Jeanne Rochette joue les fines mouches
Cachée, oui : ce n’est pas le portrait de la souriante Jeanne Rochette qui figure sur la pochette de ce nouvel et second album. Mais bien une photo du village de ses vacances d’enfant, comme on en a tous au fond de nos Armoires vides, la voisine généreuse chez qui on allait goûter, les hommes en train de discuter en amitié, et la petite Jeanne qui nous tourne le dos…On voit déjà que Jeanne n’a pas envie de rentrer dans le rang, de séduire par des chansons faciles. Tendresse, humour et dérision se mêlent dans ses chansons, comme cette Paroles d’amie qui caricature les conseils de développement personnel des magazines féminins. Son nom laisserait croire qu’elle est du Québec, d’autant plus qu’elle y est restée dix ans (elle a désormais la double nationalité française et canadienne) et que ce second album (après Elle sort, 2010) est signé du réalisateur de Fred Pellerin : Jeannot Bournival. Mais non, il s’agit bien d’une Parisienne au physique espiègle, à la beauté naturelle, auteur et compositeur de toutes ses chansons et pianiste de surcroît.
Séduisante, agaçante, caressante, menaçante, innocente ou fatale, murmurante ou lyrique, vrai miroir des sentiments contradictoires enfouis au plus profond de nos personnages sociaux, c’est sans doute Jeux de rôles qui nous la dévoile le mieux. « Je fais le loup, après c’est toi / Chacun son tour, chacun sa croix / Panthère ou pigeon / La vie, c’est ça ».
Jeanne peut nous faire penser, dans Paris ou Les Armoires vides (délicate évocation du passé, par la vente d’une maison), à Danielle Licari et ses dabada, à un Saint-Preux inspiré par Bach. Ou à Sabine Paturel, petite fille perverse, et à sa musique dansante, dans l’Escalier (dont je ne vous dévoilerai pas la chute), où basson et hautbois répondent allègrement aux violons.
Sa voix aérienne, subtile, cascade d’une syllabe à l’autre entre voix de tête et accents doux et graves, sur des musiques qui empruntent aussi bien au classique qu’au jazz ou aux musiques du monde (douce mélodie aquatique d’Oualissa), bien servie par François Bourassa au piano (quand elle ne s’y met pas elle-même), Philippe Melanson à la batterie et Mathieu Désy (arrangeur et co-réalisateur du CD) à la contrebasse, auxquels s’ajoutent d’autres musiciens pour les cordes, les cuivres et les bois.
De son passé de comédienne elle a gardé le goût des scénarios bien ficelés, chaque chanson contant une histoire originale, comme celle de cette étonnante Mouche prisonnière évoquée à la première personne, telle une allégorie de la différence. Ou cette touchante introspection, Et si, évoquant une petite sœur disparue. Enfin l’amour se décline, dans une expression hardie et délicate à la fois (« Ce mec animal qui me renifle en passant / Ce mec cannibale me déshabille avec les dents / Ce mec inconnu jusque-là / Qui vient me dévorer la nuit ») ou tendrement poétique, dans cet Etre là qui conte tous les sentiments d’une femme amoureuse, jusqu’au don de la vie ; ou dans le titre éponyme, susurré sur quelques notes de piano égrenées délicatement : « Me cacher, m’immiscer dans ton cœur / Et le garder pour moi / Cachée sous le lierre / Moi, je donnerais tout pour être là ». Ce là qui devient la la la…
Jeanne Rochette, Cachée, Outside music/L’Autre distribution 2016. Le site de Jeanne Rochette, c’est ici. Jeanne Rochette figure parmi les 7 finalistes du Prix Georges-Moustaki 2017.
Très bel article de Catherine Laugier. D’une grande justesse et bien écrit. Ça fait plaisir !
Et, juste pour info, Catherine… À propos de cette photo un peu énigmatique je l’avoue… Elle a été prise par Marie-Lucie Poulain, à Château-Chalon, dans la rue des Chèvres où nous avions la maison dans le Jura. Sur la photo… Mon père, Philippe Rochette, Michel Crespin et sa moustache, la Gaby qui avait des vaches et chez qui j’allais manger des fraises des bois en cachette et bibi de dos… Une photo qui en dit long finalement !
A n’en pas douter, le prix Georges Moustaki récompensera cette année encore un(e) artiste de talent.
Si Jeanne Rochette a toutes ses chances il ne faut pas oublier non plus Clio, Lépoldine HH ou Bergame…