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Patrick Font et Évelyne Gallet, histoire de transmission

Il fut chanteur chansonnier (vingt-cinq ans en duo avec Philippe Val) et l’est toujours. Son bras pisse l’écriture qu’il partage avec générosité, notamment et surtout avec la lyonnaise Évelyne Gallet. Rencontre avec Patrick Font et son interprète (cet entretien fut publié en 2010 sur le site Thou Chant, désormais effacé de la toile).

ÉVELYNE GALLET Vas-y Patrick ! Je raconte tout le temps comment je t’ai rencontré. A ton tour !
PATRICK FONT C’était à Rumilly, en Haute-Savoie, il y a vingt ans, Nous étions réunis avec des élèves pour préparer des spectacles à la MJC. Parmi les candidats, il y avait cette petite rousse toute rondelette, Évelyne, de très mauvaise humeur. C’est l’image que j’ai gardée. A la question « Qu’est-ce que tu veux faire ? » elle a répondu, en faisant une gueule épouvantable : « Du spectacle ! » Je me suis dit que celle-là irait loin. Rapidement elle s’est jointe à nous.

MICHEL KEMPER Et le moment où Évelyne s’est résolue à te chanter ?
PF On avait joué une pièce, Les Chevaliers de la table ronde, en Touraine. L’année d’après on y est retournés jouer je ne sais quoi. On a fait des variétés et Évelyne m’a demandé si elle pouvait chanter Les Héritiers. Elle s’accompagnait à la guitare. J’ai eu un peu peur car c’est une chanson très longue, en alexandrins, un peu rébarbative. Je ne savais pas si elle pourrait aller jusqu’au bout… Ça s’est très bien passé. Dès lors, elle s’est mise à en chanter d’autres. Mais elle n’a pas commencé par la facilité. Ça m’a marqué.
EG Ça devait faire trois ans que je faisais chier mes parents parce que je voulais faire du théâtre. Un jour, je lisais le journal, je trouvais que ça faisait grand, je suis tombée sur la petite annonce du stage de théâtre avec Patrick Font, à la MJC, qui était juste à côté de chez moi. J’ai demandé à mes parents si je pouvais y aller. Et voilà.
PF T’as eu de la chance d’avoir des parents qui t’ont laissé faire ce que tu voulais. C’est rare.
EG Ça c’est sûr. Surtout qu’après je partais aux vacances scolaires…
PF Elle était toujours avec nous. C’est assez rare des parents qui laissent leurs enfants se lancer dans de genre d’activités.
EG Surtout avec toi !
PF Surtout avec moi ! J’allais le dire ! (rires)

MK Comment est venue cette idée de reprendre des textes de Font ?
PF C’est parce qu’elle a du goût, c’est tout !
EG Quand t’as passé cinq ans avec Font, à vivre dans cette espèce d’énergie… quand tu te retrouves un peu seule ou à deux, parce ça a commencé en duo, pour nous c’était logique de continuer à chanter des chansons de Patrick…

MK C’était qui le duo ?
EG On s’appelait Les Pieds dans le plat, un duo qui a tourné de 1996 à 2006, en parcourant toutes les scènes de France et de Navarre…
PF C’était bien, ça. Mais il n’y avait pas que des chansons, il y avait des sketches aussi…
EG Nous étions vraiment tournées vers le café-théâtre. Un jour ma collègue a voulu faire un enfant. Ça m’a fait réfléchir en me disant « Qu’est-ce que je vais faire si elle arrête de jouer ? » C’est à ce moment-là que j’ai basculé du côté chanson.

MK Il fallait te constituer un répertoire…
EG Oui, et pour moi c’était logique, naturel, même pas réfléchi, de demander à Patrick.

MK Tu prends donc contact avec lui
PF Même pas. C’est que quand j’écris quelque chose, je lui envoie. Elle le prend ou pas, ça lui convient ou non, je n’ai pas la prétention d’écrire du bronze tout le temps. Là, je vais lui en filer, j’en ai plusieurs. En ce moment j’arrête pas d’écrire. C’est incroyable !

MK Le matin, ce qui vient sur le papier, au bout du stylo, c’est quoi, c’est lié à l’actualité ?
PF Ça peut. Là je viens d’écrire une chanson sur une femme qui porte la burqa. Évidemment qu’on en parle beaucoup mais c’est un sujet qui me tourmente énormément. Ça peut être chanté indifféremment par un homme ou par une femme, je l’ai fait exprès, en pensant à toi d’ailleurs, Évelyne, des fois que ça te plaise on ne sait jamais…
EG La burqa, j’adore !
PF Ça te va tellement bien… Il y a l’actualité c’est vrai, ça compte beaucoup, l’actualité en général, pas ce qui est trop ponctuel : le nuage de cendres ne m’inspira pas une chanson. Il y a les problèmes de société et autres choses. L’idée vient le soir avant de s’endormir ou au milieu de la nuit : je souffre d’insomnies. Un couplet tombe la nuit et me réveille. Je le note, j’essaye de me rendormir et, le lendemain, ça donne la chanson. Je suis terriblement réveillé par les muses. Ah les salopes ! Elles ne me laissent pas dormir, si encore elles suçaient ! Il y a toujours le crayon et le cahier à côté de moi.
EG Ah, cette facilité avec laquelle t’écris ! Au p’tit déj’, il pond une chanson. C’est énervant pour moi !
PF C’est parce que je fais ça depuis longtemps. Je ne faisais pas ça quand j’avais trente ans.
EG Ah bon ! J’ai encore l’espoir ?
PF Oui. Il arrive un moment où les choses viennent plus facilement. Mais faut travailler !

MK Tu es fournisseur en gros de chansons, mais pour qui ? Pour Évelyne…
PF : Pour Évelyne au premier plan, d’abord…

MK Évelyne est ton premier réceptacle ?
PF : Euh, oui. Je ne sais pas si on peut dire les choses comme ça… Ça dépend comment on le prend. D’abord j’aime bien ce qu’elle fait sur scène, elle chante bien, je la connais depuis très longtemps et, là je suis très sérieux, au cours de mes années noires, vous voyez ce que je veux dire, qui ont duré quatre ans et deux mois, elle a été une des rares à me soutenir mordicus. Et ça ce sont des choses qu’on n’oublie jamais ! Alors, chaque fois que je fais un truc je lui envoie, c’est ma façon un peu de la remercier. Il m’est même arrivé d’écrire des choses uniquement pour elle…

MK C’est juste une parenthèse, mais les autres « destinataires »…
PF Ce sont des mecs. Il y a Jean-Michel Mattéï, un haut-savoyard, imitateur fantaisiste. Lui c’est pareil, pendant les années difficiles il venait me rendre visite. Et m’a demandé d’écrire pour lui. Il y a aussi Daniel Gros, qui m’a vraiment aidé, soutenu, bien, solide, au niveau témoignage… C’est important quand on est entre quatre murs. De sentir… Et de recevoir du courrier. J’avais en moyenne vingt-cinq lettres par semaine. C’est fou ! Christophe Alévêque aussi…

MK Des décennies après, on reprend ses textes, on les relit…
PF Oui, mais pas trop. Par contre, il y a des chansons de moi que j’aime bien et que je chante toujours
EG Des titres !
PF Les neiges de mars, Ne la dérangez pas, La Vieille évidemment, La Grande Jaja c’est devenu un hymne. Ça c’est des choses que j’aime bien reprendre et qui, pour moi, sont toujours actuelles.
EG Je ne pense pas que ça vieillisse en fait. La plupart des chansons que tu viens de citer je les chante aussi. Elles fonctionnent toujours de façon hallucinante.

MK Qu’Évelyne reprenne de tes chansons ça te fait quoi ?
PF Ça fait des droits d’auteur (rire), ça fait du pognon !

MK Mais plus encore…
PF La Vieille je la chante aussi, bien sûr, de différentes façons. Des fois je la récite, ça dépend des soirs. Aux Deux ânes, je l’ai jouée et ça s’est bien passé. C’est un public pour les chansonniers, qui ne s’attarde pas sur les mélodies. Les gens sont là pour entendre des textes. J’y ai récité L’Enterrement et La Vieille, ça c’est très bien passé. A tel point que quand j’y repasserai, je les remettrai, je le sens bien.

MK Les chansons du duo Font et Val, style Villa mon cul, tu les reprends ?
PF Non, et j’ai tort. Villa Mon cul on me la demande assez souvent. Il y a par contre Les Cités nouvelles que je chante tout seul, que je chantais déjà avec Philippe…
EG La Rivière c’est de Val ?

PF Non c’est de moi, mais si Philippe n’avait pas été là ça aurait été beaucoup moins drôle. La Rivière c’est une chanson qui fait deux minutes trente mais vingt-cinq minutes sur le disque. C’est devenu un sketch. Chaque soir, il y avait une ou deux phrases de plus. Une vraie jouissance. Quand les gens se marrent à ce point… On a eu de très bons moments, vraiment. C’était incroyable cette espèce de connivence, de complicité qu’il y avait. Sans travailler beaucoup d’ailleurs, parce que lui aussi c’était un fieffé fainéant question répétitions. On n’aimait pas répéter, ou alors à table. On n’était pas des bêtes de travail, pas du tout ! Je répète beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a vingt-cinq ans. Arrivé à mon âge il faut commencer à être sérieux.

MK Cette connivence, tu l’as retrouvée avec d’autres ?
PF Avec ceux avec qui je travaille maintenant : Évelyne, Daniel Gros ou Jean-Michel Mattéï. Ce qu’on a fait à À Thou Bout d’Chant, à Lyon, en décembre, pendant une semaine, une sacrée semaine, on s’est marré. La dernière soirée était magique, on a tous chanté les uns après les autres. On avait à peine préparé. C’était une ambiance extraordinaire. Je retrouve à peu près la même ambiance que celle qu’il y avait avec Val, différemment, parce qu’il y a plus de chansons, c’est plus musical qu’autrefois.

MK Évelyne, est-ce que tu as déjà passé des commandes à Patrick ?
EG Rarement… Si, une, tu sais, sur les produits de beauté : La Fille qui rougit.
PF T’en as fait la musique ?
EG Pas encore. Je n’arrive pas à trouver le truc qui me convient. Soit j’en balance un tout simple tout gentil et qui marche, mais j’ai pas envie de faire ça ; j’ai envie de faire un truc qui ait de la gueule. Donc je prends le temps.
PF T’as raison, bien sûr. C’est un sujet intemporel ! Un jour elle m’a commandé un truc sur la pudeur
EG Et il m’a dit non…
PF C’est que la pudeur, avec moi… (rires)
EG Souvent je lui propose des idées mais ça n’aboutit pas toujours.
PF Pas toujours. Si c’est pas…
EG Des fois je lui propose des choses assez bizarres
PF C’est pas très précis. Moi j’aime bien la précision. J’arrive pas toujours à cerner, je vois à peu près ce que tu veux mais c’est vague.

MK Du tac au tac, pourquoi cette chanson sur les petits hommes verts, les extra-terrestres, sur la musique d’un autre texte de Font ?
EG C’est Patrick qui m’a envoyé le texte en me disant « C’est sur la musique de Soyez pédés ! » Et moi j’ai pas cherché, j’ai fait. Ce texte a été écrit pendant qu’il était entre quatre murs et que c’était difficile de faire de la musique
PF Je n’avais pas de guitare !

EG Tu me racontais que tu avais fait de la musique sur des radiateurs…

PF Non, sur des bouteilles. En fait des verres d’eau qui faisaient la gamme, des verres plus ou moins remplis. Un jour j’étais en train de faire des trucs comme ça avec les verres d’eau, le surveillant me dit « Qu’est-ce que vous faites ? » Je lui dis « Je fais des accords » « Des accords de quoi ? » « De musique, je n’ai pas d’instrument » Je lui explique que Do mi sol ça fait un accord et ça me donne un point de départ « Oh mais çà alors j’aurais pas pensé » « C’est peut-être pas votre métier » Alors je lui ai fait toute la gamme comme çà. Il était vraiment émerveillé, c’était un jeune surveillant. Il revient le lendemain avec un de ses copains « Il va te montrer, tu vas voir » Je commence à taper sur les trucs et c’était complètement faux. Pourquoi ? L’eau s’était évaporée !
EG C’est une période où Patrick envoyait des textes accompagnés de mélodies écrites de façon solfège.
PF Et très mal !
EG Alors que t’as appris le solfège en prison…
PF Oui, mais mal !
EG Et moi qui suis d’une formation classique, qui connais très bien le solfège, je déchiffrais les chansons sur les partitions de Patrick. J’aime bien en fait, quand je les ressors… c’est bien.

MK Alors, mine de rien, avec le stock de Patrick, tu as de quoi alimenter une collection de trente disques, au moins…
EG Je pourrais. Le problème est que Patrick a beaucoup écrit pour lui, c’est à dire pour les hommes, donc je ne peux pas tout reprendre alors qu’il y a des chansons qu’il chante que j’adore mais que je ne peux pas chanter en tant que fille tout simplement. Et il y a plein de chansons que je ne connais pas, que Patrick ne me montre pas en me disant « Non celle-ci est mieux »… Et je suis un peu difficile, opérant vraiment un choix draconien.
PF T’as raison !

MK Quelle chanson de Patrick ne peux-tu pas chanter parce que c’est une « chanson mâle » ?
PF Soyez pédé ! Quoique ça peut être chanté par une fille…

MK Une autre…
EG Saint-Nicolas !
PF Ah oui ça c’est plus dur.
EG C’est pas possible, à moins de faire marrer.
PF Et puis en ce moment c’est peut-être pas indiqué, ce n’est pas très d’actualité, avec les histoires de curés…
EG La Maîtresse d’école est magnifique mais je ne peux pas la chanter. C’est un chef d’œuvre cette chanson. Cendrillon je ne sais pas si c’est un chef d’œuvre mais je ne me vois pas la chanter. Je ne peux pas.
PF Si, elle est impersonnelle. Mais c’est une chanson hyper hard, de corps de garde, quoi. Je vais la mettre dans mon prochain disque en public.

Propos recueillis le 1er mai 2010.

3 Réponses à Patrick Font et Évelyne Gallet, histoire de transmission

  1. Norbert Gabriel 19 juillet 2012 à 9 h 33 min

    c’est vrai que ces deux-là, ça donne des moments assez exceptionnels, Evelyne Gallet, je l’ai entendue la première fois dans une soirée en 4 temps, avec 4 invités, ce qui donne souvent un public venu pour l’un des invités, et qui se fout parfois des autres.. Mais là, ça a immédiatement bruissé de commentaires enthousiastes, étonnés, curieux…
    Quant à Pätrick Font, entre quelques grands moments à la fin du Pop Club dans les années 75-80, et les délires chez Ruquier, la liste est assez longue de ses exploits, qui d’autre que lui aurait pu faire un passage entièrement nu devant le micro ? à la radio, mais quand même; devant le public du studio 106 ou 107…
    Et je note cette phrase très pertinente, (pour le boulot, parce qu’en général, on peut la discuter)

    « Arrivé à mon âge il faut commencer à être sérieux. »

    Commençons donc, on en reparle dans 30 ans ??

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  2. Pill Bill 9 juin 2013 à 16 h 59 min

    Salut à tous ceux qui liront.
    Depuis gamin, fin séveunetizes, j’écoute Font et Val. Durant mes jeunes années (comme le chantait Trénet), mon père était fan et en faisait profiter toute la maisonnée alors même si je ne comprenais pas tout [c'est encore plus pissant maintenant que je comprends], je me marrais déjà. Je continue à écouter de temps en temps ces enregistrements sur cassette et même sur vinyle (33t) qui commencent à fatiguer, mais j’essaie d’en prendre soin. Mais j’ai aussi des enregistrements plus récent comme « Chien abandonné ». J’étais allé voir Patrick sur une petite scène du Jura (Lamoura) jouer une pièce avec Daniel Gros ; j’étais même allé les peloter 5 minutes dans les loges pour avoir un autographe… Que j’ai eu ! Que j’ai toujours !
    Comme gosse, mes parents m’avaient fait faire de la musique, et que ça m’avait plu, j’ai décidé, devenu un grand garçon (35ans, il était temps) de me mettre à la gratte et au clavier, en autodidacte pour la première et en prenant des leçons pour le second. J’ai à présent quelques bases pour reprendre les chansons de Patrick histoire de se marrer en soirée avec les potes de l’orchestre entre autres.
    Pour ce qui est des années noires, il y a eu ce qu’il y a eu et c’est tout. Pour ma part, le Patrick Font qui m’intéresse, c’est l’humoriste, le chansonnier et à part quelques très rares exceptions comme Didier Porte, Stéphane Guillon ou Christophe Alévêque (longue et vigoureuse à eux), il est difficile aujourd’hui de trouver des humoristes qui me font autant marrer.
    Amitiés sincères.
    Patrice 41 ans (bientôt 42).

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  3. RAOUL 11 avril 2017 à 16 h 40 min

    un grand merci aux 2 artistes pour ce riche dialogue !
    Connu Font-et-Val à Brest au début des années 80, savouré – euphémisme ! – plusieurs fois leur spectacle dans l’ouest (…de la France) et jamais cessé de chanter Patrick, seul (avec la guitare quand même) ou avec qques copains. Pour moi, vieux « brassensophile » (?) depuis les années 60, pas question de délaisser un répertoire tel que celui de Patrick, si riche et selon moi dans la lignée de celui du grand Georges, juste un peu plus… « vert » si on peut dire. Textes et musiques si chouettes et en même temps si accessibles pour tous ceux qui aiment le chant de qualité.
    C’est donc avec grand plaisir que j’ai assisté voici quelque temps au concert d’Evelyne à Nantes.
    Oui vraiment, un grand coup de chapeau à l’artiste Patrick, y compris pour la grande franchise de ses propos.

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