Francesca Solleville sonne les treize coups de minuit
Dans les yeux de Francesca, il y a la force et la détermination d’une artiste dont l’engagement ne s’est jamais éteint, soixante ans de combat poétique et politique, une exigence toujours présente de justice, d’humanité. Bien avant l’écoute de cet album, c’est ce visage sur la pochette qui marque l’esprit, un regard farouche, celui d’une femme toujours debout, libre et fière, un regard qui plonge dans la mémoire mais qui nous appelle toujours à croire en l’avenir.
Si l’horloge vient ici sonner treize coups pour treize titres emblématiques de cette merveilleuse aventure d’une poésie vivante en prise avec son époque, c’est autant pour nous rappeler que minuit est l’heure de chanter, l’heure des cabarets d’antan que pour nous signifier que le temps ne s’arrête pas là, que la mémoire n’est pas que nostalgie mais espoir…
Voici donc treize coups d’éclats admirablement réenregistrés avec les complicités de Michel Precastelli (arrangements et piano), Nathalie Fortin (arrangements et piano), Frédéric Deville (violoncelle), Bertrand Lemarchand (accordéon) ainsi que David Venitucci et Jean-Yves Lacombe. La voix de Francesca se fait ici subtile, sensible, toute en force mesurée et énergie maitrisée.
B E L L E E T R E B E L L E
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A l’occasion du vernissage de l’exposition « Francesca Solleville » le 14 juillet dernier à la Maison Jean-Ferrat à Antraigues, Michel Kemper, rédacteur en chef de NosEnchanteurs, a écrit et prononcé ce discours :
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« On la dit belle et rebelle. Et ça, c’est tout Francesca Solleville, l’insoumise.
Elle aurait pu être docile. En quittant le chant classique pour se lancer dans la « variété », elle aurait pu se laisser pieds et poings lier par les requins du show-biz qui, pour leurs poulains, leurs pouliches, décident tout de leur future carrière, choisissent leurs chansons, les formatent en tubes comme du vulgaire dentifrice, de la vaseline, gèrent leur emploi du temps et même leurs amours devant les photographes.
Faisant vaciller la chanson d’alors, celle notamment des cabarets, le yéyé pointe son nez en ces années-là : Francesca aurait pu être une de ses égéries, collègue de travail de Sylvie, de Françoise et de Sheila, photos pleines pages dans Salut les copains, télés avec Guy Lux et chez les Carpentier, promesse de disques d’or à la pelle.
Le partage est intelligent : la bouillie pour certains, la poésie pour Francesca. Elle, c’est Louis Aragon, c’est Pierre MacOrlan, Guillevic et pas mal d’autres. Ce seront parmi les plus belles pages de la poésie, de la chanson.
Elle aurait pu se limiter aux grands classiques, ceux publiés dans de beaux ouvrages délicatement reliés, des anthologies. Mais la chanson est aussi sauvage qu’elle, dont les jeunes pousses fleurissent partout « sans passer par la liste des approuvés » comme dirait Félix Leclerc. Francesca sait l’identifier, la saisir et lui fait large place. Les jeunes et moins jeunes auteurs le savent qui lui offrent leurs plus beaux textes. On évoquera Leprest, bien sûr, mais l’Allain avec deux ailes ne fut pas le seul à rejoindre la prestigieuse liste des auteurs de Francesca Solleville, répertoire toujours régénéré, l’un des plus beaux de la chanson. Avec Ferrat pour autre figure tutélaire et Antraigues pour épicentre.
Etonnez-vous que la chanson de Solleville soit aussi jeune, que Francesca soit l’une des plus sûres marraines de la jeune chanson d’auteur.
On peut parler de Francesca bien autrement, narrer ses rencontres, raconter ses engagements, ses luttes. Francesca n’était pas faite pour le papier glacé de la presse people mais pour peindre et porter haut les calicots rouge coquelicots de nos manifs outragées.
Francesca est comme cette chanson qu’elle chante et tient de sa consoeur Véronique Pestel : Vanina s’en va. Elle est témoin et actrice d’un siècle qu’elle incarne plus que tout autre. Siècle d’espoirs et de désillusions, sans jamais baisser les bras. C’est sans doute pour ça qu’elle chante le poing levé.
Si un jour est écrit le Roman de Francesca, qu’il ne soit pas la biographie d’une chanteuse à la seule destination de son public. Son récit de vie est bien plus important, bien plus universel. C’est l’histoire d’une femme courageuse, résolue, formidable. C’est par elle la rencontre de gens d’exception, de grand hommes, de politiques, d’écrivains, de philosophes et de poètes, de peintres, de cinéastes et de musiciens, de tout ceux qui éclairent notre monde. Et de gens de tous les jours, bien plus modestes et tout aussi intéressants. Francesca n’est pas du monde du show-biz qui ne sait vivre que dans un entre-soi et dans des calculs, des stratégies. C’est une femme du peuple, qui ne l’a jamais trahi. Qui chante pour lui.
Ce récit de vie de Francesca serait nourri d’anecdotes parfois incroyables, qui toutes s’inscrivent dans la petite ou la grande Histoire de ce pays, de celui d’Italie aussi, à l’unisson des aspirations sociales, d’un projet de société, d’un idéal politique. Il est le point de convergence des luttes.
Francesca relève tant du livre d’Histoire que du carnet de chants. Elle est indispensable. »
Autant de témoignages, de rencontres, d’inspirations, de balises qui ont jalonné ce parcours sans faille. Le disque s’ouvre sur Bella ciao, traditionnel italien jamais enregistré auparavant, seul écart dans ce voyage qui nous conduit de poètes aimés en auteurs croisés au fil du temps. Nul n’est besoin de présenter l’ensemble de ces titres, tous auront laissé une trace indélébile dans nos cœurs et nos esprits. On retrouve E. Guillevic (Je suis ainsi), G. Nadaud (Le soldat de Marsala), J. Genet (Le condamné à mort) et l’hommage à H. Martin, N. Hikmet (Le chant des hommes), A. Bruant (Les canuts), P. Fort ainsi que Brassens (La marine). Et puis viennent ces chansons phares, ces auteurs qui auront marqué bien des générations : Aragon et Ferré (L’affiche rouge), (Vingt ans), Brel (Amsterdam), Ferrat (Ma France), On y croise enfin J.-M. Brua avec 200 mètres(Mexico 68) porté si souvent en scène avec fougue par Francesca et A. Leprest avec ce magnifique Elle et lui qui résonne avec force dans l’intimité de l’artiste.
Nul doute que ce disque enchantera autant les fidèles de Francesca Solleville que ceux qui souhaiteraient la découvrir. Il permettra en tout cas de la situer à la place qu’elle mérite et qu’elle a toujours occupée, celle d’une grande dame de la chanson, porteuse d’histoire, de mémoire et d’espoir.
FRANCIS PANIGADA
Francesca Solleville, Les treize coups de minuit, EPM 2019. Pour commander ce disque, c’est ici.
Ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
Pas de vidéo correspondant à cet album, occasion pour nous de publier ce titres des débuts de Francesca :
Et la superbe interview de Francesca Solleville sur le plateau de TV5 Monde le 3 août 2019 :
Merci Francis bien d’accord avec toi. J’insisterai un peu sur le coaching comme on dit aujourd’hui de Nathalie tout au long du travail et l’hypersensibilité De Laurent Compignies le metteur en son magique
Je ne compte plus toutes les fois que je l’ai entendue sur scène ! J’aime le choix de ses auteurs, poètes ! Aurait-on pu imaginer Francesca interpréter quelques chansons qui ne lui ressemble pas ?
La chanson a besoin d’interprètes pour transmettre, prolonger l’émotion, la révolte, la tendresse, nos vies d’ici bas !
Merci Francesca, je reviens t’écouter fin septembre à Saint Julien l’ Ars, chez le poète sculpteur Claude DAVID !
Très émouvant, ce billet !
Francesca Solleville, je l’ai rencontrée deux fois au festival de Saint Cirgues en Montagne nous avons pris un pot au bar. Quelle personnalité !
Je n’étais pas cet été 2019 à Barjac pour assister notamment aux concerts de Fersen , Camerlynck ; Martin …….En lisant les Enchanteurs , j’ai découvert Olivier Trevidy chantant Béranger … C’est un électrochoc …..J’ai eu la chance d’écouter Béranger à Clermont Fd , à la fête du PSU à la Courneuve …… Est ce que Trevidy continue à chanter Béranger ? Si les Enchanteurs peuvent m’offrir le CD , je ne suis pas contre
Marc Genzel
2 rue du Fiaret
Bresson 38 320
Encore Marc Genzel cette fois pour parler de Francesca que j’ai vu une quinzaine de fois , la première fois à la fête du parti communiste dans le Cantal alors que j’étais adolescent …….La dernière fois au Limonaire à Paris IX (cabaret qui a disparu il y a un peu plus de 2 ans ) Je remercie Francesca parce qu’elle m’a fait aimer Leprest et surtout elle interprète magnifiquement la ultima canzone de maurice Fanon
J’espère que ce nouvel enregistrement sera l’occasion de retrouver Francesca chez son ami Gérard-André (auteur, compositeur, et surtout interprète de grands auteurs et poètes, comme Francesca), où j’ai eu l’occasion de la voir, l’écouter et la rencontrer plusieurs fois, accompagnée de Nathalie Fortin.
Ce Théâtre de La Closerie qui fait tant pour le spectacle vivant en général et la chanson en particulier, Francesca en est la marraine, depuis maintenant 13 ans !
Rétrolien Musique : « Les treize coups de minuit », album de Francesca Solleville chez Epm Musique. | Holybuzz