Hélène Martin, 1928-2021
« Je suis de ce pays frontalier entre les mots et la musique. Mais où la musique « qui a sa place unique » donne priorité au verbe et à l’amour du verbe ».
Si je vous dis qu’Hélène Martin reçut, parmi bien d’autres récompenses et par trois fois, en 1961, en 1973 puis en 1980, le Prix de l’Académie du disque Charles-Cros, ça vous dira l’importance de cette artiste, à la fois auteure, compositeur et interprète. Et gourmande de la poésie des autres, qu’elle se mit en voix, remarquablement. Aragon et Giono, avec lesquels elle fut amie, Neruda, Rilke, Villon, Char, Rimbaud, Guillevic, Lucienne Desnoues, Hugo, Seghers, Colette, Queneau, Eluard, Bérimont, Genet (Le condamné à mort, interprétation qui fera dire à Jean Genet à l’adresse d’Hélène Martin : « Chantez-le, tant que vous voudrez et où vous voudrez… grâce à vous, il est rayonnant »), Supervielle, Louise Labé, Soupault et d’autres encore… Philippe Soupault qui dit d’elle, dans l’ouvrage sur Hélène Martin qu’il cosigna en 1974 dans la collection Poésie et chansons chez Seghers : « Le rôle d’Hélène Martin, pour accorder non seulement à la chanson mais à la poésie une audience qu’elles n’auraient pas pu espérer, a été et demeure considérable. Sans elle et quelques-uns, encore trop rares, de ses camarades, jamais la poésie n’aurait été aussi présente. Ceux qui entendent Hélène Martin et savent l’écouter ne sont plus les mêmes après l’avoir rencontrée. Quelle plus belle récompense peut souhaiter une chanteuse ? »
Les « camarades » sont devenus plus rares encore. Francesca doit se sentir bien seule à présent. De nos jours, bien peu de chanteurs font accéder la poésie à nos oreilles, comme si ce n’était plus nécessaire. Les recueils de poésie, aux tirages déjà faméliques, n’ont plus la chance d’être portés à la (re)connaissance, pas l’entremise d’un chanteur, le talent d’une chanteuse.
C’est dire que la disparition d’Hélène Martin nous ramène au passé. Même si, malgré son âge, elle n’a cessé de publier durant plus de cinq décennies. Une vingtaine d’albums entre 1956 et 2008. Et, récemment, chez EPM, tant l’enregistrement public (en CD et DVD) de son récital de 2009 aux Bouffes du Nord qu’une superbe double compilation (L’essentiel de nos vies, 2019).
C’est, comme bien d’autres, dans les cabarets Rive-Gauche, qu’Hélène fait ses débuts, notamment et surtout à La Colombe où elle fut programmée, jusqu’à la fermeture, jusqu’à huit fois par an. Si elle enregistre d’abord chez BAM, elle crée dès 1968 sa propre maison de production, Disques du Cavalier, du nom de là où elle se situait, en Provence. En Provence, parce que c’est le maquis ! Car l’art de Martin et ses refrains militants ne peuvent s’accorder avec la logique d’un métier dont elle est dès ses débuts à la marge. C’est donc une femme farouchement indépendante que chante et se produit, malgré l’hostilité d’une métier dans lequel elle ne se reconnaît pas. Militante jusqu’à produire et présenter Plain-Chant (le titre se réfère au style de chant et à la technique vocale d’Hélène Martin), série d’émissions de télévision littéraires, dans les années soixante-dix sur la deuxième chaîne, dont chacun des vingt-deux épisodes fut consacré à un poète ou un écrivain. Puis une autre émission, Pierrot la chanson : treize épisodes seulement qui avaient pour thème central une chanson. Elle fut aussi réalisatrice. Elle adapta ainsi le Jean le bleu de Jean Giono.
Parler d’Hélène Martin, désormais au passé, est cependant un peu vain. Il vous faut l’écouter. C’est à ce contact que la magie poétique s’impose, par cette voix claire et avenante, qui sait si bien servir les vers, les faire vivre en nous. C’est dire si nous vous y invitons.
Les albums d’Hélène Martin actuellement disponibles, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs à déjà dit d’elle, c’est là.
Hélène Martin écrivait aussi et interprétait ses propres œuvres, comme « Vincent » (avec une belle intervention de sax de Teddy Lasry) : https://www.youtube.com/watch?v=58NUq16QexI
Merci pour vos publications en chansons qui ont du sens
Je suis attristée par toutes ces belles et émouvantes voix qui s’éteignent depuis quelque temps.
Cordialement
Fanie
« Les poètes ne meurent jamais » écrivait Cocteau (qui fait aussi partie des nombreux auteurs qu’Hélène a mis en musique).
Déjà féru de poésie, je l’ai découverte dans les années 60 au lycée. Coup de foudre.
Peu de jours sans penser à elle, sans la chanter (quelle mélodiste !)
Non « cela ne s’éteint pas ».
Et ne s’éteindra pas tant que nous la ferons chanter.