Granby 2014. RéVeillons !, la tradition loin d’être endormie
Ils sont quatre, Jean-François (bodhran, souliers, tambour à mailloche…) et David Berthiaume concertina, bombardes…), Richard Forest (violon, fiddle) et André Gagné (guitare, banjo). Le Québec doit être un refuge qui a sû, lui, préserver le folk, celui qui sévit jadis dans nos contrées, dans les années 70. Là, c’est bien vivant, au cœur de la chanson, pas mis sur la touche, pas ringardisé. Et RéVeillons ! est un groupe de belle tenue dont les influences sont multiples. De la belle province, certes : de Bretagne et de tout ce qui est celte aussi et surtout. A l’évidence, on retrouve en eux le Tri Yann de ses jeunes années, quand les trois Jean étaient quatre et privilégiaient l’acoustique. Du reste, David, voix principale, a un timbre, un physique et un accoutrement décalé, un peu fantasque, qui ne peut faire songer qu’à Jean-Louis Jossic. On a parlé à leur propos de Malicorne, mais ça doit être en raison de la proximité des textes trads : au Québec comme au Berry, les thèmes sont les mêmes que la tradition orale a fait évoluer différemment. Comme les musiques et les pas de danse. Ici, au pays des pommes et du cidre de glace « dans mon chemin rencontre / un pommier chargé de prunes / j’ai monté dans un arbre / c’était pour en cueillir une. » On louvoie du côté des choses de l’amour, « à la chasse aux jeunes filles / Quand on peut en trouver » : « Prends soin de tes jambes / Ma petite frisée, étends ton cotillon / Car j’ai vu la rosée derrière ton jupon. » On boit, on pense aux choses du coeur et du corps… Je vous dis ça comme si je comprenais tout, d’ailleurs… mais c’est pas aussi vrai. Pour déchiffrer RéVeillons ! Il faut avoir fait québécois première langue. C’est à l’interstice des mots et des sonorités qu’on en saisit le sens et le sel, la gaillardise des notes collant scrupuleusement à celle des mots, des audaces.
A écouter Pour boire il faut vendre (chanson d’ivrogne il va de soi), on retrouvera tant la structure que les notes de Jean petit qui danse. Et quand je parle de feed-back entre France et Québec, je ne sais bien situer cette autre chanson sur La femme du Président, qui se termine sur un énigmatique « Après les chaleurs de l’été / Les feuilles tombent du rosier. » Ont-ils lu l’impie et pitoyable livre ? ; y aurait-il chez eux cette insupportable ingérence ?
J’insiste : c’est étonnant de trouver ici la survivance belle, rayonnante, de ce folk chez nous disparu, dénigré. Eux auraient leur place dans les plus grands festivals folk de l’époque, aux côtés des Mélusine et René Werneer, de La Bamboche ou de La Chiffonie. Ne me faites pas dire que le Québec serait, pour la chanson trad, une sorte de Jurassic Park, mais l’idée est en moi et c’est pas désagréable. Car, de Vent du nord aux Chercheurs d’or, la programmation de Granby nous réserve bien d’autres notes inspirées de la tradition.
CD RéVeillons ! A la chasse pour chasser, Scorbut 2013. Le site de RéVeillons ! C’est ici.
Années 70, tant de ces vices délicieux, musique de vagabondage, verbiages ironiques, légèreté de l’air, l’ère de liberté… Joli mois de mai, quand reviendras-tu?