Un chant espagnol qui libéra Paris
Ils s’appellent German Arrue, Daniel Hernandez, Rafael Gomez, Manuel Lozano, Fermin Pujol, Luis Royo, Faustino Solana, Manuel Fernandez, Victor Lantes… et, comme l’immense majorité des combattants de La Nueve, ils sont républicains espagnols, la plupart libertaires. Oubliés de l’histoire, ils sont, pourtant, les premiers libérateurs de Paris.
Qui se souvient, en effet, que, sur ordre de Leclerc, deux sections de cette 9e compagnie entrèrent dans Paris dès le 24 août ?
Qui se souvient que le premier libérateur de Paris arrivant place de l’Hôtel de Ville et reçu par le Conseil National de la Résistance était Amado Granell… républicain espagnol ?
Qui se souvient que De Gaulle descendit les Champs-Elysées le 26 août entouré par quatre blindés de cette même « Nueve » ?
C’est cette destinée que le spectacle mis en scène par Armand Gatti retrace à travers les chemins croisés de neuf de ces combattants. Au fil de cette lecture, on découvre leurs voix incarnées par chacun des acteurs. Modestes fils du peuple, les voila porteurs de tout un pan d’histoire parfois méconnu, oublié ou occulté.
Chacun nous conte une part de cette épopée : l’espoir vaincu de la guerre civile espagnole dont les grandes batailles résonnent dans les mémoires – Guadalajara, Santander, Teruel, L’Ebre, Madrid – autant de noms qu’ils donnèrent à leurs Halftracks ; l’exode massif de la « Retirada » qui vit un demi million d’Espagnols traverser les Pyrénées ; la déportation et l’enfermement dans les « camps du mépris » avec la faim, le froid et l’humiliation ; l’incorporation de force dans la légion et l’exil vers l’Algérie, le Sahara ; la désertion et l’enrôlement dans cette 2e DB sous le commandement de Leclerc qu’ils appelèrent respectueusement « el patron » et qui les guida vers Paris ; et surtout cet irrésistible désir de liberté qui les transforma, eux souvent antimilitaristes, en farouches combattants, avec l’immense espoir qu’après avoir libéré la France du fascisme, ils iraient avec armes et blindés libérer l’Espagne.
Mais si le spectacle d’Armand Gatti et de ses compagnons a le mérite de lier tous ces destins singuliers pour en faire une fresque historique, il est aussi une chanson de geste qui nous rappelle que toute histoire se vit au rythme des chants, se nourrit de refrains. Chaque épisode de cette épopée est ponctué ici par des airs chers au peuple espagnol.
Avec ferveur ou émotion, les voix mêlées de tous les acteurs, dont celle de Serge Utgé-Royo, entonnent a capella, rythmés parfois par le seul bombo, quelques uns de ces airs : ceux de combat comme Hijos del pueblo, hymne anarco-syndicaliste (1885) ; A las barricadas, détournement d’un chant bolchévique ; Si me quieres escribir, Coplas de la defensa de Madrid, inspiré de Los cuatro muleros de Garcia Lorca qui évoque la résistance farouche des madrilènes ; Himno de riego pastiche anarchiste de l’hymne républicain ; Paso del Ebro, composée en 1808 contre l’occupation napoléonienne et réactualisée pendant la guerre d’Espagne et, comme affirmation de leur conviction pacifiste au milieu de cette guerre, la très belle chanson Giroflé girofla sur les paroles de Rosa Holt, poétesse allemande anti nazie exilée en France. D’autres festives ou tendres telles Besame mucho ou La Cucaracha sont les témoins de l’âme hispanique et de l’hypothétique espoir d’un éxil au Mexique. Serge Utgé-Royo apporte sa note personnelle avec deux de ses titres Diamants del estiu et Un nuage espagnol ainsi qu’un détournement fort drôle de Nini peau d’chien baptisé Les Espingouins. Il nous offre aussi une interprétation émouvante de Carcelero, carcelero, zambra de Manolo Caracol, chanteur de flamenco, où toute la souffrance de l’enfermement est présente.
Ce spectacle, sobre et dense, avec, comme seul décor, les portraits peints par Juan Chica Ventura est un voyage épique illustré par de nombreux documents d’époque, films et photos projetés en fond de scène, une page d’histoire édifiante constituée de multiples témoignages. On en sort avec admiration et respect pour « ces combattants à l’idéal de liberté chevillé au corps, ces antimilitaristes qui ont choisi la lutte pour la liberté en rejoignant l’armée de Leclerc. »
(photos de ce spectacle Anne-Marie Panigada)
Après une première représentation, le 22 août à la Parole Errante de Montreuil, une seconde sera donnée le samedi 6 septembre à 15h, au cine?ma La Clef, 34 Rue Daubenton, Paris 5e- me?tro Censier-Daubenton. Le site de l’association, c’est ici. : https://www.24-aout-1944.org/ Textes du spectacle tirés du livre d’Evelyn Mesquida : La Nueve, 24 août 1944 : ces Républicains espagnols qui ont libéré Paris – Le Cherche Midi, 2011.
J’ai été à la fois épaté et scandalisé d’apprendre l’histoire de la Nueve par la chanson de Serge Utgé-Royo. Depuis des années, il est rabâché que de Gaulle a répondu « Vaste programme » en voyant sur la jeep du capitaine Dronne « Morts aux cons », sans jamais remettre l’anecdote dans son contexte… Lors de cette cérémonie du 24 Août dernier, j’ai appris aussi que c’est un arménien de Paris qui a guidé la Nueve de la Porte d’Italie à l’Hôtel de Ville, le 24 Août au soir … La réalité dépasse la fiction, mais sur ce coup, la réalité est restée très discrète.
L’Histoire ne retient que ce qu’elle veut bien , plus la « grandeur » des chefs que le combat des » Modestes fils du peuple » . Qui dira un jour comment et pourquoi tant de résistants se sont fait massacrés au Mont- Mouchet ? J’ai aussi appris l’histoire de La Nueve par Serge Utgé-Royo , merci à lui et à tous ceux qui mettent en lumière et font vivre la mémoire historique des peuples .
Le rôle de la Nueve a été publiquement salué et commémoré pour la première fois, je crois, en août 2012 à l’Hôtel de Ville de Paris. Il a fallu du temps!
Noter qu’une des nouvelles émissions de France Inter, Comme un bruit qui court, a diffusé ce samedi un reportage portant à la fois sur ce spectacle et l’hommage rendu le 24 août dernier.
Je viens de l’entendre… Très bien …
Dans un reportage il y a quelques années, Daniel Mermet avait longuement interrogé quelques uns de ces républicains, l’un avait terminé par une phrase lucide et drôle « nous avons perdu la guerre, mais c’est nous qui avions les meilleures chansons ».
El paso del Ebro (Ay Carmela)
https://www.youtube.com/watch?v=QMXsGYMksDI
Avec une belle illustration de photos d’époque.
On peut aussi regarder ce reportage, passé, il y a quelques années sur F3 :
https://www.youtube.com/watch?v=6sp2MJ3SHo4
Ce sujet Michel a grandement sa place ici ! c’est bien grâce à Serge UTGE ROYO que j’ai lu ce livre et que j’ai continué une phase de désignarisation ! c’est long, mais il n’est jamais trop tard
Et De Gaulle, redevenu civil (sans jeu de mot!) rendit visite et hommage au Généralissime Franco, autre vieille baderne putschiste. Hélas pour eux, les valeureux républicains, souvent originellement libertaires, durent subir la dure loi de ce que l’on nomme pudiquement la « realpolitik », qui impose aux meilleurs d’accepter les pires comportements, compromissions et autre connerie politicienne. Mais ils peuvent dire comme dans la chanson de Bertin « Adieu, nous sommes restés fiers ». RIP et chapeau bas!
Tirer la Nueve de l’oubli, très bien. Mais n’oublions pas maintenant les résistants républicains espagnols SANS UNIFORME cette fois qui se sont battus à Paris bien avant l’arrivée de la 2e DB, à compter du 19 août 1944. Aucun monument aucune plaque pour honorer leur mémoire.