Tout ce qui brille est Doré

Je ne sais pas s’il est de bon ton de proclamer que l’on apprécie Julien Doré. L’homme a une image d’artiste branchouille énervante et de romantique écorché vif ostentatoire, qui peut provoquer l’adhésion (il est unique !) comme le rejet (totalement surestimé !). Pourtant, son CD précédent, Løve, paru en 2013, était une très belle réussite, récompensée par une Victoire de la Musique (je sais, ce n’est pas forcément un gage de qualité !) et par un réel succès populaire. Par ailleurs, pour l’avoir applaudi à deux reprises déjà, je peux affirmer que le chanteur au charisme non feint et son répertoire tiennent très bien la route, la bête de scène qui n’hésite pas à en faire des tonnes se mariant fort bien avec les ambiances mi-enjouées, mi-dépressives de ses chansons. Autant de qualités qui font pencher la balance dans le bon sens.

Bien évidemment, pour les tenants de la chanson à beau texte, l’artiste fera plutôt l’unanimité dans l’autre sens. Reconnaissons que l’auteur qu’il est ne brille pas par la clarté de son message – la poésie a souvent bon dos ! – , ni par la richesse du vocabulaire utilisé (qu’aurait-il écrit pour sa nouvelle galette si on lui avait interdit les mots plage, nage, vague, spleen ou horizon ?). La moquerie est donc aisée, à condition d’oublier que ces travers se retrouvent chez nombre de ses confrères, en commençant par celui dont il est incontestablement le plus proche, le vétéran Christophe.

Qu’importe pourtant ? La chanson, n’est-ce pas paroles et musique ? Ne forme-t-elle pas un tout, la faiblesse d’une des deux branches pouvant être compensée par la force de l’autre ? Et dans cette équation, ne serait-ce pas au final la troisième inconnue qui emportera –ou non – l’auditeur : la voix et l’interprétation ? Sur ce plan, difficile de nier la personnalité écrasante de Julien Doré : son timbre de voix, rauque et voilé à souhait, est unique et son chant reconnaissable entre mille. Que l’on aime ou pas, on ne peut l’ignorer !

Est-ce bien utile dès lors de faire la fine bouche ? Notre dandy triste donne dans la chanson qui fait rêver et qui vous emporte dans un univers musical où les mots n’ont d’importance que pour leur pouvoir d’évocation. Les préceptes de la pop anglo-saxonne appliqués à la chanson française, quoi… Et dans ce style, il remplit admirablement son contrat.

Son nouvel opus, laconiquement intitulé &, ne convaincra probablement pas les allergiques à l’artiste mais ravira tous ses admirateurs. Dans la droite ligne du précédent, concoctée par la même équipe de fidèles (même musiciens et même réalisateur, Antoine Gaillet, également à l’œuvre sur le dernier Miossec), c’est une copieuse galette de treize chansons (dont une en italien) pour une petite cinquantaine de minutes. L’ensemble est cohérent de bout en bout. Pas d’orchestre à cordes ni de chœur pléthorique. Juste quelques instruments (guitares, claviers, percussions et programmations) pour une collection de chansons pop-rock aux mélodies imparables. Il y sera question essentiellement d’amours défuntes que l’on essaie d’oublier, le ton restant bien entendu mélancolique. Coup de cœur en particulier pour le morceau qui ferme le bal (De mes sombres archives), à l’introduction pianistique lancinante et aux noires envolées synthétiques.

Tout laisse croire que ce disque vaudra à son auteur un appréciable succès. On ne peut que s’en réjouir pour cet artiste honorable, qui mène très intelligemment sa carrière et trace sa voie sans tomber dans la facilité. A un tel niveau médiatique, ce n’est pas si courant…

Le site de Julien Doré, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.