Aubercail 2017 [4/4]. Sapho, du velours sur et sous la Terre
Aubercail ne pouvait trouver meilleure artiste pour célébrer la fraternité que Sapho. Cette chanteuse d’origine judéo-marocaine, au nom choisi en hommage à une poétesse grecque de l’Antiquité, a chanté à Tel Aviv comme à Gaza. Investie pour la paix entre Palestiniens et Israéliens, Sapho lutte depuis toujours contre la pauvreté, pour les droits de l’Homme et le droit des femmes. Sa musique l’a portée depuis les années 70 du conservatoire de Mireille à New-York, Londres et un peu partout dans le monde, où sa poésie est fédératrice et propose la paix.
Elle nous apparaît ce soir sur scène en longue robe de tulle blanc, s’accompagnant à la guitare pour un premier titre en arabe. Le look toujours excentrique, la voix envoûtante, résolument punk dans l’âme, voici une artiste qui sait conjuguer les influences orientales arabo-andalouses et des morceaux classiques de Mozart, Bach, Chopin, Satie, sur lesquels elle a écrit et adapté des textes que l’on retrouve sur son dernier album, Velours sous la terre, qu’elle chantera pour partie ce soir.
Accompagnée par ses musiciens à la batterie, guitare classique, guitare basse, clavier et violon arabe, Sapho danse, virevolte avec son foulard d’étoffe blanche. L’artiste soigne une esthétique et une mise en scène très écrite tout en laissant la place à l’improvisation et aux échanges avec le public. Elle invitera même certains à venir faire la fête et à danser sur scène avec elle. C’est un concert très visuel dont on retiendra une séquence magnifique autant pour le symbole que pour le plaisir des yeux : Sapho s’empare d’un livre qu’elle ouvre et d’où jaillit une lumière intense. On notera ce très bel hommage à Lou Reed et au Velvet Underground avec l’interprétation de la reprise de Magician : « Magicien prends mon esprit / A l’intérieur je suis jeune et plein de vie / Il y a tant de choses à faire / Il est trop tôt pour terminer ma vie ».
Quelle bonne idée d’agrémenter la setlist par ce Maman j’aime les voyous. Cette chanson écrite pour le film Rue du départ de Tony Gatlif, figure sur un des plus beaux albums de Sapho, Jardin andalou. Sapho y fait un clin d’œil avec un mix du célèbre titre Mamma ya jullika lioubliou (Maman, j’aime un voyou). Cette vieille rengaine russe tzigane a été chantée, entre autres, par Aliocha Dimitrievitch. Vous ne connaissez pas ? ce n’est pas grave : il vous reste les Yeux Noirs pour pleurer. Enfin, Sapho met en musique la poésie rimbaldienne avec Le Dormeur du Val : « Il dort dans le soleil / La main sur sa poitrine / Tranquille / Il a deux trous rouges au côté droit ». Ce texte est construit comme une composition picturale et son absence de violence renforce l’absurdité de la guerre dont Sapho se fait l’écho pour dénoncer les horreurs d’Alep ou de partout dans le monde. Si parfois les chansons de Sapho ne sont pas d’un abord aisé et qu’elles peinent à nous toucher dès la première écoute, sur scène l’émotion vient A l’arrache : « Je n’ai pas le choix / Je crache bravache mon cœur / J’ai peur, à dessein je braille / Je me bourrerai de bourrache / La vache ». Singulier concert que nous recommandons chaleureusement à celles et ceux qui n’ont pas encore eu la chance de découvrir cette artiste en tous points unique.
Le site de Sapho, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là. Retrouvez toutes les photos de Sapho par Vincent Capraro ici.
Puisque l’autruche (qui orne l’affiche d’Aubercail cette année) vit autour des 70 ans, vous aurez compris que nous avons encore de belles années de partage, de chansons, à vivre à Aubervilliers. Nous souhaitons longue vie à ce festival hors normes qui chaque année s’emploie courageusement à faire vivre la chanson avec de beaux artistes malgré la chute vertigineuse des subventions année après année. Dans le tumulte ambiant, ce havre de paix, d’humour et d’intelligence devient rare et précieux. Rendez vous pour l’édition 2018, avec, cette fois, peut-être un gorille sur l’affiche ? Il y a peu de chance : on sait bien qu’il ne brille ni par le goût ni par l’esprit !
Pour mémoire, Jean-Marc Coquerel, un de nos collègues photographe, ami du festival, a édité un superbe album que l’on retrouve en commande sur son site. C’est ici.
Je crois que le Voleur de chevaux de Marina Vlady est aussi une adaptation de Mamma ya jullika lioubliou
https://www.youtube.com/watch?v=87azlzE1Qpg