais allé le voir, dans les années 80, dans un petit théâtre de la banlieue dijonnaise où il avait déposé ses tripes devant le public pourtant peu nombreux que nous formions. Je n’étais jamais allé au Music hall, mais ce soir là, par sa seule présence, il en avait recréé l’ambiance.
    J’ai eu, plus tard, le plaisir de le rencontrer et nous avons partagé la scène pour un spectacle hybride où il venait en ouverture de rideau se raconter et répondre aux questions qui lui étaient posées et, en deuxième partie, nous venions interpréter des chansons de son répertoire, Samuel Garcia, Didier Grebot et moi. Je sais qu’il a aimé ce spectacle et j’ai eu un réel plaisir et une fierté à le chanter. Et il avait un réel plaisir et une fierté de s’entendre chanter par un autre.
    Chanter… C’était pour lui une souffrance tant le trac le rongeait, mais une fois sur scène il lâchait les chiens. Oh! pas des chiens méchants… il avait d‘ailleurs tout un bestiaire, entre les renardeaux, le parti des p’tits lapins, les petits bourrins, les animaux du zoo de Vincennes, ou encore « sa chienne qui vivait peinarde en somme, jusqu’au jour où elle l’a trouvé à la société protectrice des hommes », tout un bestiaire pour nous révéler nous, les z’hommes qui pissent sur leurs chaussures…
    De temps en temps il me passait un coup de fil, on parlait d’écriture, musique, cinéma… j’aimais bien ces petits moments et la reconnaissance dont il m’honorait ; je sais qu’il était bien parmi les siens ; que Beethoven, Rossini le comblaient et la musique classique en général… il était entouré de tous ceux et celles qu’il aimait.
    Et moi j’ai eu la chance de cette rencontre.
    Et moi je suis de ceux qui restent avec leur chagrin…
    « Les larmes sont comme la musique
    Fleuve qui roule pacifique
    Tout autour autour de la Terre
    Les hommes qui pleurent sont frères
    Les larmes sont internationales
    Quand tu vois un Chinois qui chiale
    Tu causes chinois à ton tour
    Les larmes sont langage d’amour
    Larmes de joie larmes de peine
    Mystérieuses et tièdes fontaines
    Coulez coulez le long des joues
    Le calme et la paix sont au bout
    »
    (extrait de la chanson : « Les larmes »)
    Bravo et merci monsieur Tachan !
    Salut Henri !
    Courage !…

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  5. Nadine Le Roscouet 18 juillet 2023 à 11 h 16 min

    Quel bel hommage Michel.
    Heureusement que les amoureux de la belle chanson française comme toi sont aussi de beaux écrivains pour mettre en avant ces artistes dont on ne parle pas dans les médias.
    Heureusement…
    Pensée pour Mr Tachan

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  6. COCHAT 18 juillet 2023 à 14 h 05 min

    Bonjour,
    Je pleure en écoutant ses chansons, en me plongeant dans son regard. Il a rejoint Mozart, Schubert, Dino Lipatti, Victor Hugo… pour faire plus belle la tablée et nous on est là, la main serrée sur le mouchoir. Que le succès est une valeur dévoyée. Combien ont refusé jusqu’au bout ses trompettes ? Entre l’amour et l’amitié Henri je t’aime. A l’image d’un Leprest tes pépites resteront réservées à si peu. Yves je t’ai vu tant de fois et je n’ai pas vu cet hommage que tu lui as rendu ! J’espère qu’il trouvera son Romain Didier. Merci à tous de partager ce moment

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  7. JARRY 18 juillet 2023 à 17 h 40 min

    Une amie Facebook vient de me permettre de découvrir ce quotidien et de lire ce bel hommage à Henri Tachan que j’ai eu le plaisir de voir en concert il y a bien longtemps !… J’ai malheureusement perdu mes vieux 33 tours…
    J’ai pris plaisir à réentendre ta voix et à écouter tes textes que je garderai en mémoire.
    Adieu Henri !

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  8. Patricia 18 juillet 2023 à 22 h 09 min

    Avec ce grand artiste ,c’est une part de ma jeunesse tourmentée et révoltée qui disparaît. Ce monde, déjà évanoui dont tu nous parlais si bien ,grimace aujourd’hui devant l’horreur que nous font vivre les puissants, nos ennemis de toujours. J’aurais aimé recueillir tes mots acerbes et superbes à propos de cette époque barbare et si prosaïque.
    Merci l’artiste d’avoir fait rire tant ma mère avec les « zizis » et de m’avoir bouleversée par plus d’un titre…

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  9. Véronique 18 juillet 2023 à 22 h 58 min

    Alors là, j’ai du mal à y croire ! Henri Tachan, c’est mon enfance, ma famille qui chante, des textes magnifiques, poétiques, tendres, engagés. C’est la première fois que je pleure la disparition d’un artiste… J’écouterai encore et toujours…

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  10. François MARIE 22 juillet 2023 à 16 h 24 min

    C’est avec quelques jours de retard que j’apprends la mort d’Henri Tachan. Le 16 juillet, la date de naissance de mon père, le même jour qu’une autre combattante de la vie, Jane Birkin. Tachan est né quasiment le jour de la déclaration de guerre. Il a vécu en guerre contre tout ce qui mérite d’être combattu, armé de mots et de colère et de tendresse et de musique. J’ai chanté « la chasse » quand j’étais adolescent, lors d’un cam d’ados devant des gamins médusés et ravis. Depuis, je l’écoute régulièrement, comme une hygiène, un traitement indispensable pour vivre et continuer, comme j’écoute Ferré, autre potion de poésie. Des chansons comme « le lit » ou « un piano », me font un bien fou et me font remonter la sensibilité au bord des lèvres. « Mozart, Schubert et Rossini » me procure une joie intense et folle. Merci Henri, merci merci merci !

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  11. Catherine Laugier 22 juillet 2023 à 20 h 12 min

    C’est avec cette chanson que j’ai découvert Tachan « Et dans sa main, il y avait un pourboire ». « la table habituelle », chanson autobiographique (1969)
    https://www.youtube.com/watch?v=aQFqTPCjUAs

    Et puis plus tard Mozart, Beethoven, Schubert et Rossini (1975)
    https://www.youtube.com/watch?v=XHzkYWbjSfA

    Parce que Tachan, c’était « Côté cœur, côté cul ». Du nom d’une de ses chansons de 1996

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  12. Verlhac 23 juillet 2023 à 10 h 17 min

    Bonjour
    La chanson Française est en deuil. Comme un choc. Les artistes nous accompagnent même si les médias ne les passent plus ou presque.
    Tachan est parti et c’est d’un seul coup tous mes souvenirs qui ressurgissent… Ceux du pensionnat, ceux politiques et tant de autres du haut de mes 14 ans… J’ en ai 63 a ce jour… Des chanteurs viennent vous toucher par leur humanité, leur propre histoire, Leurs combats.
    D’un seul coup, je devenais plus intelligente, je me tournais vers les autres… C’ était la vie qui entrait en moi. Les mots de Tachan comme ceux, d’ autres artistes de cette époque, un sens à mes maux.
    Triste face à cette nouvelle. Il est parti sur l’ autre rive… Alors Avignon aura un autre visage accompagnée par ses textes comme lorsque je vais en Belgique où plane la grande silhouette de Brel.
    Pierre Perret a raison, Tachan est parti nous laissant ses textes, sa voix et cette rage de vivre dans un monde si peu rempli de espoir… Voilà juste quelques mots pour dire que Tachan vit et continuera de vivre en moi.
    Amicales pensées.

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