Candidats et chanteurs : la déchirure
Les us et coutumes se perdent : la chanson déserte non le terrain politique mais l’engagement partisan. Ce n’est pas cette année que nous aurons une chanson de Didier Barbelivien pour vanter le vertueux chevalier blanc de Sablé-sur-Sarthe. Riez, aux présidentielles précédentes – et depuis longtemps, d’ailleurs – chaque « grand » candidat avait sa chanson de campagne, que jamais l’interprète ne reprenait après coup dans son répertoire habituel, tant parfois elle s’ébrouait dans le total ridicule. Ainsi donc Barbelivien, pour Sarkozy, il y a cinq ans : « La crise a envahi le Monde / Tu t’es battu chaque seconde / Dans cette course au Tour de France / Il faut que France garde sa chance / Je veux une France qui respire / Pour nos enfants un avenir » (Énergie).
Plus de chansons de campagne désormais, mais des emprunts à la sono mondiale pour chauffer les salles, galvaniser les foules…
Jadis, les artistes participaient à l’image d’un candidat. Johnny Hallyday successivement aux côtés de Giscard d’Estaing, Chirac ou Sarkozy, Enrico Macias chantant (poï, poï) Ah qu’elles sont jolies les femmes de Sarkozy, Charles Dumont s’offrant aux LePen, Cali tout frétillant devant Ségolène Royal, ça faisait partie du paysage. Mais ça, c’est bien fini. Déjà que le métier est difficile, que la vente de disques est nettement en déclin, la cote des hommes politiques est telle qu’on ne va pas griller ses cartouches en figurant sur la photo avec Wauquiez ou Chatel, encore moins avec le mari de Pénélope. Précisons que Renaud a enfin déserté l’homme aux coûteux costumes. Début février, arrivant sur scène à Annecy, il a lancé un définitif « François et sa Pénélope, dehors ! »
Rares sont donc les chanteurs qui s’affichent en cette campagne 2017 en meeting avec un candidat. Ou ne serait-ce que par un simple soutien. À notre connaissance, seule Françoise Hardy soutient Emmanuel Macron. Elle qui n’avait pas assez de mots et d’insultes pour fustiger le président Hollande virerait-elle de bord ? C’est vrai que c’est son Dutronc de compagnon qui naguère chantait L’opportuniste. Jean-Luc Mélenchon, lui, est une exception : Mélissmell, Bernard Lavilliers, Nilda Fernandez, Juliette, Soan, Sanseverino, Ridan, Bob Solo, Agnès Bihl, Bruno Ruiz, Richard Bohringer… On se souvient aussi du poème de François Morel à l’adresse de Mélenchon : « Voici que l’espérance aujourd’hui a un nom, un prénom et la voix de Jean-Luc Mélenchon. » Le candidat de La France insoumise est la seule tête d’affiche à afficher tant de soutiens… Sauf erreur ou omission (n’hésitez pas, si c’est le cas, à compléter cet article par vos commentaires), nos amis les chanteurs sont peu ou pas attirés par les autres candidats. Étonnant d’ailleurs pour Benoît Hamon, qui fut le seul candidat à la primaire socialiste à spontanément défendre les intermittents et parler de culture.
La chanson est-elle à ce point en disgrâce pour que les politiques ne fassent plus appel à elle ? Sans doute. À force de nous convaincre de partout que la chanson c’est ringard, les communicants des politiques se gardent bien de l’envisager.
Mais la chanson vit sa vie, autonome. Alors que, pareillement, on tente de nous faire croire que la chanson engagée n’existe plus (rassurez-vous, si elle n’existe plus, c’est seulement dans les médias).
Il ne faut pas confondre « chanson » et « chansonnier ». Si les chansonniers alimentent leur art de l’actu politique souvent par des pastiches vite obsolètes, la chanson est autre chose. Qui, à quelques exceptions près, s’est désintéressée des personnages politiques présents. Si jamais homme d’État français n’a eu autant de chansons sur lui que Nicolas Sarkozy (lire le livre Si Sarkozy m’était chanté), son ancien premier ministre a que dalle dans sa gibecière. Même le président sortant sort presque bredouille, mis à part une chanson de Manu Lods, une de Reno Bistan (en vidéo ci-dessous), une autre de Mickey 3D et, si on veut, un pingouin de Carla Bruni. Seule présente (très présente !), Marine Le Pen. Elle est même en passe de battre son père sur le nombre de chansons qui lui sont consacrées : que des attaques frontales on vous rassure. Le journaliste Baptiste Vignol avait, il y a une bonne dizaine d’années, écrit un livre, La chanson qui emmerde le Front national : avec toutes les chansons nouvelles sorties depuis, il peut facilement publier le tome 2 et envisager le suivant.
Le site pour soutenir l’album de Philippe Séranne, c’est ici. Pour le télécharger, c’est là.
« Si Sarkozy m’était chanté », le livre
L’ère Sarkozy est terminée. Euh, pas vraiment, si on observe bien les faits et gestes de celui qui agit désormais en sous-main, « parrain » qu’il est de la Droite, avec toujours l’espoir de re-devenir le recours, l’homme providentiel, presque le Messie. Il fut en tout cas l’homme d’Etat français à avoir été le plus chanté de tous. Même Napoléon ne le fut pas tant, ou alors vingt ans après sa mort, pour en perpétuer le souvenir. Ce livre, Si Sarkozy m’était chanté, est d’abord un livre d’Histoire. Histoire de la chanson d’opinion appliquée aux présidents de la Ve République, principalement le 6e, celui à la Rolex et aux talonnettes. C’est une anthologie actuelle de la chanson engagée, de toute la chanson. Avec, non des secrets d’Etat, mais des anecdotes, parfois surprenantes. Et le récit, pas à pas, de dix ans de sarkozysme, de son entrée place Beauvau à sa sortie de l’Elysée : une « biographie » hors normes, écrite et chantée par plus de 200 artistes et 300 chansons.
Hors-commerce, à commander à l’auteur : Michel Kemper, en message privé facebook, ou par correspondance : 11a rue Président-Allende 42240 Unieux. 25 euros port compris, avec dédicace.
http://www.dailymotion.com/video/x1iiqge
à la marge de la chanson, il en est une autre, dont P. S. fait pleinement partie
Puisse-t-elle dire vrai sa jolie chanson de Philippe Séranne…
Merci pour cet (encore) excellent papier dans « NosEnchanteurs », en suggérant d’ajouter parmi les exemples le spectacle Frère Animal – Second Tour actuellement en tournée, avant une soirée exceptionnelle le 21 avril au Trianon (Paris), avec des invités comme Bernard Lavilliers, Jeanne Cherhal, Gaëtan Roussel (et d’autres !).
…et si c’etait la politique qui ne méritait plus une chanson ?
C’est d’ailleurs le thème de ma dernière… chanson !
Au meeting de Hamon à Bercy, il y avait le groupe Debout sur le Zinc !
Ce n’est pas un soutien déclaré. Au sein du groupe, ils ne voteront pas tous Hamon mais quand même!
Lu sur Le Figaro, ce 3 avril 2017:
Après son béguin pour Fillon, Renaud votera Macron
Emmanuel Macron est «le seul qui me paraît intègre, le seul sans parti, le seul sans casserole au cul et la seule alternative aux Le Pen et aux Fillon», a estimé lundi le chanteur Renaud, suscitant de nombreux commentaires négatifs.
«Puisque les médias ne vont pas tarder à me harceler pour savoir pour qui je vote, je réponds une fois pour toutes Macron», ajoute-t-il dans ce message certifié par sa maison de disques et publié sur la page Facebook d’un groupe de fans qu’il utilise régulièrement. «(…) Quant au PS divisé entre Hamon et Mélenchon, j’eusse voté pour eux s’ils avaient trouvé une alliance mais il semble que se soit râpé, problème d’égos personnels», observe le chanteur, avant de conclure: «Quant aux petits candidats, ils représentent tellement peu que voter pour eux ou s’abstenir ce n’est que du pain béni pour l’extrême droite. Longue vie à “En Marche”».
Plusieurs heures après la publication du message, de nombreux membres de cette page Facebook dénonçaient son choix, parfois avec virulence: «Renaud le phénix, je t’adore mais là je te comprends pas, Macron c’est un arriviste qui fait une politique de droite avec des gens de gauche…»; «Renaud qui a toujours défendu les petites gens serait prêt à voter Macron. Eh bien décidément tout fout le camp!»; «Renaud je t’aime… mais Macron????. Grosse déception… toi qui étais communiste, tu votes pour le défenseur du système bancaire et des grandes fortunes…????»; «Quel paradoxe entre tes chansons et ce choix… qui nous déçoit tellement!! Comment a-t-on pu être aussi engagé et avoir ce genre d’idées en vieillissant!! Triste…».
Après avoir embrassé un flic, adoré Fillon,espéré voter Mélenchamon, le voilà qui roule pour Macron…
Toujours debout, Renard ?
>Il y en a encore qui sont étonnés par la déclaration de Renaud?
C’est ça, moi, qui m’étonne, pas le vote du chanteur.
Il y a un an, dans ces colonnes (voir : Renaud, l’émotion lui va si bien), j’avais déjà expliqué pourquoi ce qui étonne encore ne m’étonnait pas. Et ce, depuis quarante ans… Une fois de plus, j’en ai la confirmation.