Détroit, l’étroite fenêtre d’émotion
C’est manifestement du rock, apaisé, soyeux, onctueux, comme si le folk-song qui est en lui avait donné le la, calmé sa possible démesure. C’est un duo, principalement guitares et basses, mais il y a du monde derrière, selon les besoins. De par son indéniable qualité, un tel disque ne peut que trancher dans la production actuelle, se singulariser, attirer l’ouïe.
On aimerait pouvoir traiter ce disque comme un autre et c’est peine perdue : s’impose d’évidence la grille de lecture. Comme pour bien d’autres artistes, il contient sa part d’autobiographie : on n’écrit vraiment que sur soi-même. « Le rythme carcéral / Passe par la tuyauterie / Un dialogue de misère / Pour dire qu’on est en vie (…) Cherche ton horizon / Entre les cloisons. » Ni voyez pas malice, mais je pense au Betty de Lavilliers. Il y a ça. Et le pourquoi : « Tous les jours on retourne la scène / Geste fauve au milieu de l’arène / On ne renonce pas on essaie / De regarder droit dans l’soleil. » Là, une autre Betty s’impose… « Tu viens encore chaque nuit visiter mon jardin enfoui / Comme une trainée d’or effilochée / Toi la douce trace hurlante. » On pose le disque sur la platine, on appuie sur play, lui chante et lèche ses plaies. Avec pudeur, avec retenue. L’impression n’est pas étrange, non, ou si peu. Seuls nos a priori feront, on le sait, autre lecture que celle qui nous est ici proposée, distorsion : on cherchera l’aveu, le repentir, niant pour lui toute souffrance ici pourtant criante. Il faudra ajouter du temps au temps. C’est d’ailleurs avec Léo Ferré que s’achève le disque : « Avec le temps / Avec le temps va tout s’en va / On oublie le visage et on oublie la voix… » Jusqu’au bout ce disque, irréel et beau, est habité. C’est un ouvrage intime que Barclay dit ne pas savoir comment il sera reçu mais dont la publicité et l’avantageuse mise en bacs, en tête de gondole, appellent le succès public. Il faut prendre ce disque pour l’œuvre qu’il est, comme on le ferait d’un livre-témoignage écrit par l’acteur d’un drame. Entre nous : un livre superbement bien écrit.
Détroit, Horizons, Barclay, 2013. Le site de Détroit, c’est ici. Un précédent article sur Bertrand Cantat dans NosEnchanteurs, c’est là.
je partage l’analyse ! quelle émotion et quelle beauté ce disque ! dans la lignée de « des visages et des figures » et peut être même mieux. A coup sûr il fera date dans l’histoire musicale.
J’écoute, inlassablement, comme pour trouver une réponse à l’innommable. Je suis touchée à mon « corps défendant », pourrai-je pardonner, pourrai-je me laisser atteindre par l’indicible émotion que me procure cet album, en dehors d’un possible romantisme obscur qui s’insinue aux détours de cet opus, que j’accueille comme une alchimie… Quelque chose qui a trait à l’humain, dans ce qu’il a de pire, comme de meilleur.
» Les plus désespérés sont les chants les plus beaux . Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots . » C’est cette phrase d’un poème de Musset qui me vient en écoutant cette chanson .
Par chance , quand j’ai entendu le premier extrait qui est passé en radio, je ne savais pas qui c’était, du coup, j’ai eu une écoute non parasitée, et j’ ai été touché… ça me permettra d’écouter l’album dans de meilleures conditions…
OOOooh ! Michel ! « Ni voyez pas malice… »
Très bel article cependant ! Et pour une fois, il est assez plaisant de lire une critique qui ne prend pas la forme d’un second jugement !
Oui, bel article plein de justesse. Après écoute, je suis vraiment d’accord avec toi notre petite discussion au sujet de ce disque, Clem.
Un album empreint d’émotion !
Etrange article dépourvu, contrairement à vos habitudes, d’une photo du chanteur et de la reproduction de la pochette du disque. Même pas le nom dedans de celui qui chante. On sent une gêne. Mais bravo ! Enfin un papier qui nous parle du disque et de son contenu, même si ce contenu est en tous points particulier. Enfin un papier qui ne s’érige pas en nouveau jury « populaire » ajoutant à la peine une autre condamnation faussement consensuelle et convenue. Oui, ce disque, malgré tout, mérite l’attention. Il mérite surtout une critique digne, aussi objective qu’elle puisse l’être, et ce n’est pas facile. Merci.