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Soirées à l’affut : cynégét(h)ique de la Chanson

Vincha (photos Annie Gaspard)

Vincha (photos Annie Gaspard)

Vous ne savez pas quoi ? Vous êtes des petits chanceux… Si. Je vais de ce pas vous emmener, dans ma gibecière, en plein cœur des  étonnantes Soirées à l’affut : il s’agit de la très originale présentation de saison de Zamora Productions, eux même chasseurs de talent(s). Et pour cela, nous partons de ce pas au Musée de la Chasse et de la Nature, typiquement l’endroit où je n’aurais (bêtement) jamais mis les pieds de moi-même… Niché en plein cœur du Marais, au sein du somptueux Hôtel de Guénégaud, construit au XVII par François Mansart lui-même, ce musée totalement atypique est inconnu des parisiens les mieux renseignés. Imaginez… Imaginez un endroit incroyable, féerique, hors du temps, abritant des œuvres d’art contemporain disséminées au beau milieu de collections pléthoriques, armes anciennes, animaux empaillés, tentures de scènes de chasse et cabinets de curiosités. Sans forfanterie, je crois qu’il en faut pas mal pour m’étonner. Mais là… Le musée, fascinant et presque mortifère, est entièrement privatisé pour la soirée et nous nous retrouvons, quelques dizaines de happy fews, à gravir l’escalier monumental menant au premier étage. Un ours polaire gigantesque nous accueille, dressé de toute sa hauteur, toutes canines apparentes. Et c’est un incroyable capharnaüm très bien mis en scène, un inventaire à la Prévert parmi lequel nous déambulons librement en attendant les surprises que nous réserve la soirée : parquets craquants, vitrines d’armes-bijoux (arquebuses à mèches aux crosses damasquinées de nacre et d’ivoire, fusil à silex, arbalètes à cranequins et autres escopettes), calibreuse à plombs, poires à poudre ouvragées, sculptures animalières, bois de cerfs, colliers à pointes anti-loups, chaperons de fauconnerie, antique visionneuse stéréotypique, tableaux de genre à profusion, secrétaires en marqueterie, collection de tête de sanglier en céramique (ça existe…), collection de nids d’oiseaux, collection d’appeaux, collection d’animaux naturalisés dans tous les recoins, tout un petit monde animal figé pour l’éternité dans les positions les plus naturelles. Sur un fauteuil Louis XIII, un mignon renard est blotti, le nez entre les pattes, plongé dans un sommeil mortel… Dans une salle gigantesque, les murs sont tapissés de trophées de chasse semblant nous suivre de leurs yeux de verre : guépards, tigres, phacochères, lion, oryx, élan, bison, buffle, babiroussa, sanglier… Entre kitsch total, mauvais gout funèbre et pièces historiques d’exception, je ne me laisserais pas enfermer pour la nuit au milieu de ces lourdes tentures cramoisies. Quoi que… Dans un coin, la carcasse d’une antique Fiat 500 mangée par la rouille abrite un bouquet d’arbres faméliques desséchés. Subtilité de l’Art Contemporain… Ailleurs encore, une porte mène à la pénombre d’une sorte de cabinet des mirages au plafond auréolé de têtes de rapaces nocturnes. Brrrrr… L’ambiance, fantasmagorique et oppressante tout à la fois, évoque une sorte de musée du Louvre cynégétique, on se croirait un peu dans le château de la Belle et la Bête revisité par Cocteau.

Et la musique, et la chanson, dans tout cela, me direz-vous après ce long, mais nécessaire, préambule ? Au détour des salles, avec, avouons-le un petit sentiment diffus d’être un peu privilégié d’y être, nous croisons peu à peu moult professionnels de la profession (au hasard, Fantazio, Lola Lafon, d’éminents programmateurs aussi…), puis, au hasard d’un couloir, un semblant d’installation, ici, là, et encore ici. De-ci de là, des instruments semblent abandonnés, attendant qui sait une étincelle de vie, un souffle, une chanson pourquoi pas…

Nevche

Nevche

Un son discret de guitare électrique s’élève du côté de la salle d’armes, nos pas nous y mènent, badins, et tombent nez-à-nez avec la Gretsch de Nevche, ex-Nevcheherlian… Le premier refrain, entêtant, s’élève : « Galope, te dis-je, galope… » Juste au dessus du chanteur et de son violoncelliste, une immense toile peinte représente un cheval agonisant dévoré par une meute de loups… Frissons. Le titre suivant, Tout est égal et important, sorte de long slam hypnotique, est l’occasion d’un joli jeu de scène, les nombreuse feuilles mortes du texte s’envolant au fil de la lecture jusqu’à joncher intégralement le sol de la pièce, manteau de neige textuel sur papier glacé… Une dernière larme du violoncelle nous invite à suivre la musique dans une autre pièce et le principe de la soirée se fait jour : une déambulation d’un artiste à un autre, d’un lieu à un autre, pour trois ou quatre titres éthérés et alléchants.

Klo Pelgag

Klo Pelgag

C’est la fantasque Klo Pelgag que nous retrouvons au clavier, accompagnée d’un contrebassiste portant chapka et d’un loup féroce veillant sur son set, le tout devant une extraordinaire tapisserie figurant une chasse à l’épieu… Le cadre surréaliste colle à merveille à ses textes déjantés toujours aussi barrés et emplis de poésie. Avec Klo Pelgag, il n’y a pas de milieu : ou on adore, ou on adore. Personnellement, j’adore… Le titre Taxidermie s’impose bien évidemment ensuite, tout comme La fièvre des fleurs, dans lequel elle visite un nouveau pays nommé Chimiothérapie. Une incroyable présence, une belle maitrise pianistique, une magie étrange et intemporelle.

C’est littéralement aux pieds (aux pattes ?) du fameux ours blanc susnommé que nous nous retrouvons ensuite pour la prestation sympathique de Vincha, poète urbain encasquetté adepte des mots dits et des mots parlés, un petit côté Pierrot lunaire mâtiné de Barcella, pour vous faire une petite idée. Entre chanson, rap et slam, entre Brel et Oxmo Puccino, accompagné de bien belle façon au Wurlitzer par la ravissante Cléa Vincent. Leur duo sur le titre Paris est des plus touchants et le public ravi leur emboite le pas : « Paris c’est pas assez beau pour boire que de l’eau / Paris c’est trop dur sans une bonne biture… » Derrière eux, sur l’écran d’une installation vidéo étrange et belle, le squelette animé d’un oiseau défunt nage mollement à contre-courant d’une onde pure et cristalline…

Bastien Lallemand

Bastien Lallemant

Autre lieu, autre ambiance avec un ravissant petit salon Régence accueillant Bastien Lallemant (chant/guitare électrique) et la fort talentueuse Maëva Le Berre (violoncelle). L’extrait de spectacle est une présentation des étonnantes Siestes acoustiques qui auront lieu dans ce cadre propice, au coin de la cheminée de porphyre, entre les tentures incarnats et les cadres dorés surchargés… Un peu dans la lignée de Dominique A., Bastien Lallemant propose de jolis titres à l’écriture à la fois littéraire et immédiate. C’est un plaisir de se laisser cueillir au hasard d’une phrase par une image, par un vertige : « Notre amour n’a plus que la peau sur les os » ou « Dans les fougères où se tenait ton assassin… » Grande qualité d’écoute aussi de la part du public subjugué qui ne s’y trompe pas.

A l’issue de ces moments hors normes, tout ce beau petit monde était invité à partager en toute convivialité autour d’un (ou plusieurs) petit(s) verre(s) au sein d’une superbe salle souterraine voutée, toute proche de l’auditorium dans lesquels auront lieu les concerts lors des semaines à venir. Surveillez les dates de ces Soirées à l’affut, les places seront chères (ah, ne jouez pas avec les mots, chers Enlecteurs, je veux dire par là qu’elles seront rares, bien sûr…).

Mais demain est un autre jour…

 

6 Réponses à Soirées à l’affut : cynégét(h)ique de la Chanson

  1. Norbert Gabriel 27 septembre 2014 à 11 h 24 min

    Belle découverte, et belle affiche, c’est « la chasse aux chansons »… (oui bon, c’est facile…) (Et bravo à la photographe pour l’ambiance musée remarquable)
    Un détail, dans tous ces talents, un salut à Maëva Le Berre, qui a été l’éblouissante complice de Foulquier dans le spectacle « la première gorgée de bière »…

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  2. Patrick Engel 27 septembre 2014 à 12 h 07 min

    « La chasse aux chansons », j’avais hésité pour le titre..!
    Eh oui, Maëva Le Berre, époustouflante aussi sur scène aux côtés de Polo, Néry, Oshen, Higelin et combien d’autres encore…

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  3. catherine Laugier 27 septembre 2014 à 18 h 09 min

    Merci pour cet article au foisonnement baroque ! Je suis partie moi-même à la chasse aux chansons sur YouTube pour écouter tous ces chanteurs (ses) plein de personnalité, voici :
    NEVCHE :http://youtu.be/xW61kcHa8I0 Vas-tu freiner (Galope !) (ALBUM RETROVISEUR)
    KLO PELGAG :http://www.youtube.com/playlist?list=PL647C34D1F082C8AD Play-list avec en premier La fièvre des fleurs
    (ALBUM L’alchimie des monstres 2013)
    VINCHA : http://youtu.be/Z1aDpiiKNFo Paris ( EP Demain promis j’arrête)
    BASTIEN LALLEMANT : http://youtu.be/-eFuSzoKooA Les fougères

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  4. Marie 27 septembre 2014 à 21 h 17 min

    C’est pas sympa, Monsieur Patrick, de nous faire baver d’envie devant cette soirée qui semblait absolument mémorable. Je note toutefois que Klo Pelgag est en France avec donc une potentialité de concerts parisiens futurs en grand nombre, et constate à nouveau le talent éclectique de Cléa Vincent.

    Bise quand même

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  5. Patrick Engel 30 septembre 2014 à 14 h 25 min

    Oh oui, par exemple très bientôt en co-plateau avec les doux-dingues de Paris Combo, voilà un autre concert qui promet, chère madame Marie..

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  6. Danièle Sala 2 octobre 2014 à 22 h 14 min

    Grrrr ! j’ai horreur des animaux empaillés ! de la nature enfermée dans dans un musée, et des cartouches vides de chasseurs qui jonchent les forêts et cachent les champignons ! mais l’article est bien troussé, et il y avait du beau monde dans cet antre improbable.

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