Barjac 2014 : le Barbara de Viel

(photos Catherine Cour)

Deux chansons pour d’abord cadrer le propos, présenter l’absente. Elle aurait pu être dame de joie, autre commerce d’amour, autant qu’elle rêvait d’être un jour une petite sœur du bon Dieu : « De mon enfance, j’ai gardé une âme pieuse. » Pute ou sainte, elle ne fut au final que chanteuse.

Qui est là, devant nous, sans toutefois l’être, juste sa voix parfois tirée d’archives sonores, comme pour attester et valider des choix, des affirmations de celui qui aujourd’hui l’interprète. Lui, c’est Laurent Viel, explorant le répertoire de cette dame brune, tendre, insolente et frondeuse, par quelques titres évidents et donc périlleux (Le mal de vivre, Dis quand reviendra-tu ?, Mon enfance, Perlimpimpin, A mourir pour mourir…), d’autres moins exposés que par lui nous (re)découvrons.

Les tentures sont de rouge et de noir, comme les tenues de Laurent Viel, L’homme en habit rouge, et de Thierry Garcia, son complice et guitariste. La sobriété est de mise en une mise en scène dessinée par Xavier Lacouture : peu d’effets qui font les leurs. Garcia, en grande économie, dispense ses notes, presque les frôle, les suggère en en traçant les contours…

Rarement sans doute on n’est allé plus loin en direction de Barbara, rarement on ne l’a aussi bien interprétée, décryptée. Sans faire du Barbara à tout prix, sans la singer. Viel est Viel, certes d’une délicate et troublante féminité. Mais il incarne les chansons qu’il porte et c’est bouleversant, sans le moindre excès si ce n’est, parfois, cet inutile boa censé plus encore incarner Barbara.

On se dira que de reprendre Barbara, c’est s’exposer sans trop de risques au succès, l’appeler. Pas sûr. Encore faut-il le talent. Il faut, délicat équilibre, la faire exister autant que la faire oublier. Seuls ses vers doivent être présents non pour appeler le souvenir d’un passé qui n’est plus, mais pour conjuguer l’intemporel au présent. Et, de Nantes à Göttingen, ce spectacle parle et perle d’émotions, avec ce qu’il faut d’humour bienvenu. Prodigieux ! Laurent Viel est immense interprète. Ce récital, de même que celui sur le Chevalier d’Eon présenté il y a quelques jours encore à Avignon ou cet autre sur Jacques Brel, est, non une performance, mais le quotidien d’un exceptionnel chanteur et habite et hante l’oeuvre d’autrui. Nous ne sommes pas prêts de l’oublier.

Dérisoire pudeur pour sincères coulées de larmes, en sortant je me suis caché derrière des verres teintés. Il m’a semblé que je n’étais pas le seul.

Le site de Laurent Viel, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.