Pierre Perret sacré par l’Académie Charles-Cros
Je viens ce soir pour ma récompense
J’avais dit-on des chances infimes
[…]
Je remercie encore ma femme et mon agent
Et ma maman qui m’a fait si intelligent
Pierre Perret, Le trophée, 1992.
Sur le papier, le hasard ne manquait pas de sel. Pierre Perret qui prétend que sa musique est tricarde à France-Inter, tant que pour lui « c’en est le mur de Berlin », a failli être ce jeudi dans un des studios de la maison ronde pour y recevoir l’une des plus belles récompenses qui soient : le Prix In honorem de l’Académie du disque Charles-Cros « pour l’ensemble de sa carrière au service de la chanson, à l’occasion de la publication de Mes femmes (Naïve) et Les grandes pointures de l’histoire (Éditions Le Cherche midi) », un trophée qui est beau et met en exergue 58 ans de carrière. Hélas, cause à l’état d’urgence décrété suite aux attentats de ce tragique vendredi 13 novembre, et malgré que « la musique est revenue » (dixit France-Info) depuis hier dans la Capitale, la cérémonie est annulée. « Je n’écrirai pas de chanson aujourd’hui / Non pas de refrain polisson mes amis / Mon sujet s’envole dans l’air transparent / Et je voudrais dire tant et tant […] C’est Allah qui l’a voulu lanturlu… » Cinglante ironie : l’Académie du disque, grand défenseur – le plus grand sans doute – de la musique dans toute sa diversité se voit couper le micro parce qu’un massacre a eu lien, en grande partie dans une salle de concerts. Comprenne qui peut mais ça ne nous semble pas être une bonne réponse : y a-t-il encore un Ministère de l’Intelligence ?
Pierre Perret est par excellence un chanteur populaire : rares sont ceux qui n’ont pas déjà fredonné une chanson du natif de Castelsarrasin, chaque trois minutes trente de rire ou de tendresse, de gravité parfois. Populaire, rien que de dire ce mot c’est justement se fermer l’antenne de France-Inter. Comment voulez-vous que des gens dits sérieux et modernes, des Varrod et Manoukian, écoutent Au Café du canal, Blanche, Marcel et Le zizi, La porte de ta douche est restée entr’ouverte ? Perret squatta l’antenne souvent, jadis, à chacun de ses tubes, comme quand ses Jolies colonies de vacances ébranlèrent le bel ordonnancement des ondes et réjouirent l’auditoire d’Europe1. En ces temps-là, les radios aimaient encore la Chanson. Certes quelques chansons, plus censurées que d’autres, allaient se perdre dans l’Enfer* de la radio et de la télé publiques, mais le peuple les reprenaient en chœur, transformant l’interdit en peau de zob. Maintenant les grands médias ne supportent plus de la Chanson que celle qui est le fruit d’habiles tractations, de savants dosages, de deals honteux avec les gros labels. La chanson de Pierre Perret n’y a plus sa place, ni elle ni celle (que Perret se rassure, il est loin d’être le seul) de centaines et de milliers d’autres artistes.
Membre du Conseil supérieur de la langue française depuis sa création en 1989, promu au grade de commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2014, Pierre Perret parachève ses lettres de noblesse avec ce Charles-Cros qu’il reçoit aujourd’hui devant hélas personne, prix qui le reconnaît parmi les siens, parmi les très grands de la Chanson, ce qu’il est. Que lui importe le reste ? Une « Victoire » qui ravalerait ses vers au simple rang de musique ? Les millions d’albums vendus sont sa plus belle récompense. Plus belle encore serait que ses chansons s’inscrivent dans le temps, dans la tradition, la patrimoine, jusqu’à perdre le nom de leur créateur, dans cinquante, cent ans ou plus. Au répertoire de Pierre Perret, il y a quelques perles qui appellent et méritent l’immortalité.
Le site de Pierre Perret, c’est ici.
Autres récompenses Chanson de ce 68e Palmarès :
Hubert-Félix Thiéfaine pour Stratégie de l’inespoir (Columbia Sony Music France)
Babx pour Cristal automatique #1 (Bisonbison / L’Autre Distribution)
Grand Corps Malade pour « Il nous restera ça » avec Lino, Jeanne Cherhal, Richard Bohringer, Ben Mazué, Renaud, Erik Orsenna, Luciole, HF Thiéfaine, Fred Pellerin, Charles Aznavour, réalisé par Babx et Angelo Foley (PIAS/L’Autre Distribution)
Grands Prix Charles-Cros Scène (avec la Fédération des Festivals de Chanson Francophone) : Grand Prix Scène à Oxmo Puccino ; Grand Prix Révélation Scène pour Lior Shoov.
Toutes les récompenses (musique contemporaine, musique, classique, jazz, blues, musiques du monde, parole enregistrée, disques pour enfants) sur le site de l’Académie Charles-Cros.
Le lien pour le 68eme palmarès :
http://www.charlescros.org/pdf/palmares2015.pdf
Palmarès intéressant d’une chanson très large, de Grand Corps malade à Pierre Perret (pour l’ensemble de son œuvre il méritait bien cette distinction), de Thiéfaine à Babx. Merci à l’Académie du disque Charles-Cros. Il me semble que, malgré l’état d’urgence qui a bon dos, la ministre de la culture aurait pu « sauver » cette cérémonie par exemple en l’hébergeant exceptionnellement rue de Valois. Cela aurait montré au passage l’intérêt que porte ce ministère à la chanson. J’en conclue que la ministre s’en fout. Comme ses prédécesseurs, comme ses successeurs.
Salut
Je ne sais pas si vous savez ce qui se passe à Paris en ce moment, mais sécuriser un évènement, c’est mobiliser des forces de police qui sont alertées à longueur de journée par des alertes, dont a-priori, on ne sait si elles sont réelles ou non. Dans ce contexte, il y a des priorités, moi aussi je déplore la suppression de cette manifestation, à laquelle je serais allé sans hésiter. Avec tous les aléas de circulation qui perturbent. Ce n’est ni une défense de la ministre, ou de qui que ce soit, simplement un constat. Hier soir je devais aller au Forum Léo Ferré, mais diverses alertes ont tellement ralenti les métros que j’ai dû renoncer. Avec regret. Et bravo à Pierre Perret et à l’Académie pour ce palmarès riche et varié.
Bravo Pierrot ! Il était temps qu’il soit dignement reconnu.