Jamait : « Combler mes jours à faire ce métier de chanteur »
Jamait sort dans les jours proches son quatrième opus studio, « Saison 4″ (sortie en bacs le 10 octobre) et entreprend une nouvelle tournée. Cette rencontre avec Yves Jamait remonte au 1er février dernier, lors des Poly’Sons de Montbrison. L’entretien a été préalablement publié sur le Thou’Chant de février 2011.
Comment a démarré ce fameux « Bar à Jamait » ?
Bêtement. Y’a une petite salle à Dijon, Le Bistrot de la Scène, où on a débuté. La première fois où on a fait payer des gens pour nous voir c’était là, au Bistrot de la Scène. Il fêtait ses vingt ans et m’a dit « Je te ferais bien une carte blanche pour les vingt ans » Donc je téléphone un peu aux potes, j’appelle deux trois par ci par là, Morel, tout ça… je leur dis « Dans le principe ça vous dit ? ». J’ai fait les trois soirs comme ça. Un soir très chanson, un autre plus pop rock, avec Thiéfaine, Bastien Lallement…, et un autre avec que des groupes dijonnais. Chacun faisait ce qu’il voulait, des duos, des croisées… Et c’est parti de ça. Une salle nantaise en a entendu parler. On l’a rejoué à Nanterre. On a refait… Du coup, ça fait déjà une quinzaine qu’on fait. Il est passé des gens comme Guidoni, Leprest, Jehan, Anne Sylvestre… Il y a les établis, les Joyet, les Morel, qui sont quasiment tout le temps là. On a un noyau, ça fonctionne, et on invite pas mal d’autres comme Yvan Cujious, Thibault Couturier… Sarcloret est venu, lui qui n’aime pas qu’on se mette ensemble. Tout le monde chante deux trois chansons, des fois ça dure deux jours. Quand c’est sur deux jours, on change de chansons le lendemain, c’est free. Moi je fais le présentateur et un peu le fil rouge. Y’a des tables sur scène, on est peinards. Y’a vraiment un plaisir pour tout le monde de le faire.
Tu n’y chantes pas ?
Si, je chante. On fait deux sets. J’ouvre avec deux chansons et je ferme avec deux chansons. S’il y a moins d’invités, il y a un peu plus de Jamait dedans. Je fais un mélange entre des trucs à moi et d’autres qu’on fait tous ensemble.
Ce public qui vient sur ton nom, comment réagit-il ?
Bah, ça commence à se savoir… . Et il réagit plutôt bien. Et c’est ça le but, parce qu’on n’a pas la télé, la presse… les grands médias on ne les a pas sur cette chanson-là ; donc c’est le bouche-à-oreilles et ça fonctionne pas mal. Faudrait encore plus faire ça… Moi j’aime bien cette famille chanson, j’y suis bien. Les gens se sont éclatés, ça rigole, il y a des duos étonnants comme entre Anne Sylvestre et Morel. Ça tape dans des chansons pas que du facile, on ne prend pas que des reprises, loin de là, ou alors qui ne sont pas connues.
Y’a-t’il des gens que tu aimerais inviter mais que tu n’as pas osé…
Ah oui. Pour des raisons de budget. On est tous au même cachet – moi je dois gratter un peu plus – et on se démerde pour payer mieux les musiciens parce que c’est quand même eux qui se tapent le plus de boulot. Y’a plein de gens… Bill Deraime, par exemple, j’aurais aimé. Ou Le Forestier. Des gens comme Guidoni, je n’aurais jamais pensé qu’un jour… Je suis allé le voir, Guidoni en scène, dans les années 80, 90. La première fois que je suis passé à l’Olympia, je venais juste de faire sa connaissance, je lui ai demandé s’il voulait bien monter avec moi sur scène. J’étais comme un fou ! heureux comme tout ! Je suis un spectateur de chansons avant tout. Donc je fais plutôt des choses que j’aurais aimé voir. Je ne suis pas forcément un bon chanteur mais je suis un bon spectateur, je connais bien le spectacle, j’en ai mangé, pas énormément parce que pas beaucoup d’argent certes, mais j’aime le spectacle, j’en ai vraiment le respect. Et je veux que les gens passent une bonne soirée. Qu’ils ne se disent pas « Putain j’ai foutu en l’air vingt euros ! » Y’a d’la tune derrière : quand je vois des gens qui viennent en famille, je me dis « C’était combien la place, putain ils sont six, sept ! Que ça les intéresse, qu’au minimum ils s’éclatent ! » Mon but c’est ça.
Tu parles de Guidoni, de Le Forestier, de Deraime… Comment es-tu venu à la chanson, toi ?
Par la variété. Mes premiers disques c’est Sacha Distel, Patrick Topaloff et Pierre Perret, plus tout ce qui se passe en variété. Je peux chanter un Sardou en entier, ce qui est complètement hallucinant ! Des fois, je dois apprendre un Ferré alors que je sais du Sardou par cœur ! Alors qu’on me met plutôt du côté de Ferré… J’aime la chanson dans tout ce qu’elle est. J’écoutais autant Joan-Pau Verdier que Louis Arti, que Souchon, Frédéric François… J’entends ça, et ce n’est pas des choses qui me déplaisent. J’aime la variété, j’aime ce qu’elle est. Je ne suis pas… Patrick Sébastien fait de la chanson à texte, qu’on le veuille ou non. En plus il est assez vindicatif dans ses textes. Je n’aime pas la prétention de la chanson à texte, quand on fait des barrages, quand on dit « vous ne pouvez pas comprendre, vous êtes trop con ! »… On est tous dans ce plaisir de chanter, d’entendre des chansons, dans le plaisir de ce qu’apporte une chanson. C’est simple une chanson. Si elle réussit à accompagner les gens dans leur vie, t’as réussit. Ça peut être une formidable chanson, si elle ne m’intéresse pas, moi… J’aime l’idée du partage. La première chose qui m’ait donné envie, c’est de faire de la scène. J’aurais fait n’importe quoi, même me mettre une plume dans l’cul mais j’avais envie de faire de la scène…
A quel âge as-tu commencé la scène ?
A trente-sept ans. J’en ai fait à vingt ans avec un groupe, L’Adam de sagesse, on a fait un concert, cent cinquante personnes on était contents, c’était en 75. On n’en a jamais refait ensuite. Et puis, pendant vingt ans, je trouvais que ce que je faisais était mauvais, ce qui était assez lucide je pense. Pas de là à dire que maintenant je suis bon. Y’a des gens à qui ça plait…
Comment es-tu arrivé au disque ? Tu l’as autoproduit ?
Le premier, oui. Il a été réédité ensuite. Il est marqué de 2003 alors que nous on l’a sorti en 2001. Ça fait dix ans que j’ai arrêté de travailler et que je fais ce métier-là.
Que faisais-tu ?
À la fin j’étais opérateur PAO chez Urgo. Je changeais les pansements, je regardais si tout était bien imprimable, si le cyan, le magenta ou le jaune noir étaient bien, si c’était les bonnes cotes. À la base, j’étais cuisinier. J’ai travaillé en laboratoires, en usine, en pas mal de trucs, tout ce qui ne demandait pas de diplôme.
Ça a un avantage d’arriver dans la chanson sur le tard ?
Oui. T’as l’avantage de l’âge. Il y a, sinon une forme de sagesse, au moins quelque chose qui se détend un peu avec le temps. J’ai quand même fait une dépression au début. Parce que tout d’un coup tout changeait. Au début ça déstabilise, ça met dans une situation de stress. La notoriété c’est pas le truc que je recherche, j’en ai besoin pour travailler, que mon nom soit connu, mais… je me fous de ça. Je fais les chansons que j’ai envie. Je suis débarrassé de ses trucs-là. Les gens me demandent ce que sera le prochain album : je n’en sais rien, ce seront douze chansons que j’aurais trouvées comme ça, et pis basta !
Le premier disque, on a eu l’impression que c’était vraiment comme un disque nécessaire, des chansons que tu traînais en toi depuis longtemps…
Sinon mes chansons au moins les idées. J’ai mis vingt ans à apprendre à écrire. Je ne dis pas que c’est une perfection aujourd’hui, mais en tous cas c’est mieux que ce que c’était il y a vingt ans. J’ai commencé à écrire à quinze ans. Pour te donner mon niveau, ça faisait « T’as pas connu ta mère / Ton père s’est suicidé / T’as connu qu’la misère / Depuis qu’t es né / Clochard » Je pars de ça et je me rends compte des progrès. J’ai mis vingt ans. J’ai un rapport physique avec la chanson. Il fallait que je passe par là, ça a été dur, j’en ai chialé dans ma chambre. La chanson m’est importante. Je ne sais pas pourquoi. Sinon qu’elle m’a éduqué : c’est à travers de Le Forestier que j’ai ouvert un dico, j’ignorais tout de tout avant la chanson. J’ai eu un rapport physique sur les sens, sur ce que ça envoie. Et ça m’a aidé à vivre. Quand quelqu’un arrive devant moi et me dit ça, je ne comprends toujours pas que ce soit à cause de moi mais je comprends tout à fait ce qu’il ressent. Quand quelqu’un me dit qu’il a écouté mon disque en boucle… moi aussi, d’autant que quand t’avais pas de tune, t’en avais pas beaucoup et ton disque tu l’avais pour longtemps, tu l’écoutais bien. Si tu pouvais même l’écouter sur la tranche, tu le faisais.
Maintenant, c’est un plaisir ou une souffrance de te mettre à l’écriture ?
C’est toujours une souffrance parce que j’ai pas une… J’arrive plus désormais à enlever le côté souffrance, parce que je ne vais pas me dire toute la vie que j’ai raté l’école, même si c’est un peu ce qu’il reste des autodidactes, tout le temps à courir après un truc que t’auras plus. Moi j’ai jamais été bon en français. Je lis encore régulièrement « Le français pour les nuls », j’essaye de faire gaffe dans l’écriture, c’est peut-être pour ça que c’est trop classique des fois dans ma façon d’écrire. Parce que j’ai besoin de me raccrocher à quelque chose de très classique. Je suis pas fan de Rimbaud, je préfère Verlaine ; j’ai conscience de ce que ça veut dire et ce que c’est, ou ça me met. J’ai plus envie de ressembler à des choses écrites que j’aime bien.
Quel effet ça fait d’être un soir dans une salle gigantesque et le lendemain dans une salle de cent places ?
Je le fais depuis le début ! Et c’est vrai. Au cinquième concert – en sachant que le premier le fut à la prison de Dijon, le deuxième à Dijon dans un café – on a fait la première partie des Têtes raides devant huit cent personnes : pour nous c’était le Zénith ! Et je me retrouve le lendemain devant trente personnes dans un bar. D’entrée, on a toujours fait ça. Quand on fait la première partie de Tryo, qu’en même temps on fait le CCAS, un coup trente-cinq personnes un coup deux mille. Ça ne me paraît pas anormal.
Ça permet de garder la tête sur les épaules…
J’ai été cuisinier. Tu peux nourrir une personne comme tu peux en nourrir trente. Ensuite il y a des conditions financières, car tu ne peux pas y être de ta poche, mais on s’y retrouve. On essaye de trouver des solutions. Et ça me plait. Cet automne, je vais faire tous les petits lieux à Dijon, le Bar de la Scène comme La Péniche. Et le Zénith avec un orchestre symphonique à la fin. Je vais même faire le Bar de l’Univers mais on ne dira pas le jour… Je suis un chanteur et je fais mon métier. Un charcutier fait de la charcuterie tous les jours. Mon truc c’est de porter une parole de chanson. J’aime cette idée. J’essaye de combler mes jours à faire ce métier.
Très impatiente de découvrir les versions live de ce nouvel opus dès le 8 octobre ( 1ère date de la tournée à Dijon ) !
Yves est un homme touchant , sincère , avec une pêche d’enfer et une équipe d’une extrême gentillesse … un vrai régal ses tournées !
Merci !!!
» le bar à Jamait ‘ de Saulieu (21) un vrai régal , merci à Yves pour cette soirée ainsi qu’à toute l’équipe