Loïc Lantoine & The Very Big Expérimental Toubifri Orchestra, Nous hier, aujourd’hui, demain
C’est le cadeau à (s’)offrir en cette fin d’année pour bien passer le nouveau millésime. Un coffret généreux, double CD et livret illustré (merci Benjamin Flao) caché dans un digifile tout fin, tant qu’on se demande comment il peut contenir tant de sons, de mots et de sens à se faire éclater le cœur, à se réchauffer du malheur. Qui vous ravissent toujours plus à chaque nouvelle écoute.
Loïc Lantoine, quand on le rencontre une fois, qu’il parle de sa voix chaleureuse et éraillée, qu’il chante, qu’il se cache dans sa pudeur, qu’il pleure ou qu’il rie, on ne le lâche plus. C’est le copain qu’on voudrait avoir, même si sans doute il faut parfois le rassurer : pas du genre à la ramener, il alterne les doutes et les espoirs. Il nous parle de ses révoltes, de ses engagements, de ses contradictions, de ses craintes, sans se prendre au sérieux : « Je suis pas du milieu / mais j’aime l’équilibre / Je vous aime à l’envers (…) J’suis mauvais musicien / Mais j’aime l’harmonie » (Toubitoine). Ce Décalé tout le temps au karma caramélisé, qui se rêve star, à qui répond un joyeux chœur féminin sur un rythme latino endiablé : « C’est qui ? C’est quoi » fait presque penser à Vassiliu et son Qui c’est celui-là. Timide, il rêve « Que je t’aime » en déclinant ce genre de leitmotiv : « Tu me veux / Tu veux mieux / Tu m’en veux / Tu me vieux ». Comment lui dire non ?
Des copains, il en a eu quinze ans durant, ce sont d’abord, ce sont toujours, ceux du Lundi Blanc, autour d’Allain Leprest. La Rue Kétanou, Mon côté Punk avec Karim Arab, Jehan, François Pierron son contrebassiste. Et puis la rencontre, à Liévin, lors d’une soirée d’hommage à Allain Leprest, d’un tout jeune, un prodige, Grégoire Gensse, le fondateur en 2006 du Very big Expérimental Toubifri Orchestra, comme le nom l’indique. D’une créativité sans limites, inspirée des mandalas cycliques de la musique balinaise, né pour être libre, to be free. Un ensemble d’une vingtaine de musiciens, choristes-chanteurs/teuses, cuivres, percussions, cordes et claviers, autour du piano de Greg, entre fanfare, jazz et rock ‘n’roll. Deux folies se croisent, le verbe et la vibration, les audaces se mêlent, en 2014 et 2015 se déploient dans toutes les dimensions dans des représentations mémorables. Mariage consommé, consumé, des chansons pas chantées, ou si peu, de Loïc, surtout celles des débuts, 2003, 2006 avec l’orchestre, arrangées, rhabillées par Greg.
Musicien multi-instrumentiste, compositeur du cirque Plume, arrangeur, Greg est partout. Lantoine l’évoque dans Poison d’Avril, sur de douces notes en clochettes, en gouttes d’eau, finissant en hard rock : « Sous tes yeux jolis de mouillé, un arc en ciel / Enjambait le temps et disait : Jamais je dors ». Il joue avec Elodie Pasquier, Imbert Imbert, Clément Bertrand. Réalise et arrange le premier album de Lior Shoov.
Mais un 24 avril 2016, « Quand ta boussole a explosé, on s’est paumé ». C’est à lui, « de, par, pour, et avec Grégoire Gensse », dans cet aplat bleu tout au cœur du livret, que ce double album est dû. Et dédié. Pour que ce Nous qu’ils avaient bâti tous ensemble « apprivoise les lendemains » : « On ne parle pas de souvenir mais d’avenir / Juré, sur chacune de tes notes on vivra double ».
Alors s’est bâtie cette œuvre, un CD de concerts dans toute la France, enregistrés en 2015 puis fin 2016, continuant sans Greg : « On frôle presque ton prénom, tu nous agrèges ». Douze des anciennes chansons de Loïc, réorchestrées par les copains, de ce parcours de vie, Je cours, de Mauvais ouvrier ou J’ai chanté aux étoiles, à Tout est calme (trop !), NNY – « Faut pas dire du mal de Johnny » et cette Nouvelle qui résonne à chaque actualité, tant en janvier 2015 qu’en avril 2016 : « Laissez vos lumières allumées / J’ai besoin de vous souvenir / Et si ce soir je vais pleurer / Ben demain je va revenir ».
L’amour (Ne bouge pas) se casse tout le temps, tangue et attend, c’est un vrai rock ’n’roll. L’amitié est fanfare douce (Pierrot), le message à papa se fait encore plus céleste et lunaire (Cosmonaute), celui à maman délire vers le grand mouvement, la révolte des débraillés qui font lever le soleil (Le grand matin). Nul besoin d’images pour s’envoler dans l’univers de Loïc, il suffit de suivre les cuivres, qui vous baignent d’émotion, vous bercent ou réveillent vos révoltes.
Et puis il y a les treize chansons entièrement nouvelles enregistrées en studio, le premier CD, dont quatre musiques sont encore signées Gensse. Loïc s’y fait Monsieur Loyal de la vie, qui est comme la musique, dissonante et déjantée, ça trombonne, ça corre, ça trompette et fanfaronne (Ça sert à quoi). Il nous la mâche, nous la narre: « On s’endièse et on bémol / On se cherche et on se colle » et surtout « Tant qu’on vit, jamais on meurt ! »
Alterne chant et conte avec des mots récurrents : ça (Ça m’ira, C’est pour ça), vie, boue, forêt, mer, eau et toutes ses déclinaisons, dentelle, copains, amour, rêve. Chez lui les noms se font verbe (« Je vous printemps ») et les adjectifs adverbes (« tu nages profond ? » ) Il donne la parole à sa belle, peut-être à la vie même : « Je suis la fière fiancée des gouttes / et je ne viendrai qu’en perles / pour arroser vos doutes » tandis que l’orchestre mélodise ou explose.
Sept petites notes entêtantes évoquent les souvenirs d’enfance, de mémé, de papa : « C’est pour ça que je vis / C’est pour ça que je crie, c’est pour ça que j’écris »
L’ogre Lantoine écrit des contes et des comptines pour l’amour de la plus belle femme du monde, la sienne, que tous les jours il va regarder (Le cheveu blanc) à grands accents de guitare et de cuivres. Ou pour dénoncer les ragots racistes et complotistes du café des amis avec cette improvisation si dissonante, et en opposition les douces voix féminines, et celle qui lui enjoint de trouver « les forgeurs de vie » (Ne te méfie pas ). Les chœurs célestes de Saint Claude, qu’il ne sert à rien de prier, la douceur des gouttes d’ Eu’l soleil ou de L’eau thermale, les doux soli de cuivres – trombone, trompette, flûte ou saxo, alternent avec les fracas les plus déjantés, comme dans la vie, lorsqu’il faut choisir entre longs fleuves tranquilles et grands délires, entre vivre doux, et « casse[r] les freins au virage ». Ils ne choisissent pas : « Laissons cet étrange mélange / Couler dans le rythme du sang / On peut bien cabosser un ange / Et dire je t’aime à sa maman ».
Nous, Loïc Lantoine & The Very Big Expérimental Toubifri Orchestra, Irfan Le Label 2017. La page facebook de Loïc Lantoine, c’est ici. Le site du Very Big Expérimental Toubifri Orchestra, c’est là. Celui de Grégoire Gensse, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Loïc Lantoine, c’est là.
Merci, Catherine !
Ton papier est à la hauteur de ce magnifique opus de Lantoine et du VBETO.
Ce double-album est chaleureux, lumineux et reconnaissant, comme un soleil d’hiver.
Il est le reflet fidèle de ceux qui l’ont allumé avec humanité, générosité et ouverture d’esprit.
Car ce qui s’y raconte est à l’image même de l’existence de celui qui en est à l’origine : Grégoire Gensse.
Voili donc un objet musical qui donne en vie.
En vie de danser, en vie de rire, en vie de pleurer, en vie de continuer !
Car Greg, sa forme de génie et les énergies multiples qu’il était capable de transmettre comme personne y sont bel et bien là, irradiants et transcendants.
Alors, merci à Loïc Lantoine, merci au Very Big Experimental Toubifri Orchestra et merci à toi, Catherine, de savoir encore conjuguer Greg Gensse et sa force de vie au présent.