Benjamin Biolay, à claire vie
Avec Biolay ça a toujours été pour moi une relation difficile.
Je m’apprêtais donc à détester ce nouveau disque, à l’écoute des deux premiers titres, qui m’évoquaient plus un tintamarre brouillé de fête foraine qu’une quelconque semaine sainte, malgré le titre en latin de la première chanson « Sans le latin, sans le latin, la messe nous emmerde », air connu. Ça tombe bien, les fastes religieux et moi, ça fait deux.
J’ai quand même tendu l’oreille à Rends l’amour, qui malgré son refrain horripilant, voulu pour être ludique, cache une belle désillusion.
Mais bon, tout change à compter du quatrième titre, le lumineux (facile !) Les lumières de la ville, qui déborde d’une nostalgie mêlée, encore une fois, de désillusion. Des lumières où l’on s’est brulé les yeux, certainement.
C’est un album à aimer pour cette mise à nu de cinquante ans de passion, d’amour, de ruptures, de vie et de mort, avec un hommage discret à Sète, sa ville d’enfance et de prédilection (Saint-Clair, ce n’est pas la plage du Lavandou, mais le mont qui domine Sète).
Pour la variété (sans s) des musiques, du rock désespéré de Petit Chat au slow magique de Saint-Germain, pour la confession sincère d’ (Un)Ravel sur l’atmosphère d’abord vaporeuse électro, pour finir sur le piano, l’orgue et le battement cardiaque et doux de la batterie, dans une écriture renversante, « J’savais même pas qu’on pouvait toucher la peau des gens partout / Que sur la jugulaire, on peut déposer des baisers doux / Et comment dans l’artère, on perd peu à peu le pouls », merci Biolay, merci Ravel, « Ainsi va la vie ».
Pour l’énergie inhabituelle de la voix sur certaines chansons, « J’ai trouvé ça beau, mon amour, de passer la nuit du dernier jour, à rouler des larmes de sel, que tu n’aies pas mis de dentelles », ou dans la flamboyante mélodie pop de Pieds nus sur le sable qui parle pourtant d’un abandon. Même le duo avec Clara Luciani qui me convainc rarement en solo est juste parfait.
Pour les ballades nostalgiques, la voix qui berce : « Pourtant j’ai fait le maximum pour mourir jeune / Pour ne pas mourir en scène dans la lumière jaune ». La voix féminine de Nathy Cabrera ponctuant Mort de joie, qui s’attaque de front à la sensualité : « Encore une fois, encore une fois ». Pour ce titre de transes électroniques, Numéros magiques, satanique, où la voix se noie dans des torpeurs vénéneuses : « Le diable au corps et l’âme en sueur », en grande parenté avec Daho.
Une abondante et inégale production dont j’aurais bien laissé tomber quelques titres, mais qui permettra à tous les auditeurs de bonne volonté de trouver une musique qui leur parle, et de ressentir avec Biolay le même amour pour cette vie de rien qui ment tout l’temps. Même ceux qui aiment une voix bien articulée sur – et non pas dans – une musique richement acoustique, à la mélodie enveloppante, ne pourront qu’être touchés par le message : « La vie c’est bon / Pour quelques-uns / Pour quelques autres ça sert à rien ». Une longue réflexion sur les laissés pour compte, laissés pour morts au bas de la société, au fond des océans. Flux et reflux.
Benjamin Biolay, Saint-Clair, Polydor, 2022. Le site de Benjamin Biolay, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
La tournée « Saint-Clair » débute à Lyon le 5 juillet 2023, sera à Paris le 12 décembre 2023, et se continuera en 2024.
« Et qu en mordant l artère On perd peu à peu le pouls «