Dimitri sans tri
Tout est bon chez lui, rien à jeter…
Pieds et torse nus, torse nu, un simple jean et le haut débit de sa voix, gouailleur des rues comme des salles, tel est Dimitri sur toutes les scènes qu’il foule. Et qui l’a vu n’est pas près d’oublier ce fauve aux chants douloureux et aux blessures magnifiques. Prolonger ou anticiper ce plaisir par le disque est comme instinct naturel. Quasi primaire, primal.
Il y a douze ans, il fut le lauréat de la prestigieuse Biennale de la chanson, le plus important concours de Belgique. Deux albums suivront, dont un en public. Quelques belles scènes et désormais un peu l’oubli… Tant d’artistes se succèdent que les fraîches émotions relèguent les précédentes aux archives. Dimitri le belge s’est établi en France, à Quimper. Il n’est pas rare, comme aux temps héroïques des années soixante où entre deux engagements en cabaret on faisait la manche, de le voir tendre le chapeau. Je m’essayais à écrire un billet tout frais, quand m’est revenu ce papier écrit sur lui il y a quelques années. Je n’en retire pas un mot, confirme et signe :
Deux pianos, l’un à queue, l’autre à bretelles, pour ce belge, ce Dimitri, qui ne met pas deux chansons pour nous étourdir de sa gouaille, pour vous insinuer l’idée, tenace et dont on ne se départira pas, que nous avons en face de nous un artiste de la race des géants. Un rare.
Gouaille, le mot renvoie à la chanson populaire, aux piafs et autres oisillons décharnés qui crachaient une chanson trempée de passion, entre pavés poisseux des rues glauques et ferveurs d’Olympia. Nul n’est besoin de beaucoup s’instruire sur le cursus de Dimitri : sa tronche raconte son histoire, ses traits décharnés parlent de cette bohème qui – ne vous fiez pas aux chansons – n’est pas toujours tranche de pure poésie.
Gouaille, le mot lui irait bien s’il ne colorait pas tant et ne fixait répertoire. Tel n’est pas le cas. Dimitri est pluriel : bien vingt artistes cohabitent en son seul corps. Ça doit secouer, ça doit même être parfois franc bordel. Entre le chanteur à textes, celui à succès (qui aimerait voir, dans la salle, s’agiter de sots briquets) avec « tubes » calibrés « radio », le monsieur qui chante le blues, le libertaire, le titi des pavés parisiens et des cafés liégeois, le popu dans l’ivresse de certains textes, l’espace est grand qu’il occupe sur l’heure et sans heurts.
Dimitri est de la tradition de la grande chanson, mais d’un degré différent, d’une lente macération qui produit d’autres effets, en décalage souvent, en réaction parfois. C’est un nerveux, Dimitri, touches en folie sous ses doigts et voix qui ne botte pas en touche. Dans sa musette, il entasse les genres sans jamais faire désordre.
Sans jamais non plus faire l’économie de quoi que ce soit, hors la tenue de scène qui ne tient qu’à un jean : faut bien rogner sur le budget ! Dimitri est talent et émotion. Ecoutez-le chanter « Il a plus soif cet homme-là c’est sûr / Ou s’il a soif c’est d’abord d’aventures / D’un peu d’amour, d’un peu d’azur » : c’est poignant, c’est prenant, c’est bouleversant.
Dimitri est un monsieur qui me bouleverse. Il y a quelque chose en lui de profond, de puissant. Je suis d’accord avec vous, avec vos mots pour le dire. Que les organisateurs de concerts, de saisons comme de festivals sachent qu’ils ont en Dimitri un artiste formidable. Je ne peux que l’imaginer sur une scène, pas franchement dans les couloirs du métro. Merci d’en parler.
J’ai eu la chance de voir cet artiste terriblement émouvant, à Charleroi, pour « la fête à Julos » en 2009 , je crois.
C’est très bien d’en parler, ça donne très envie de revoir ce grand artiste attendrissant.