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Isabelle Dhordain, 1959-2021

Isabelle Dhordain (photos Anne-Marie Panigada)

Isabelle Dhordain (photo Anne-Marie Panigada)

Journaliste, productrice et critique musicale, voix de la musique sur France Inter (Le Pont des artistes) pendant 25 ans, Isabelle Dhordain est décédée dimanche à l’âge de 62 ans. Serge Hureau évoque son parcours et lui rend hommage.

 

Vous dirigez depuis 1990 le Hall de la Chanson (Centre national du patrimoine de la chanson, des variétés et des musiques actuelles). Vous êtes artiste. Vous avez régulièrement été invité dans les émissions d’Isabelle Dhordain, sur France Inter puis au Triton (salle de concert aux Lilas). Quels traits de caractère retenez-vous de cette productrice et présentatrice de radio ?

Serge HUREAU : Il n’est pas si courant de s’intéresser et de rendre hommage à celles et à ceux qui dans les médias sont de l’autre côté du microphone, en l’occurrence à la radio. La disparition d’Isabelle Dhordain est l’occasion de leur rendre hommage pour leur talent.

Je dirai, tout d’abord, que cette fille de professionnels de la radio (Roland Dhordain, son père, un des concepteurs de la radio moderne et sa mère Édith Lansac, créatrice de magazines sur France Culture) a su tracer son chemin tout en s’appuyant sur cet héritage et ses passions. Elle a su en faire quelque chose de singulier. Fille de… comme on dit, mais pas seulement. L’enfant de la balle a su trouver son ton propre. Et femme engagée qui assumait beaucoup de choses. C’était une voix : un peu rauque, aux propos carrés, un rire communicatif à gorge déployée. Le Pont des artistes, l’émission qu’elle a conduite sur France Inter de 1988 à 2013 lui ressemblait : un ton direct, presque comme à la maison, au café. Avec un côté « franchouillard » dans le bon sens du terme, convivial, presque la radio de papa, et une approche amicale, toujours curieuse des autres. Avec de la musique en direct et une table-ronde pour échanger. Ça n’a pas dû être facile tous les jours pour une femme de s’imposer dans ce milieu. Quitte à passer pour autoritaire. Ce que l’on ne dit pas d’un homme qui a du caractère. Souvenez-vous de l’autre émission musicale à l’époque avec Jean-Louis Foulquier avec qui les relations pouvaient être difficiles.

"Le Pont des artistes", 6 Octobre 2011. Isabelle Dhordain recevait Anne Sylvestre, Gianmaria Testa, Alexis HK, Renan Luce et Benoit Dorémus)

« Le Pont des artistes », 6 Octobre 2011. Isabelle Dhordain recevait Anne Sylvestre, Gianmaria Testa, Alexis HK, Renan Luce et Benoit Dorémus (photo Anne-Marie Panigada)

Trois mille artistes reçus en 25 ans, c’est une belle carte de visite ?

Isabelle Dhordain était dans le repérage et le goût de la scène. Le disque n’est que le volet commercial d’un talent. Elle a lancé des carrières. Travaillant à ses débuts avec des cassettes reçues et fréquentant les lieux de spectacle à la recherche des nouveaux talents. Elle était au courant de tout. Un de ceux qu’elle a remarqué à ses débuts, Vincent Delerm, vient de publier un texte où il salue son art d’inviter des artistes très différents et de réussir cette alchimie de la rencontre. Passionnée qu’elle était par l’art de la chanson. Il suffisait de voir dans son appartement le couloir plein d’étagères de disques et de CD pour s’en convaincre. Elle savait aussi dans ce sens ruer dans les brancards et cultiver une forme d’insolence. Mais les artistes lui ont été fidèles. C’est un signe. Ils l’ont suivie quand elle a présenté une émission télé à partir de 2016 jusqu’en 2019 au Triton, aux Lilas. De Dominique A à Camille, les Négresses Vertes, Benjamin Biolay et tant d’autres.

Vous êtes un spécialiste du patrimoine chanté, dans quelle lignée inscrivez-vous Isabelle Dhordain ?

Ce qui m’intéresse c’est de repérer les filiations. Le pont des artistes s’inscrit dans la suite d’émissions qui ont compté pour le grand public. De 36 chandelles d’hier à Taratata d’aujourd’hui. Le parcours d’Isabelle Dhordain s’inscrit encore dans la grande famille des pionnières, ces femmes qui ont parlé chanson dans les médias grand public, comme Aimée Mortimer, Denise Glaser, Jacqueline Joubert ou Michèle Arnaud. En ces jours je pense aussi à sa compagne, la chanteuse Fabienne Pralon.

Propos recueillis par Robert MIGLIORINI 

A venir: un hommage sur France Inter. Notamment dans l’émission « Côté club » de Laurent Goumarre, ce mardi 23 février 2021, de 22 h à minuit.

A voir, une vidéo enregistrée au Triton en 2016 où Isabelle Dhordain se présente : Image de prévisualisation YouTube

Une réponse à Isabelle Dhordain, 1959-2021

  1. NosEnchanteurs 25 février 2021 à 8 h 55 min

    Lu sur Instagram cet hommage de Vincent Delerm :

    « Je me souviens que j’étais en avance le premier matin de mon stage avec Isabelle Dhordain.
    Je me souviens que je me suis assis sur ce banc en face de la Maison de la Radio et que j’ai pensé que ma vie allait changer.
    Je me souviens que dans les couloirs de France Inter il y avait des portraits de tous les animateurs et que sur le sien Isabelle avait les cheveux longs.
    Je me souviens qu’en arrivant à son bureau elle avait les cheveux courts.
    Je me souviens qu’Isabelle fumait dans son bureau.
    Je me souviens qu’Isabelle écoutait tous les disques qu’elle recevait, y compris les autoproductions.
    Je me souviens que si elle recevait un invité important, elle invitait en même temps quelqu’un d’inconnu en espérant que quelque chose se passe entre eux.
    Je me souviens que c’est arrivé souvent.
    Je me souviens qu’Isabelle me demandait parfois à propos d’un album « T’en penses quoi toi ? », et que si j’aimais elle faisait une grimace de désaccord. Puis qu’elle programmait l’artiste.
    Je me souviens qu’on ne se ressemblait pas avec Isabelle mais qu’on se comprenait bien.
    Je me souviens que certains invités lui disaient « on a fait l’émission de Jean-Louis Foulquier la semaine dernière » et que c’était vraiment une très mauvaise idée de lui dire ça.
    Je me souviens qu’Isabelle disait des choses sur les chanteurs en les appelant par leurs prénoms et que je trouvais ça incroyable d’appeler Véronique Sanson « Véronique ».
    Je me souviens qu’Isabelle disait des choses comme «il faut qu’il fasse attention, il passe plus les portes lui » et que j’ai essayé de m’en souvenir par la suite.
    Je me souviens de l’émission spéciale William Sheller, que c’était fou d’assister à ces répétitions avec le grand orchestre, que j’y repense chaque fois que j’écoute « Moondown » et que c’est la chanson que j’écoute en boucle en écrivant ces mots ce soir.
    Je me souviens que je m’étais promis de ne pas dire à Isabelle que je faisais des chansons.
    Je me souviens du jour où tout a basculé, François Morel m’avait fait passer dans la grande émission du matin d’Inter, et l’après-midi en revenant au bureau, Isabelle m’a dit « j’ai écouté à midi, tu peux te retourner » : mon nom était écrit sur le tableau de programmation de la semaine suivante.
    Je me souviens qu’une autre vie a commencé alors.
    Je me souviens de ma hantise de décevoir Isabelle, comme artiste et comme personne.
    Je me souviens de la table d’interview du Pont des Artistes, des bonnettes de micro, de ce moment où on pouvait enfin boire un peu d’eau pendant qu’un autre invité chantait.
    Je me souviens des questions trop longues d’Isabelle et du fait qu’on avait le temps de réfléchir à deux ou trois réponses différentes au cours de la question.
    Je me souviens qu’Isabelle connaissait vraiment la chanson, la musique et les musiciens, qu’elle savait qui jouait avec qui et que j’ai réalisé par la suite à quel point c’était rare.
    Je me souviens que la chanson préférée d’Isabelle est « Un jour tu verras », je me souviens l’avoir chantée un soir au moment où elle allait faire ses adieux à la radio, et que nous savions tous les deux ce que ça représentait.
    Je me souviens du rire de fumeuse d’Isabelle, et de sa manière d’ajouter « qu’est-ce que t’es con ! ».
    Je me souviens de sa question « Comment va Virginie ? »
    Je me souviens du commentaire d’Isabelle quand j’ai fait un post en décembre 2018 sur la destruction du studio 105.
    Je me souviens avoir pris en photo l’automne dernier le banc sur lequel je m’étais assis le premier matin de mon stage au Pont des Artistes.
    Je me souviens que la vie ayant plus d’imagination que nous, le jour où elle est partie, j’ai posté le matin-même un autre banc cadré exactement de la même façon.
    Je me souviens que je pleure ce soir, que je remercie Isabelle d’avoir été à ce point différente des autres.
    Je me souviens que j’aime Isabelle. »

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