Xavier Renard : la vie des gens dans la ville-terrier
Entre deux toiles, Xavier Renard travaille la matière et la couleur autrement : dans la gamme de gris de la ville, de ses néons, de ses petites lumières, en chansons, en concerts, en albums. Quatrième opus (et quelques ep) pour cet enseignant d’arts plastiques et artiste à la large palette. Ça se nomme La vie des gens et ne pourrait guère s’intituler autrement tant il est vrai que c’est la vie qui irrigue les veines de ses chansons, vie de villes, vers urbains, tramways qui serpentent, courses infernales contre le temps… qui parfois rêvent d’ailleurs, d’Argentine, de longues distances. « A-t’elle une horloge, la planète ? / Fuseaux horaires / Des calculs dans nos artères, nos pendules. »
Ce n’est pas hymne à la ville pourtant, loin s’en faut : les chansons de Xavier Renard ont une force documentaire rare, envoyées spéciales sur le terrain, à même les trottoirs, le bitume. Qui saisissent l’instant, la dérisoire urgence, le temps qu’on gagne, celui qu’on perd. Rusé, Renard nous parle de La vie des gens en espérant l’avis des gens. Et quand il nous chante Lucifer, on croit entendre en écho, en renfort, en observateur d’en haut, Brel en rire : « Ça va ! » Renard est comme cet ange des Ailes du désir, tendre et empathique, qui se mêle aux gens, lui dans des endroits où malheureusement tout est possible. Et en ces tarmacs et aiguillages, artères, lieux de triage où s’oriente bien souvent le destin des gens.
Dans le gris sale de la ville. Ainsi celle qui, de Jaurès à Barbès, a faim et « attend le surplus des primeurs de passage dans la rue ». Et ceux, fragiles, Paris 20e, proie des marchands de sommeil, « dernier étage, douze mètres carré / c’était à prendre ou à laisser », condamnés à ne jamais se plaindre, seulement rêver. C’est la triste vie des gens, oui.
Moult chansons célèbrent la Capitale, on le sait : le disque de Renard, lui, est son envers, l’enfer du décor. L’humain y est au service et aux sévices d’une machine urbaine infernale. Alain Souchon dirait C’est déjà ça. C’est en pensant à Souchon d’ailleurs qu’on écoute La cinquantaine aviateur : « La cinquantaine aviateur / On m’a dit passe au hangar / La révision du moteur est obligatoire (…) On m’a dit sois lucide / Regarde le compteur / Le réservoir se vide. » Lui aussi n’a pas assez d’essence pour faire la route dans l’autre sens…
Disque passionnant, superbe même pour qui prend le temps de s’y arrêter, mais qui ne brille pas d’un fol optimisme, photographies de la vie en noir et blanc, gamme de gris, gros grain. Un peu à la manière de pierres qui font et limitent le décor ; qui, agencées en murs, en frontières, font obstacle à la vue, à la vie. Dans le paysage urbain, autres pierres possibles, des statues, paradoxalement plus vivantes. Et Rodin qui pense encore aux Mains de Camille quand celle-ci dort à l’asile…
Les instruments tissent l’ambiance et trament la dramaturgie : foule d’instruments pour peu de musiciens. Kénas, dobro, clarinette, cajón, ukulélé, percussions et batterie, guitares rythmiques et électriques, les notes sont prenantes, précieuses qui participent de superbe manière à cet opus qu’on peut user sur nos platines, qui chaque fois crachera d’autres rues encore, d’autres vies qui n’en sont pas. Ou y ressemblent si peu.
Xavier Renard, La vie des gens, autoproduit 2016. Le site de Xavier Renard, c’est ici.
Un très grand merci à Michel. Profondément touché. Comblé.