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Flavie Dufour : lointaines contrées tout contre nous

Flavie Dufour (photo Agnès André)

Flavie Dufour (photo Agnès André)

14 novembre, bar à chansons, Québec,

 

Québec. Ici, où la neige a déjà jeté son sac sur la terre et nous fait plus qu’apprécier les recoins chaleureux des petits bars, mais où l’air vif m’est encore ce qui m’est le plus familier dans cette ville que je découvre encore, je décide de braver la chaleur humaine inconnue. J’ai pioché un nom dans un programme et me voilà dans un bar à chanson de la rue Saint-Jean : «?Flavie Dufour?», lancement d’album me dit l’affiche.

Ce soir donc, j’arrive tout juste pour le show. Et en effet chaude chaleur humaine : j’ai la tête dans un porte-manteau, les coudes dans mes voisins et mes pieds se font régulièrement écraser par d’autres spectateurs qui continuent d’arriver comme un robinet qu’on n’arriverait pas à fermer.

Il était une… ou plusieurs fois… Du bout des doigts, du bout de la voix, Flavie Dufour, marionnette à la main nous ouvre son univers qui semble fait au premier abord d’un monde merveilleux de dragons et de princesses. En arrière-plan de sa voix qui débute le concert comme un conte, il y a un petit tableau fait d’ombres et de lumières. Une mise en scène à l’image de l’univers de Flavie Dufour : dans sa voix lumineuse de soprano et sa pédale à boucle qui diffracte la voix, écaillant un dragon et expulsant sa princesse de sa tour d’ivoire, elle explore des contrées qui nous sont proches, mais pourtant lointaines, l’ombre de nous-même, l’ombre ou peut-être mieux ce «?Clair de femme?», titre de son premier album.

Femme qui s’aime n’a plus la frousse/que quelqu’un marche sur son jardin/femme qui s’aime n’a plus la frousse qu’un homme entrave son chemin…/si je fais dissoudre le doute/de finir lourde comme une pierre/je pourrai ouvrir la source/et sentir sous moi la terre…

clairdefemme_couv_0Dans sa voix vibre des voyages qu’on sent de plusieurs contrées : chants d’Afrique peut-être, jeu de gorge de froids pays sûrement, roucoulements d’oiseaux, yodel et j’en oublie sûrement. Ses jeux de voix dont on sent le corps rappellent fort les jeux de voix de notre chanteuse Camille : les wouawoua ronds de mon cœur rrroucoulent d’allégresse; la voix est corporelle, elle fait corps à nos oreilles du rythme donné aux syllabes – palpable, presque palpable.

Mais plus encore que l’exploration de l’âme ou l’enveloppe du corps de sa voix, c’est la façon dont Flavie joue avec la flamme des mots qui, je dois dire, m’a ensorcelée et captivée jusqu’à m’en avoir fait oublier le portemanteau me labourant les omoplates. De vrais défis jetés à la tronche des métaphores usées, voilà ses paroles, contre ces voyages déjà vus sur des mots qu’on apprend alors à re-connaître : tu me ragaces/tu me séduis/tu me bourrasques/tu portes fruit. Et cette magnifique «?Colère?» : Colère des ten/sions trop souvent ravalées,/emmagasinées dans ton sac de rancœur rance/petit portefeuille de malheur/aux intérêts d’amertume/Colère l’air de rien/grouille grouille en dedans… Riant de nos idées au conditionnel – si j’étais ça, je ferais ça… et si j’aurais… j’aurais! – défigeant les formes lourdes de nos proverbes – pierre qui reste amasse la mousse –, le vrai voyage se tisse mot-à-mot de fils nouveaux, du bout de sa voix, du bout de ses doigts littéralement avec les marionnettes qui donnent voix à tout ces personnages qui l’habitent. On comprend mieux alors ce besoin de rester «?seule au milieu de la foule?» annoncé en exergue de son univers : il y a déjà bien du monde en dedans de cette auteure-compositrice-interprète à la vergue du verbe flamboyeusement enveloppante, de cette femme plurielle mais singulière.

 

Le site de l’artiste, pour tout savoir sur « Clair de femme » ; ce qu’on dit de Flavie Dufour de l’autre côté de l’Atlantique.

Et pour que vos oreilles goûtent un peu à cette voix :
La mère embryon Image de prévisualisation YouTube

La lune Image de prévisualisation YouTube

2 Réponses à Flavie Dufour : lointaines contrées tout contre nous

  1. Catherine Laugier 15 novembre 2019 à 15 h 26 min

    Et pour avoir une idée de la conteuse, c’est là, et l’on est tout de suite dans son monde merveilleux :
    https://www.youtube.com/watch?v=3Aydcvicnwc

    Répondre
  2. Hélène Matte 25 novembre 2019 à 15 h 08 min

    Bonjour Agnès, formidable que tu rendes hommage à cette magnifique artiste qu’est Flavie. Heureuse aussi qui tu ailles apprécié la préface de son livre jusqu’à y emprunter quelques formules… dont il il faudrait toutefois mettre la référence. « plurielle mais singulière » est la littérature!

    Répondre

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