Gary s’épanche chez Ponchon
Ce qui est bien avec la chanson passée au tamis des gros labels, c’est que tout est déjà fait, comme un tout-en-un. A de rares et détestables exceptions près, pas besoin de beaucoup réfléchir : tout est déjà pensé pour nous, mâché, sans risque. On n’a plus qu’à payer et s’esbaudir pour justement ne pas regretter d’avoir payé. Tout est calibré, plus petit dénominateur commun, pour aimer ce qu’aime tout le monde, être un dans la masse, un dans la nasse, être normal, adapté à cette société.
Tout autre est Rémo Gary : ce rimailleur pose problème. D’abord parce que son nouveau disque n’en est pas un, comme le précédent d’ailleurs et celui d’avant. C’est un livre – horreur ! – avec un disque dedans. Le livre n’est pas fini, pas passé sous la lame caudine du massicot. Faut tout faire soi-même, au couteau, au cutter, avec le risque de se couper. Une bonne heure de pure manutention, à croire que ce « disque-là » se mérite, qui, tout prétentieux qu’il est, ne s’offre pas au tout venant, premier venu. C’est du Gary et, dès l’entame, c’est participatif.
Supposons : nous venons de résoudre le problème de l’emballage (de presque deux cent pages). Feuilletons… Gary a sollicité nombre d’amis, pour labourer une lancinante question qui le taraude, le tarabuste : à quoi sert la chanson ? Ils sont nombreux à ses côtés à tenter d’y répondre, par un texte, une chanson, une photographie même, en vers comme en prose, parmi lesquels nombre de ses pairs, tant et tant, tant qu’on ne les citera pas ici. Nommons tout de même Ponchon, pour lequel Gary nourri un penchant. Un poète, mort depuis si longtemps que les vers ont définitivement gagné. Raoul Ponchon donc, qu’exhume Rémo Gary. Gary a raison. Gary lui a trouvé agréable Compagnie : Jules Jouy, Jacques Bertin, Michèle Bernard, Victor Hugo, Richard Desjardins, Théodore de Banville, Gaston Couté, Robert Desnos, Allain Leprest, Jean Richepin et d’autres encore. Et pas une chanson de Rémo Gary, pas une seule. L’auteur interprète cette fois-ci s’est fait discret : il rend hommage et déroule le tapis de ses révérences, de ses références. Il n’est modestement qu’interprète, au service de, dont les choix éclairent sa propre œuvre, l’anticipent et la prolongent.
Il est important, je crois, de connaître Rémo Gary, de savoir ce qu’il chante. Et pourquoi il chante. Il est important de soi-même cheminer dans cette réflexion qui est la sienne et tout autant la nôtre. A quoi sert cette chanson que nous aimons, que nous servons. Cette parenthèse de Gary est bien venue. C’est un bien bel album, un bien beau livre que voici. A nouveau sans attaches, autoproduit, autodistribué. A nous de l’acheter, de le faire connaître, de le populariser. A nous de dire, mais pas dans le désert, que Gary est un de nos plus beaux fleurons de la chanson. Un fleuron, un fleuret à fine lame qui chante et fleure le bon sens. Au risque d’une collusion, je viens de regarder le film qu’a consacré Jacques Bertin à Jean Dufour (Un ouvrier dans la coulisse, sur lequel nous reviendrons d’ici peu). Dufour et Bertin y parlent abondamment de l’éducation populaire. Et c’est ça qui, justement, définit le mieux Rémo Gary, à l’exact égal de son talent. L’éducation populaire ! L’art de Gary chaque fois pétrit le levain de la connaissance, de l’art, de la culture. De la réflexion. Du politique. De l’intelligence. Et fait des chansons bonnes comme le bon pain. Tiens, c’est ainsi qu’il y a peu j’avais parlé de ce Jean Dufour, qui fut l’agent de Félix Leclerc, de Raymond Devos, de Francis Lemarque et de tant d’autres. Bel entourage lui aussi, que de bons amis, que du Ponchon et Cie…
Rémo Gary, Ponchon et Cie, livre-disque 2012. Le site de Rémo Gary, c’est ici. Les photos illustrant cet article sont de Chantal Bou-Hanna.
Chapeau Michel!
Chaque fois que vous parlez de l’ami Gary, c’est du ressenti, du vrai de vrai, une admiration sans borne…
Et je vous rejoins entièrement.
La semaine prochaine dans l’Ardèche, je vais le réécouter et le voir
et ce sera encore une nouvelle fois…
Rémo inclassable.
Je suis arrivé à décoller les pages de »La Lune entre les dents »
gageons que ce soit pareille pour « Ponchon et Cie »
Continuez de nous le conter!
Il me semblait bien avoir reconnu les photos de Chantal.
On peut deviner les chansons qu’il interprète…
Bravo Chantal!
Oui, mille mercis, Michel, de persister à déchiffrer et à défricher, comme tu le fais avec acuité, le champ de la chanson qui parle à chacunE !
Mettre en exergue de la sorte l’oeuvre de Rémo Gary, ce n’est finalement que lui rendre justice avec justesse.
Et ça, ce n’est pas rien : c’est juste juste…
Musicamicalement.
Je partage aussi ce coup de coeur immodéré pour Rémo Gary qui nous nourrit de ce bon pain tout fait main, avec les plus belles moissons de mots :
» Quand on est sans pain
Les aubes sont noires
De tous les espoirs
Qu’on exhale en vain
Loin des paradis, hélas illusoires
Les aubes sont noires
Quand on est sans pain »
Salle de la Muscade à Blanzat (63)
le 12 juillet 2012 à 20h45
Avec Clélia Bressat-Blum, dans le cadre de ma Carte blanche à Francesca Solleville
Il est assez rare de découvrir un artiste dont on perçoit dès la première rencontre qu’il construit une oeuvre, sans compromission ni mercantilisme, Rémo Gary est de ceux-là, de ceux qui réalisent l’utopie « d’enfanter un peu de beauté humaine » et tant qu’il en reste quelques uns… on peut rêver…
Et on peut aussi participer, il y a ses albums et ce livre …
La description du livre-objet donne vraiment envie d’avoir l’album entre les mains… Allons voir sur le site de Rémo Gary afin de pouvoir l’acheter pour de vrai ça nous changera d’internet (!) et puis si vous en avez l’occasion ne vous privez pas de le voir sur scène, il s’y enracine et vous emmène dans son univers poétique pour ne vous lâcher qu’à la fin du spectacle, c’était un « Chante -Grange » l’an dernier dans le Nord nous n’étions pas 1561… un peu moins… mais qu’est ce qu’on était bien ! Il y avait de la chanson, de la poésie, de l’écoute et un bon repas enfin tout ce qu’il faut pour recevoir et mettre « quelques coups de pieds au coeur »… en douceur…