Leprest par Torreton : désenchanté, réenchanté
« Mec, tu dis jamais rien, et moi je cause... »
Étrange disque que celui-ci, étrange spectacle aussi…
L’un est Leprest, mort au chant d’honneur, un artiste d’exception qui, même privé de reconnaissance du métier et du grand public, taille sa route lentement mais sûrement dans la mémoire de son art, dans l’anthologie des géants dont il fait ou fera partie.
L’autre est Torreton, acteur au théâtre comme au cinéma, fidèle de Molière comme de Tavernier, grande gueule citoyenne aussi qui n’hésite jamais à appeler un chat un chat et un Depardieu un exilé fiscal. Torreton aime la justesse et le précision du mot.
Le troisième, Edward Perraud, est un batteur battant, percussionniste et guitariste, trublion du son…
C’est un disque de chansons déchantées. Sans musiques, qui font fi de celles de Didier, Galliano, Goupil, Duteil, Précastelli, Plaquevent, Ferrat et autres qui les ont créées. Sans musiques mais pas sans son. Car ici compte Perraud.
Torreton dit du Leprest comme il dirait du Rimbaud, de l’Apollinaire, du Prévert, du Poquelin… Avec passion, avec gourmandise et délectation. Avec la satisfaction de se mettre en voix des vers inspirés, précis, travaillés à la perfection.
Une chanson c’est, en tempo normal, paroles et musique. Tradition et éducation font que souvent le texte l’emporte en ce pays, qui d’un poil supplante les notes dans la préoccupation des amateurs de chanson. Parfois même les vers nus peuvent se suffire à eux-mêmes. Ce n’est pas pour rien qu’on feuillette le livret d’un disque avant même de poser le laser sur la platine.
La voix de Torreton donne le ton, typographie le verbe, modère et module les mots, mesure le flot de l’émotion. Et ces vers, pas tous alexandrins, de prendre tout l’espace avec grande et respectueuse force. Pour un peu, on pourrait ignorer que ces textes furent chansons dans une précédente vie.
Et Perraud que nous conte-il ? Lui élargit la focale, prolonge le verbe, fait de ses baguettes et de sa guitare d’étranges et savoureuses perspectives, participe à la respiration, aux césures, s’empare du silence entre les textes, nous envoie des sons incongrus qui font comme miroir aux mots. Insolite et probant.
Ce disque n’est pas forcément disque d’amateur de chanson, mais il l’est pour tout amoureux de Leprest. Il le sera pour qui aime le verbe, à la fois la luxuriance et la simplicité des mots qui, juxtaposés, fait combinaison d’émotion. Chien d’ivrogne, Ton cul est rond, Il pleut sur la mer, Tu penses à lui, Y’a rien qui s’passe… Le Mec Leprest est ici revisité, mis à nu et de suite réenchanté, magnifié. Reprises, symphonique, lecture, Leprest se prête à tout, génie qu’il fut et est de la plastique du mot. De la transcendance.
Philippe Torreton, Edward Perraud, Allain Leprest, Mec !, Tacet 2015. Le site de ce projet, c’est là. Autre réinterprétation d’Allain Leprest, le « Leprest, pacifiste inconnu » de Jehan sera en bac en début janvier. On vous en parle prochainement.
Ce sera le troisième Noël consécutif que je m’offre un Leprest, après le « Où vont les chevaux quand ils dorment » de l’an passé et le Symphonique de l’année d’avant. Sympathique tradition. En plus, avec Philippe Torreton, Allain Leprest pourrait gagner en audience.
Vu sur scène récemment dans le spectacle Allain Leprest. Un peu cabotin, mais malgré tout très émouvant et très convaincant.
Les paroles tiennent toute seules, sans l’aide de musique. Plus que du dépouillement, la chanson revient à la littérature, comme un fleuve revient à la mer. Peu de chansons et de chanteurs peuvent se prêter à ça. Merci aux enchanteurs de parler de ce disque, même tardivement. Je n’ai rien vu sur ce disque dans la presse ni sur le web, rien de significatif.
Pas beaucoup de retard, le disque étant sorti dans la seconde quinzaine de novembre. Incidemment, nous ne l’avions pas encore reçu : un simple problème postal. Nous ne chroniquons pas un disque sans l’avoir bien écouté au préalable (ça doit se sentir à la lecture de nos articles) et tentons de publier la chronique en temps opportuns, ni avant sa sortie officielle (c’est stupide, ça ne sert pas l’artiste) ni trop longtemps après. Cependant les disques en attente s’accumulent, piles de disques qui augmentent chaque jour plus encore (voir rubrique Disques / Disques reçus sur ce site). Que les artistes sachent que si nous ne chroniquons pas leur disque ce n’est pas forcément parce que nous n’aimons pas (ça nous arrive cependant) mais parce que nous ne pouvons tous les chroniquer et que nous devons faire des choix, alternant des artistes plus connus et d’autres plus confidentiels. Dans ces choix, un Leprest a toutes ses chances, c’est vrai. On le verra bientôt avec le nouveau disque de Jehan qui chante lui-aussi Allain Leprest. MK
Je ne sais si P.Torreton dit des textes qu’il a mis en musique…mais j’en profite pour ajouter à la liste des mélodistes qui comptent le nom de Gérard Pierron que j’associe à Leprest et qui mérite bien d’être cité !
JPaul Gallet.
Oui, Jean-Paul, moi-aussi j’associe pour toujours le nom de Gérard Pierron (autant que Romain Didier) à celui d’Allain Leprest. Seulement là, dans la sélection des chansons par Philippe Torreton, il n’y a aucune chanson composée par Pierron. Ceci explique cela.
Je me réjouis d’écouter le disque de Torreton. Ma seule envie est de donner à Allain Leprest la place qu’il mérite près de Brel et Brassens