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Christophe, 1945-2020

christopheC’était il y a quelques années. Un concert de Christophe, seul sur une grande scène, allant d’un clavier l’autre. A chanter, à jouer, à expérimenter aussi. Tiens, il se surprend d’un ensemble de notes, de la manière de les agencer, de les jouer. D’une sonorité pas pareille. Et se jure de travailler chez lui cette nouvelle perspective… Même la scène lui était laboratoire.

J’avoue, je n’avais pas été convaincu, intrigué par cet artiste dont je ne savais pas vraiment ce que j’attendais. Mais, entre tous privilégié, me frayant un chemin entre ses fans pour l’heure recalés, j’avais rendez-vous avec lui, dans sa loge. Je ne sollicite plus depuis longtemps des entretiens avec les artistes, me contentant seulement de ce qu’ils me donnent en scène. J’avais eu là comme l’intuition qu’il me faudrait une conversation, un tête-à-tête, comme un mode d’emploi, un décryptage. Partageant avec lui son whisky, j’ai compris, je crois. Je lui parlais notamment de cette chanson qu’il avait reprise au répertoire d’Allain Leprest. Lui ne se souvenait que de son compositeur : il ne me parlait que de Romain Didier, avec un immense respect, avec rare déférence. J’avais devant moi un musicien, qui d’une chanson ne voit rien que les notes. Un musicien de tous les instants, qui ne vit que par la musique, que pour la musique. Qui aurait été capable de chanter le bottin – et nous le faire chanter – s’il en avait trouvé la juste mélodie.

Car ce n’est pas particulièrement tel ou tel titre de Daniel Bevilacqua qui restera. Et pas particulièrement Aline, énorme succès période yéyé qu’il ressortira quinze ans plus tard en doublant non la mise mais la recette : un simple tube, une chansonnette. Certes, on se souviendra des Marionnettes, des Mots bleus, de Senorita… En fait, à bien compter, de peu de titres, mais qui, avec le temps, ont chacun pris la consistance de pierres précieuses, de pépites. Qui, comme leur créateur, sont devenus cultes. C’est de l’alchimie et ça ne s’explique pas.

De ce compositeur, de son allure qui épousait si bien la nuit d’où tranchait le doré de ses cheveux, de sa moustache, le flamboyant rouge de ses Ferrari qu’il cassait comme moi je le fais de ma vaisselle, de ses bribes de vie que la presse distillait, c’est un tout qui fait presque légende. De cet artiste, ce dandy qui, après une abstinence scénique d’un quart de siècle, devint le phénomène qu’il n’a cessé d’être depuis.

Les yéyés qui ont survécu l’ont été au prix de reniements, de gesticulations parfois vulgaires pour tenter de toujours exister. Peu d’entre eux ont eu le talent, pour ne pas dire le génie, de Johnny. Peu, et parmi eux Christophe, comme un prince, un extra-terrestre presque. Avec une grâce infinie. Lui s’est extirpé depuis très longtemps d’un passé pour midinettes. Pour devenir l’indispensable, l’indiscutable poinçon d’une musique de qualité au service de la chanson.

 

Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

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5 Réponses à Christophe, 1945-2020

  1. Jean-Michel Brac 17 avril 2020 à 10 h 02 min

    Superbe chronique avec toute sa subjectivité objective ! Très appréciable par les temps qui courent !

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  2. Germinal Le Dantec 17 avril 2020 à 10 h 54 min

    J’ai le souvenir de Bernard [Lavilliers, NDLR], me parlant de lui avec déférence et respect, lorsqu’ils s’étaient rencontrés, tous deux engagés chez « Dreyfus ». Il me disait : « je suis vraiment surpris, ce n’est pas du tout le yéyé de l’époque Aline, il est bien plus intéressant. On a bien sympathisé ». Et moi d’être un peu interloqué et perplexe. Mais, en fait, ma position allait changer rapidement, car ce fut le disque des « Mots bleus » et la collaboration avec Jarre (pour les textes, paradoxalement ! ». Amicalement.

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  3. Albert Weber 17 avril 2020 à 12 h 05 min

    Merci et bravo cher Michel Kemper pour ton texte sur celui qui es devenu  » l’indispensable, l’indiscutable poinçon d’une musique de qualité au service de la chanson ».

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  4. Lapierre Jean 17 avril 2020 à 18 h 44 min

    Très bon « papier » Michel ! Christophe est « un chercheur » de sons. Quelques fois il a trouvé… D’autres fois, s’est un peu perdu… mais c’était toujours intéressant…

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  5. Gérard DEBARD 18 avril 2020 à 1 h 44 min

    N’est-ce pas lui qui s’était livré à une « interprétation » de « la non-demande en mariage » de Brassens où il s’était permis quelques « privautés » très désagréables à entendre avec le texte ?

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