Bob Dylan en ses multitudes

Décidément on n’en pas fini avec Bob Dylan. A l’image de cette tournée sans fin qu’il poursuit, avant que le confinement ne l’interrompe, où un concert des plus grandioses peut succéder à un autre plus que moyen. D’aucuns l’avaient quitté au terme du feuilleton entourant son prix Nobel de littérature, décerné en 2016 et finalement reçu en juin de l’année suivante. Où Robert Zimmerman devenu Bob Dylan concluait de sa voix rauque son discours en reconnaissant l’influence de la littérature dans ses chansons. Tout en lançant que l’émotion primait et qu’il n’avait pas besoin de savoir ce qu’une chanson signifiait. « J’ai écrit plein de choses différentes… Et je ne vais pas m’inquiéter de tout ce que cela peut signifier ». Avis aux amateurs, une fois encore, avec ce Rough and rowdy ways (« Ces manières abruptes et bruyantes », un titre emprunté à une des premières vedettes de la country et roi du yodel, Jimmie Rodgers (1897-1933).  Un album en deux CD, dont une chanson fleuve de 17 minutes (évoquant à la façon Dylan l’assassinat du président Kennedy (Murder Most Foul, Un meurtre des plus ignobles) qui se situe au niveau du très revigorant Oh Mercy (1989). Rough and rowdy ways (Columbia/Sony), 39^ème album studio, est le premier offrant des chansons originales, huit ans après Tempest.

Les très nombreux exégètes de l’œuvre de Bob Dylan vont trouver du grain à moudre dans ces nouveaux textes ; écrits et chantés comme des récitatifs parfois crépusculaires sinon apocalyptiques sur des tempos plutôt lents et très prenants. Comme on écrit, a précisé le chanteur américain, en état de transe. Ces monologues intérieurs et riches de références littéraires et artistiques affichent la couleur un brin méditative d’un album d’un homme de 79 ans qui dessine son auto portrait et revisite son panthéon (nombreuses citations dont celle de…Shakespeare). Tout en brouillant les pistes. Comme dans le premier titre, I Contain multitutes (Je contiens des multitudes) où Dylan confirme qu’il est un homme de contradiction, d’humeurs. « Je suis juste comme Anne Frank, comme Indiana Jones et ces mauvais garçons anglais les Rolling Stones ». Dans le titre aux accents de blues, False prophet, il ose même la carte de visite : « Je suis le dernier des meilleurs / Vous pouvez enterrer les autres…Je ne suis pas un faux prophète, j’ai juste dit ce que j’ai dit…Je ne me souviens pas quand je suis né, et j’ai oublié quand je suis mort ». Les fins dernières inspirent celui qui a chanté le standard, « Je suis comme une pierre qui roule » toujours. Ainsi dans Crossing the Rubicon où « A trois miles du purgatoire / Un pas en avant l’au-delà / J’ai prié la croix, j’ai embrassé des filles et j’ai franchi le Rubicond ». Sans oublier Key West donnant l’éternité comme horizon. Où le dernier mot sera laissé aux sonates de Beethoven et aux préludes de Chopin. Pas moins ! Sans oublier Elvis Presley et Martin Luther King qui se retrouvent avec des chœurs gospel dans l’hymne Mother of muses. « Le gospel, explique-t-il dans un récent entretien paru dans le New-York Times, musique de la bonne nouvelle » et devenue plus rare sur fond d’actualité sombre.

Bob Dylan n’oublie pas de dénoncer les maux de l’Amérique actuelle et le chaos qui menace l’espèce humaine. Comme il le fit dès ses débuts. Dans le même entretien récent il explique combien l’assassinat de George Floyd (Dans l’état natal de Dylan), étouffé par un policier blanc, l’a heurté et pourrait donner naissance à une nouvelle chanson. Toujours à vif l’ami des poètes. Des avertissements, « soufflé dans le vent ».

Bob Dylan, Rough and rowdy ways. 2 CD Columbia/Sony. Le site de Bob Dylan, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. 

False prophet
Crossing the rubicon (Official audio) 
Murder must foul (Official audio)