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Prêts pour De Pretto ?

https---images.genius.com-221c269a7b7ac9fbbba151428272d9fa.600x600x1Or donc, il était une fois au pays du buzz un nouveau petit prince (pas trop charmant), qui faisait la une des pages culturelles et les gorges chaudes des réseaux sociaux. Feu de paille ou artiste appelé à durer ? Allez savoir. Quoi qu’il en soit, il mérite que Nos Enchanteurs se penchent à leur tour sur son cas.

Voici donc Eddy De Pretto, jeune homme de 24 ans, natif de Créteil. Après un E.P. sorti en octobre 2017, il nous débarque armé de son premier CD, Cure. La pochette de la galette nous le montre au naturel : un garçon pas vraiment jeune premier, habillé sans afféterie, négligemment affalé sur sa chaise, son IPhone à la main. Moins glamour, y’a pas !

Le visuel est en réalité en parfait accord avec les chansons. 14 morceaux (+ un mini-instrumental qui ouvre le CD) âpres, crus, bruts de pomme. A mi-chemin entre le rap (son phrasé, sa rythmique, son flow) et la chanson (sa mélodie, ses couplets-refrains). Pas forcément nouveau : Stromae – auquel on ne peut que penser, bien évidemment ! – est déjà passé par là. Comme pour tout premier disque, les moyens limités n’ont guère permis des orchestrations amples et riches en instruments, mais la relative pauvreté de la forme ne nuit en rien à la force des chansons. Au contraire les renforce-t-elle, en leur conférant un sentiment d’urgence et un tranchant à vif qui leur siéent bien.

En digne représentant de la génération Y, Eddy De Pretto va nous parler de lui avant toute chose. Libre à chacun de s’y retrouver – ou pas – et d’adhérer – ou non – à son propos. Ne doit-on d’ailleurs pas voir dans le titre de l’album que l’auteur a trouvé dans l’exercice quelques vertus thérapeutiques ou cathartiques ? Avec lui, nous nous ferons donc des films pour contrer par l’imaginaire la triste réalité du quotidien (« Souvent je mens pour faire croire à mon dedans / Qu’il vit démesurément et qu’il peut même plaire à plein temps »); nous goûterons la nostalgie de son premier amour (« Jimmy / Jamais je n’aurais pensé que l’on serait si proches / J’ai pas bien vu l’été la neige était précoce ») ou de sa ville natale autant aimée que crainte (« Oh Beaulieue il vaut mieux que je te quitte / Je file les poches sans fric / Oh Beaulieue bel et bien ma favorite / Je garde toutes tes briques »). Surtout, nous nous interrogerons sur la virilité, thème central de l’album. Virilité abusive et imposée par l’entourage familial (« Tu seras viril, mon kid / Je ne veux voir aucune once féminine »), virilité gage de puissance et de domination des autres, que l’on envie (« Non mais hey tu délires / A tenter d’être toujours en force / Fais pas semblant d’être en cuir / Alors que tu pleures tout comme un gosse ») ou que l’on redoute (« La cité des mâles veille sur le quartier des lunes / Elles veulent y faire leur place et doivent y bouffer du bitume »), virilité factice pour donner le change (« J’ai mis mon costume de gars dur mais mes fourrures sont des armures »), virilité fantasmée et mise à mal par le désir des hommes (« Mais jeune homme, sais-tu seulement / Que j’me maquille pour t’rentrer dedans / Ça y est ça te glace le sang / Que tu sois gars ne soit qu’un minime détail »)…

Dans cet univers glauque et sans lumière, où les réjouissances tournent en eau de boudin (« C’est la fête de trop / Moi je l’ai faite, défaite, et ça jusqu’au fiasco »), même la figure maternelle s’avère incapable de faire montre d’amour et n’apporte aucun réconfort (« Dis-moi ce que tu as fait / Mamère Mamère / Pour que je reste dur comme fer / Mamère Mamère / Avec ce cœur figé de laque »), tandis que la célébrité recherchée se révèle en fin de compte avant tout source d’angoisse (« Car ma vie est plus terne en dehors des réseaux / Et de mes vues j’en ferai des changements d’humeur / Que je compterai par peur de red’venir inconnu »)…

Le monde d’Eddy De Pretto n’est guère réjouissant. Les mots qu’il écrit et qu’il chante – on peut lui trouver des intonations à la Nougaro – sont sans ambages et crus, avec la dose de provocation qui est l’apanage de sa jeunesse (« Si ça continue, je vivrai qu’pour me plaire / Qu’on m’acclame, qu’on me suce / Qu’on l’avale toute entière »). Le Guidoni d’il y a 30 ans chanterait probablement comme cela aujourd’hui. On est en droit de ne pas apprécier cet univers trop noir pour être totalement sincère, de ne pas être touché par ce cri impudique, de se sentir inutilement agressé. On peut aussi être emporté par la fougue de l’artiste, la violence du propos, le miroir brisé qui nous est offert. L’indifférence n’est pas de mise.

 

Eddy De Pretto, Cure, 2018, Initial Artist Services/Universal. Le site de De Pretto, c’est ici.

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Une réponse à Prêts pour De Pretto ?

  1. Duran Floréal 18 mars 2018 à 23 h 37 min

    Ça cogne et ça cogne fort. Entre Nougaro et Guidoni plus qu’avec Stromae dans sa façon de poser les mots, de les syncoper. Sur le plan strictement musical c’est peut être répétitif mais l’écriture sauve la mise. Il y a de l’âpreté, une certaine rébellion, une « gaytitude » affirmée et assez courageuse, des mots qui claquent et un tempo sans temps mort.

    Je ne pense pas au buzz car Eddy de Pretto a fait son apparition il y a déjà quelques mois sans que le petit monde du show-bizz s’empare du phénomène. Il a fait son chemin pour arriver à sortir son premier album après un EP découverte.

    Ce sera indiscutablement un artiste à suivre.

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