Ils se lèvent tous pour Dimey
Voilà qui présage d’un 15e festival haut en amitiés, en partages, en saveurs ! Ils ont tenu leur pari, l’album est sorti, comme promis, le printemps à peine éclos.
Peut-on rêver meilleure mise en lumières, à quelques semaines de l’événement nogentais, au pays du poète Bernard Dimey ?
Et pourtant on devine aisément la difficulté de l’entreprise. Douze artistes solo ou groupes liés au département originel du poète, la Haute-Marne, se proposent de mettre en musique un texte de Bernard Dimey, de l’interpréter, le récréer en somme. Pour coordonner, assembler, donner du lien, Éric Frasiak accepte d’assurer non seulement la direction artistique, mais aussi la réalisation et le mixage. C’est dire que son année fut une année consacrée au projet.
Aujourd’hui l’album est arrivé, habillé d’une couleur sépia, d’un lavis agrémenté des dessins d’Hervé Le Graët, que son nom raccompagnerait direct à la pointe de la Bretagne, mais non, il est bien, lui aussi, un enfant du Pays ! La silhouette de Bernard Dimey d’abord, homme debout, dont on devine le grain de voix, la main soulignant le propos, et à chaque page les visages des 44 participants. C’est au fond rendre hommage à tous, et c’est justice !
Émouvante idée que celle de laisser la jeune génération s’emparer de textes du poète à sa fantaisie. Y poser ses notes, son style, faire danser, chalouper, dire au fond que rien ne meurt, tout se transforme, au gré des ans et des mondes qui naissent sous les doigts des musiciens.
C’est afficher une fois pour toute qu’une œuvre n’est grande que si elle peut à jamais atteindre le cœur des hommes de toutes époques, de tous âges. C’est là son universalité et son brin d’éternité que Bernard Dimey, lui, n’osait espérer. C’est Céline Bardin et sa belle voix claire qui, avec les Tractions, nous rappelle ces « refrains qu’on fredonne en sourdine…c’est comme un beau poison qu’on aurait dans la peau. » Et comme en écho et en prêt à danser, le quintet de Joli Falzar a choisi « Accordéons éteints dans les greniers du Diable // La poussière du temps ne peut rien contre vous ». Et comme un credo, le premier morceau de l’album, Retrouver le Français, qui chaloupe au son du violon et de la clarinette de Casius Belli rappelle que tous ces jolis mots sont autant d’hommage à ce vieux langage qu’il faut sauver de l’invasion de l’anglais ! Avouez que le choix de la chanson a de quoi surprendre… et rassurer !
Mais les textes de Bernard Dimey gagnent leur universalité parce qu’ils touchent à nos sentiments les plus intimes et c’est dans ce registre là que les jeunes musiciens ont le plus souvent puisé. Le temps qui passe et cette sensation d’une vie qui s’effiloche (dépouillement de l’interprétation de Dorothée Daniel, Les enfants de Louxor, seule au piano), la solitude et le doute (J’aimerais tant savoir, Bagad Café), la folie des hommes, Le grand duc, douloureusement actuelle, hélas, par Tournelune où le saxo a des accents poignants, l’imbécilité des bavards, Quand on n’a rien à dire par DixWatts et la voix sans concession d’Anicet Seurre.
Enfin on s’arrêtera particulièrement sur ces textes davantage dits que chantés, ces voix qui placent le texte en majesté, dans une atmosphère électro très contemporaine : Ya-Ourt dans A paris y a des ponts, Cédric Barré dans Chanson des amours mortes et son lyrisme verlainien, Arnaud Laumont / Millefeuille dans Je ne sais pas du tout pourquoi (douloureuse nostalgie de l’enfance !), morceau pathétique qui rappelle les recherches de Nevche… et enfin Christophe Rémy et ses Mot’Ziciens qui ose avec brio, sur les cris déchirants des guitares électriques, le désespoir, la violence de La colère.
En final, la célébrissime Syracuse rassemble les douze participants, accompagnés par Éric Frasiak. On referme alors l’album en songeant une fois encore à l’écriture exceptionnelle de Bernard Dimey qui toute sa vie durant cultiva l’art de rimer avec sa mélancolie et ses rêves.
Par ordre d’apparition sur l’album : Casius Belli – Ya-Ourt – Joli Falzar – Cédric Barré – Dorothée Daniel – Bagad Café – Arnaud Laumont/Millefeuille – Céline Bardin et les Tractions Avant – Christophe Rémy et ses Mot’Ziciens – Tournelune – Dixwatts – Collectif Dimey Pluriel.
Le Festival Bernard-Dimey, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de ce projet discographique, c’est là.
Merci Claude.
Un bien bel article. Je ne t’ai pas dit comment m’est venue l’idée de cet album.
Un après-midi d’automne à la terrasse de ma maison, surgit un gros nuage qui prend la forme du visage de Dimey. Derrière lui, une nuée de petits nuages qui courent derrière lui (ça m’a fait penser à la pochette intérieure d’un album de Chicago). Je me suis dit, offrons la possibilité aux artistes de ce département de Haute-Marne de rejoindre Dimey, artistiquement. La suite, tu l’as écoutée.
Encore merci.
Anicet
Le vieux Bernard
Le vieux Bernard est mort,
Pas si vieux, pas si mort,
Et ses mots chant’nt encore
Du côté de Montmartre.
Son vieux cœur cabossé
Qui en a vu passer,
Par son encre versée
N’a pas cessé de battre.
Les enfants de Louxor
Sont à peine orphelins,
Emportant ses trésors
Dans le creux de leurs mains.
Et qu’ils se soient connus
Ou ratés de mille ans,
Cela n’importe plus,
Ils se touche(nt) à présent.
Le vieux Bernard est là,
Pas si vieux, pas si las,
J’entends venir son pas
Au détour d’un bouquin.
Je le vois agiter
Ses manches élimées,
Jurant de s’envoler
Avant le jour prochain.
Le quartier des Abbesses
N’a pas rendu son âme,
Sous les néons en liesse
Couve encore une flamme.
Celle qu’entre ses doigts
Il roulait à minuit,
Faisant feu de tout bois
Pour baliser ses nuits.
Le vieux Bernard est mort,
Pas si vieux, pas si mort,
Voici qu’il règne encore,
Superbe roi de rien.
Et dans sa silhouette
Imposante et désuète,
Danse l’ombre fluette
D’un espiègle gamin.
Son royaume est ouvert
Aux quatre vérités,
On y compte les verres
Comme on compte les pieds.
Si le bout de sa rue
Devient le bout du monde,
Ne vous étonnez plus,
Même la terre est ronde.
Le vieux Bernard est mort,
Pas si vieux, pas si mort,
Et Dimey chante encore