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Julien Clerc. Dossier 50 ans de carrière (article intégral)

Julien Clerc le 19 octobre 2018 à l'Arena d'Aix. Photos Catherine Laugier

Julien Clerc le 19 octobre 2018 à l’Arena d’Aix (photos Catherine Laugier)

19 octobre 2018, Arena Pays d’Aix Les Milles,



Les salles immenses où l’on devine au loin une silhouette de la taille du petit doigt, où le son est brouillé, réverbère sans que ce soit voulu, là où l’on va voir un match de hand-ball, ce n’est pas trop mon truc. Pourtant dès qu’à neuf heures moins le quart s’élèvent les premières notes d’Utile, après une attente impatiente, plus personne ne se pose la question : à quoi sert une chanson ?
« Je veux être utile à ceux qui m’ont aimé / À ceux qui m’aimeront / Et à ceux qui m’aimaient  / Je veux être utile / À vivre et à chanter ». C’est une réponse, d’emblée, à ceux qui n’ont pas compris ce qu’elle était. A son essentialité. On ne peut reprocher à Roda-Gil de faire de la chanson à but commercial. On connaît son engagement. Pourtant il répond aux chiliens, qui la souhaitent armée : d’abord, à rêver. Puis, à aimer. Dans sa diversité, « Comme la lune fidèle à n’importe quel quartier ».
Elle est le propre de l’homme, et ceux qui s’acharnent à la faire disparaître, « comme une langue ancienne qu’on voudrait massacrer », ignorent que sa force est en son existence même : « Même si les maîtres parlent et qu’on ne m’entend plus » Est-ce abuser de parler de culture ou de civilisation à partir d’une simple chanson ?
Il n’y a peut-être que moi pour penser à ça, la musique vous emporte, vous berce sur les cordes du quatuor de jeunes femmes qui feront aussi chœur, se balance sur les notes de piano, et Julien fait la la la, comme lorsque nous étions enfants. Et le miracle a lieu,  sa voix n’a guère changé depuis qu’il débutait, timide et admiratif, à l’Olympia en première partie de Gilbert Bécaud. Qu’il évoquera une demi-heure plus tard,  en interprétant la si belle C’est en septembre (1).

Clerc HAIRSon  vibrato, en une façon nouvelle, qui a peu à voir avec le lyrique ou la chanson rive-gauche sert l’expressivité de la voix, identité vocale dès ses débuts, lorsqu’en 1968 il interprétait Ivanovitch – dont on regrettera l’absence – puis La Californie ou Hair, Laissons entrer le soleil (Ah le 45 tours passé en boucle : « Je vois ma vie projeter son futur dans l’espace ! ») – chanté comme une plage de rêve au milieu des chansons pop de la période 80’.

Malgré un son qui ne peut être aussi parfait que dans une petite salle, les paroles sont constamment audibles, et la mise en scène lumineuse, à elle toute seule spectacle, colorée, inventive et toujours en mouvement.
Incluant en son centre une pastille ronde géante mettant en gros plan tour à tour le chanteur et ses musiciens, elle permet judicieusement d’en suivre les expressions et le jeu. On pourra donc apercevoir les archets frôler les cordes, le jeu des guitaristes / bassiste en acoustique comme en électrique, la batterie, les claviers d’une formation de quatre musiciens de rock.  Dont l’arrangeur de ces derniers albums, le multi-instrumentiste Benjamin Constant aussi à l’aise au piano qu’au cor, à la trompette ou à l’accordéon.

C’est un vrai défi que de nous gratifier de cinquante ans de chanson en deux heures de temps, une preuve de santé mais surtout un bonheur partagé que nous donne là Julien, en enchaînant pas loin d’une trentaine de chansons  d’au moins une quinzaine d’albums, quatre 45 tours, deux extraits de comédie musicale et deux reprises. Debout, ou à son piano blanc, le sourire toujours aussi ravageur, simple et paraissant aussi heureux d’être là que nous pouvons l’être.

CLERC Emilie jolieOn rencontrera sur scène une petite Emilie différente dans chaque région, ici ce sera Lucie, pour chanter en duo avec lui La chanson d’Emilie et du grand oiseau de la comédie musicale de Philippe Chatel, dans un décor de plumes et d’oiseau.

On s’aperçoit très vite de la place que tiennent dans nos vies les chansons de Julien Clerc, tant que malgré l’abondance de titres dont on est capable de chanter les paroles, il en manque toujours quelques unes, liées à chaque souvenir personnel, telles Ivanovitch ou Ballade pour un fou. Pour éviter ce genre de déception Julien Clerc glisse toujours trois chansons moins connues à mi-parcours, variant à chaque concert. Ce seront à Aix Le cœur volcan et son accordéon argentin, suscitant une véritable ovation, et Le patineur présenté comme une chanson que tout le monde connaît (Julien  lui même a paraît-il baptisé son public partisan de sa première époque « Les patineurs »)
Et puis la plus rare Les fleurs de gare, où Roda-Gil, nous explique-t-il, abandonne exceptionnellement le point d’honneur qu’il mettait à ne jamais écrire « je t’aime » dans une chanson. Cela reste noir et audacieux, mémorable sur la musique ample et dramatique : « Je t’aime crème / Je t’aime noir / Je t’aime au rouge / Du désespoir (…) Les fleurs des gares / Ont des couronnes de suie / Du fond des gares / Partent des grands trains fleuris / Dans la nuit ».

Toute la première heure est consacrée aux succès de la période où prévaut la poésie échevelée  de Roda-Gil, essentiellement la décennie 68-78.  Elle prouve qu’on peut avoir un vrai succès populaire avec des chansons dont le texte n’est pas directement accessible, et qu’on peut pourtant les retenir, à preuve le public qui fait chœur. De Ce n’est rien au Patineur, comme inspirée par le tableau de Sir Raeburn « C’était un échassier bizarre / Il ne sort pas de ma mémoire / Sur une jambe et jusqu’au soir / Il glissait là sur son miroir », de Si on chantait à This Mélody, où l’on trouve cette phrase étrange : « Dans ce pays / Dont les fruits sont si beaux  / Qu’on se contente des noyaux ».

CLERC Sous mon arbreVeine qui sera reprise ensuite par  d’autres auteurs, Dabadie pour Ma préférence ou plus tard Françoise Hardy pour Fais-moi une place. Et confirmée dans les deux décennies des années 2000, seulement représentées dans ce concert par Double enfance de Le Forestier, ou par La jupe en laine : « Des souliers noirs, une jupe en laine / Je ne dors plus tu sais , je veille / Sur son sommeil / Et tout ce qui la blesse me tue » de Gérard Duguet Grasser. Un auteur underground dont la façon originale de traiter un thème rebattu aurait pu faire un successeur de Roda-Gil.

Sont insérés avec bonheur un hommage à Aznavour  illustré par For me formidable interprétée avec esprit, et quelques récents titres d’A vos amours : Je t’aime etc. de Pierre-Yves Lebert, comme un pied de nez à Gainsbourg, Sous mon arbre de Marie Bastide, à Brassens, et ce jeu sur le tu et le vous d’A vous jusqu’à la fin du monde, qui prouve que Barbelivien peut écrire avec subtilité : « Je ne tutoie que tes dentelles / A vous je donne mon parapluie / Je suis à toi comme l’hirondelle / Vous revient toujours dans son lit » (2)

Un cycle plus pop de la période 80, Hélène, Mélissa, La fille aux bas nylon, Cœur de rocker, Lili voulait aller danser, succès de 45 tours des David Mac Neil ou Luc Plamandon,  entraînera quelques spectateurs au pied de la scène, avant que les notes de piano n’annoncent la romantique Femme je vous aime de Jean Loup Dabadie. On lui pardonnera le détournement publicitaire…Le retour en rappel nous accordera l’indispensable Partir du même Dabadie, la Cavalerie et pour laisser la voix de Julien reposer, la traditionnelle Travailler, c’est trop dur dont la moitié sera chantée exclusivement par le public.

CLERC La fille aux bas nylon
Mes seuls regrets, car il en faut toujours, dans ce concert de louanges, est l’absence totale de certains albums – Parmi les premiers Ça fait pleurer le bon Dieu et Terre de France (C’est une Andalouse, Lune lune, Danse s’y ,Sans toi , Bateau pressé…), A mon âge et à l’heure qu’il est, avec le si bel Amis de Le Forestier, Julien (1997) avec la si émouvante reprise des Séparés (Marcelline Desbordes –Valmore)…
Ou de certains auteurs qui sont loin d’avoir démérité : Carla Bruni et l’album Si j’étais elle (2000), témoin de l’aptitude de Julien Clerc à se mettre à la place des femmes, Alex Beaupain avec le très émouvant album Partout la musique vient (2011) et tout particulièrement Mon cœur hélas : « Et mon pauvre cœur mis en croix / Cloué au lit à même le bois / Non plus rien ne le retient », ou encore Bruno Guglielmi, l’auteur d’Entre elle et moi, le seul inédit de Fans je vous aime. 

Et plus encore, le grand oublié -  Ivanovitch n’étant qu’une chanson facultative du tour – le regretté Maurice Vallet, le compagnon des débuts, auteur flamboyant et torturé d’un quart des chansons de la première décennie, dont les mots résonnent toujours à mes oreilles.  Zucayan (1969),  Quatre heures du matin « Et je veux te dédier / Ma migraine mon ennui / Le début de ma haine / Et le fond de mon orgie » ou Elle a au fond des yeux (1972)… très présent dans le magnifique album N7 (1975), avec Une journée pour rien, Dors bien, Bien longtemps après, Juste comme un enfant, Je voyage…
Certaines chansons ont peut-être été reprises dans les facultatives lors d’autres concerts…

On pourrait reprendre l’article de Michel Kemper d’il y a plus de dix ans, pour  ses quarante ans de carrière, « de passion intacte ». Quel filtre a donc bu Julien Clerc pour n’être jamais vieux, jamais démodé ?


(1) Maurice Vidalin, parolier emblématique de Bécaud, a transposé en français September morn, de Neil Diamond – coup de foudre amoureux  de deux anciens amis d’enfance – en un hymne à l’authenticité retrouvée d’un pays une fois les vacances terminées. Cette chanson est la seule reprise figurant dans le CD 2 de l’Edition 2018.

(2) Julien Clerc vouvoie sa dernière épouse.

2 Réponses à Julien Clerc. Dossier 50 ans de carrière (article intégral)

  1. Rétrolien Julien Clerc, un volcan qui ne sera jamais vieux | NosEnchanteurs

  2. Henry TILLY 11 décembre 2018 à 11 h 55 min

    Bonjour,

    Pascal Gilbert, un conférencier que je n’ai pas l’honneur de connaître, donnera Vendredi 14/12 à la Médiathèque de Montluçon, une conférence (hé oui! A l’instar du lièvre « songeur »de Lafontaine, un conférencier donne des conférences)sur le thème de la « Chanson engagée ». Dans le bref résumé de présentation de cette conférence, je lis deux noms qui sont mis en exergue: Julien Clerc et Michel Sardou. J’avoue que ce ne sont pas les deux noms qui me seraient apparus en priorité, naviguant, comme vous, plus souvent chez les troubadours « hors business ». J’imaginais bien, à la réflexion, que certaines chansons de Roda-Gil avaient pu amener Julien Clerc sur ce terrain mais, la question lui ayant été posée, il se défendait bien de participer à la « chanson engagée ».
    A la lecture de votre chronique, je vais peut-être devoir réviser un peu ma position, nonobstant les protestations et dénégations pudiques de l’artiste qui, c’est vrai, n’en a pas fait sa « tasse de thé coutumière.
    H.Tilly

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