Huma 2014 : un p’tit coup de rouge… (2)
« J’aime beaucoup l’humanité. Je ne parle pas du bulletin de l’Amicale de la lutte finale et des casquettes Ricard réunies. Je veux dire le genre humain. » Ah, décidément, Desproges nous manque un peu plus chaque jour, non ?
Bon, après mûre réflexion, il m’est apparu qu’il était préférable de passer sous silence la nuit séparant le samedi du dimanche, ne serait-ce parce qu’il n’est pas inenvisageable que des membres de ma famille lisent ces lignes, et qu’il serait stupide d’être déshérité pour une sombre histoire d’expulsion du Parc de la Courneuve, de potes plus ou moins imbibés et de poney plus ou moins consentant… De toute façon, j’ai rien fait, monsieur le commissaire. Ou alors y’a longtemps. Ou bien j’ai oublié. Ou il sentait mauvais.
Bref, aurait pu dire Nerval, la nuit fût blanche et noire…
Quoi qu’il en soit, un des grands avantages de la Fête de l’Huma, en dehors du fait qu’on y rencontre quand même des gens plutôt plus fréquentables que dans les allées du pouvoir ou des bureaux du Medef, c’est tout de même l’extraordinaire variété culinaire de tous pays, offerte à chaque coin d’allée. Et c’est loin d’être anecdotique, on est même en droit d’y voir la traduction dans l’assiette d’une belle utopie sociétale et humaine… Bref, cela permet, entre autre, de se remettre de ses émotions une fois rangée la tente, autour d’un solide plateau de fruits de mer en guise de petit déjeuner, le tout en tapant le bout de gras avec Fred, des Ogres de Barback (à ne pas confondre avec Fruit d’mer-curry, regretté chanteur de Queen…). J’aurais certes pu m’abaisser à manger tout et n’importe quoi, mais comme on dit en Russie quand on est poli, je ne mange pas si bas…
Allez, retour à la musique et à la chanson (quand même…) avec la scène Zebrock, tout à l’autre bout du parc, qui accueille aujourd’hui l’inratable Féloche et ses complices, dont Christophe Malherbe à la contrebasse (Jim Murple Mémorial, l’Improbable ou Charlotte etc). Féloche, ah Féloche.. ! Un charisme fou en scène, un ludion ludique et espiègle, farfadet facétieux, lutin mutin au large sourire désarmant, avec de temps à autre, un regard inquiétant de démon lubrique… Sous des faux airs de Pierre Margot, le comédien-chanteur que vous savez, avec un petit quelque chose de l’Higelin hâbleur des débuts, il annonce d’emblée un concert de quatorze heures d’affilée et nous entraine dans un voyage musical effréné : nous partons tour à tour pour la Réunion, la Russie (à quatre pattes dans les Carpathes), la Louisiane ou Buenos Aires. Il est pratiquement mission impossible de retenir les différents instruments de musique utilisés, mais ne reculant devant aucun sacrifice, chers Enlecteurs, nous citerons tout de même pour vous la mandoline, l’accordéon cajun, la contrebasse, le washboard, la trompette, le violon, la guimbarde, le bouzouki, la flûte à bec ou encore les qraqebs, ou karkabous, qui comme nul ne l’ignore, ne sont rien d’autre qu’une variété métallique de castagnettes gnaouas… L’île de la Gombra est ensuite à l’honneur avec le titre Silbo et cet étonnant langage sifflé utilisé pour communiquer d’une vallée à l’autre. Les Canaries, là où les hommes parlent comme les oiseaux… A cet instant précis, un papillon blanc traverse nonchalamment la scène de part en part et c’est magique. (pour répondre par avance à la question que vous ne manquerez pas de me poser dans les commentaires, c’était une Piéride du chou, si j’ai bien vu…). C’est le moment choisi par les quatre compères pour s’affubler de grimaçants masques de chamanes. Foin de belette ou de petit renard, ce sont bel et bien un loup, un ours, un oiseau et un alligator qui nous entrainent au fond du bayou sur le titre Doctor Jones. C’est peu de dire que ça envoie du bois, et le public plonge dans une espèce de transe tribale comme on en voit parfois à l’ombre du Vésuve (la fameuse transe napolitaine). Pantin bondissant, Féloche bouge sur scène d’une façon extraordinaire, avec une sensualité désinvolte, un petit rien dans la hanche qui ressemble à une danse… Mais où va-t-on ?, nous interroge-t-il dans une des dernières chansons… Une chose est sûre, on ne le sait pas mais on a envie d’y aller avec Féloche.. ! Un tout dernier titre, et les musiciens s’éloignent après un dernier bain de foule au sein du public définitivement conquis…
En parlant de conquis… Au hasard des allées, nous tombons ensuite sur l’étonnante fanfare Stromb, nouveau projet du fondateur des Chevals, fanfare funk réputée. Stromb déboule en trombe et en trompes, huit gaillards armés de conques marines soufflant à qui mieux mieux dans leurs coquillages bigarrés, bigorneaux adorés de différentes tailles, du plus petit au plus énorme, pour différentes tonalités. Le tout pour un résultat funk/jazz/ska des plus mélodieux. Décidément, les conques s’y adorent…
Toujours au hasard de nos pérégrinations, au détour d’une scène un peu cachée, mais oui, c’est bien Angélique Ionatos qui se prépare à offrir un petit concert impromptu, dans une belle formule 2 guitares/contrebasse… Malheureusement victime de petits problème de sonorisation, le set tarde à débuter et il nous faut filer car un rendez-vous d’importance nous attend… Et tout ça de la faute à Nanard.. !
En effet, je m’en serais voulu de rater sur la Grande Scène le Stéphanois chantant, dit le Puma de l’Orénoque, dit le Corto de la Courneuve, dit le Justicier des hauts-fourneaux. Par plaisir égoïste, déjà, et puis ne serait-ce qu’en raison des relations fraternelles et chaleureuses l’unissant à notre cher rédacteur en chef depuis la parution d’un fameux ouvrage hagiographique… Nous arrivons juste à temps pour la fin du discours du directeur de l’Huma (oui, la dimension artistique de l’évènement ne doit pas nous faire oublier la dimension politique, quand même…). Avant une Internationale de bon aloi retentit une Marseillaise à l’issue de laquelle on se prend à regretter que les paroles belliqueuses que l’on sait ne soient pas définitivement remplacées par la très belle version pacifiste de Graeme Allwright… Bernard Lavilliers, donc. C’est bien simple, je le tiens pour l’étoile la plus flamboyante au ciel de la chanson française… Ah, non ! Je vous l’ai déjà fait avec Lalanne, ce coup-là.. ! Concert de clôture, et huitième participation à la Fête de l’Huma, ça pose un homme. Sublime, forcément sublime, eût écrit Marguerite D. Une entrée au son du berimbau, et la couleur est donnée. Très classe évidemment, tout de noir vêtu à l’exception des chaussures en daim rouge sang. Don’t walk on my red suede shoes… Hommage peut-être involontaire au concert de la veille sur la même scène, c’est Comme le scorpion qui s’élève, très beau texte de Nàzim Hikmet jadis chanté par Yves Montand (important, ça, de citer ses sources…). L’imparable section rythmique balance ses cuivres rutilants sur Stand the ghetto, les musiciens chapeautés de frais enchaînant, implacables, les titres tous plus efficaces les uns que les autres, Y’a pas qu’à New-York, Traffic, On the road again, Pigalle la blanche (avec une discrète pique aux Le Pen père & fille), Grosse galette ou Solitaire. Rien à faire, Samedi soir à Beyrouth est un album dont je ne suis pas prêt de me lasser… A cet instant précis apparait en fond de scène une gigantesque publicité clignotante pour Les vies liées de Lavilliers. Mais nan, j’déconne.. ! C’est ensuite une jolie version d’Idées noires, sans Nicoletta (« ouf ! », diront les mauvais esprits nombreux à lire ces lignes et que j’en profite pour saluer ici bien amicalement..). Les musiciens continuent d’envoyer la sauce, et oh, miracle de l’enchainement, c’est la Salsa qui déboule ensuite, occasion d’un duel homérique entre sax débridé et trompette déchainée… Vainqueur aux points, le fantôme de Xavier Cugat investit la scène, siffle un Cuba Libre et fout le feu aux congas ! Dans l’herbe toute proche de nous, une jeune fille brune drapée dans le drapeau rouge/jaune/violet des républicains espagnols boit les paroles de Lavilliers comme une téquila brûlante et nous offre une danse infernale et sensuelle, les notes affolées remontant en fourmis rouges invisibles le long de ses jambes, du sol vibrant à son front fiévreux… Encore un très beau titre, Les Mains d’or, chanson sidérurgiste en lamineur. Encore un autre, Voyageur, un endiablé forro Nordestin, comme Giscard, donc… Au détour d’une chanson, une petite pique en passant pour détendre les socialistes, quel déconneur ce Nanard ! On l’aime bien, vraiment, qu’il affabule un peu ou pas, toujours il nous emmène, toujours il nous enchante, en bon story teller qu’il est. Et c’est l’occasion de citer à nouveau Cendrars, cher au chanteur, disant à propos du Transsibérien « peu importe que je l’ai pris ou non, puisque je vous l’ai fait prendre à tous… » Et comme on dit en norvégien : « Qui bene amat, bene castigat… » Un ultime titre, impérial et poignant, Lavilliers/Ferré/Aragon, la messe est dite avec l’Affiche Rouge. Séquence émotion. Et, pour ces si beaux moments, pour tout et pour plus encore, merci Bernard !
Emotion aussi en réalisant que ce concert était le point d’orgue de cette édition 2014. Pendant que la foule énorme se dirige lentement vers les sorties, nous grapillons un peu de rab’ dans les coulisses de la scène Zebrock en compagnie de la fine équipe des lieux. La nuit tombant, la fête ne tarde pas à battre son plein, comme pour mieux reculer le dur retour à la triste réalité… Entre autres agréables rencontres, celle de Gina Trapezina, la fameuse Poupée barbue du Maxi Monster Music Show, spectacle musical freak mis en scène par l’immarcescible Juliette, et annoncé les 9, 10 et 11 octobre dans le cadre accueillant de l’Européen. On en reparle bien vite… Impossible de quitter les lieux sans prendre de bonnes nouvelles du sympathique et talentueux Askehoug, lauréat du même Zebrock en 2010, Prix Moustaki 2013 et Coup de Cœur de l’Académie Charles Cros la même année. Quand même, hein.. ? Et la bonne nouvelle, le scoop pour Nos Enchanteurs, c’est que le bougre travaille en ce moment même sur un nouvel album. Nous tiendrons bien évidemment au courant vos esgourdes gourmandes.
Et comment conclure cette belle Fête de l’Humanité autrement qu’avec Pierre Desproges, fil rouge à son corps défendant de ces si beaux instants, Desproges et son inoubliable formule : « Il y a plus d’humanité dans l’œil de mon chien quand il remue la queue que dans la queue de Le Pen quand il remue son œil… »
Et demain est un autre jour.
Lire la première partie de ce reportage de Patrick Engel ici.
C’est bien de rappeler qu’Yves Montand avait créé cette chanson « Comme le scorpion » un détail qui a été un peu oublié quand Lavilliers s’y est collé… Montand avait « la vista » pour repérer un texte pouvant faire une chanson, comme le texte de Gébé « Casse-têtes » dont l’auteur lui même était ébahi qu’on puisse penser à en faire une chanson. Et c’est à Philippe-Gérard que Montand a demandé la musique… C’était la minute culture et histoire …
Un p’tit coup de rouge, oui, mais c’est toujours un bon cru avec Patrick !
Après « Der blaue Engel » avec Marlène, voili « Der rote Engel » en liberté à la Fête de l’Huma : ça dépote et ça donne en vie…
Le plaisir de lire est, une fois encore, au rendez-vous et c’est tant mieux => merci, M’sieur !
Super compte-rendu ! Et super contente de voir que le Maxi Monster Music Show revient en octobre près de la maison.
J’en profite également pour m’incliner solennellement devant ton indéniable talent pour les jeux de mots, et notamment le si bien amené « je ne mange pas si bas », comme disent les russes polis.
NosEnchanteurs est l’endroit où j’ai trouvé le compte rendu le plus complet de la Fête de l’Huma où je n’ai pas pu aller cette année. Merci NosEnchanteurs et merci Patrick pour le brio de sa rédaction…
Tout le monde, Patrick inclus, écrit « Nanard » pour désigner Bernard (Lavilliers). Moi j’ai fait le choix de « Nanar », simplement parce que c’est ainsi qu’il s’est nommé pour « L’évangile selon St-Nanar » (disque « Les poètes », 1975)
Et quand c’est parole d’évangile, on s’incline, on s’agenouille… Faut-il aussi entrevoir que dans Nanar, il y a une petite allusion à Anar?
Hummm Féloche, le ludion ludique (lubrique ?) et espiègle, Lavilliers le Justicier des Hauts-Fourneaux…et les notes affolées remontant en fourmis rouges invisibles le long des jambes de la pasionaria espagnole, du sol vibrant à son front fiévreux ! Y avait-il aussi un p’tit coup de rouge à boire ?
Quant au Scorpion d’Yves Montand, il fait partie de mes références, celui de Lavilliers ne lui fait pas concurrence, c’est une tout autre façon de l’interpréter, et c’est bien ainsi !
Enfin bref, j’aurais bien aimé partager avec vous ce petit coup de rouge…
Et si je vous disais, chère Catherine, que ce petit papier a été écrit rigoureusement à jeun… Mmmm..?