Les Vies liées… Lavilliers acteur et curé
On dit que Bernard Lavilliers, étant jeune, a longtemps hésité entre le métier d’acteur et celui de chanteur. Il fut acteur, en effet, une seule fois, tenant le rôle d’un curé sous l’occupation nazie. La piéce s’est jouée à Saint-Étienne en mars 1965. Extraits du livre « Les Vies liées de Lavilliers« , paru aux éditions Flammarion.
Mais si Nanar est fin prêt pour quitter Saint-Étienne, il lui reste quelques formalités à accomplir. Des obligations dont il doit s’affranchir. Ne serait-ce que de son boulot de tourneur à la Manu. Des récitals ici et là aussi… Et ce plat de résistance sur lequel il travaille depuis déjà pas mal de temps : Mourir, cette chance, pièce dramatique en quatre tableaux, huis clos dans une prison stéphanoise, en novembre 1943.
Sur les quatre acteurs de la distribution, trois sont du Théâtre des Trois Coups, ainsi crédités sur le programme. Seul Lavilliers, qui tient le rôle du Père René, un curé résistant, vient de l’extérieur. Du conservatoire ou, pour être plus précis, des bagages de Lecacheur. « J’étais apprenti comédien, plus ou moins, rappellera Lavilliers. On m’a dit “T’as le physique de curé”. “Ah bon !” J’y suis pas resté tellement longtemps. Il y avait un curé, un lycéen, un collabo et un résistant. Quatre personnages. Le lycéen allait se faire fusiller par la Gestapo. Il y avait le gestapiste : un “Beurre-Œufs-Fromage”. Les BOF sont ceux qui ont fait fortune pendant la guerre en travaillant au marché noir. Il y avait le résistant, qui était communiste évidemment. Le curé, lui aussi résistant, et le lycéen, qui lui, de toute façon, ne comprenait rien. C’était très marrant, parce qu’à la fin, c’était le BOF qui avait le plus peur. Le communiste n’avait pas peur : le lycéen si, évidemment… pas chaud pour aller se faire couper en rondelles ! Quand je jouais pour les bourgeois, c’était moi qui avais le plus de succès. Quand c’était pour les ouvriers, dans les amicales laïques, c’était Odouard, le résistant, qui faisait un tabac. Ah, c’était comme ça, avant : le méchant on le frappe ! Ça va, j’ai une bonne expérience de ça. Il y avait deux premiers rôles : Odouard et moi. On tenait toute la pièce, quoi ! »
« Les trois hommes sont courbés sur le cadavre de Jacques. Le martèlement de bottes se fait entendre. La porte s’ouvre et les nazis entrent, silencieux.
– Tony : … Ah les voilà, les fumiers ! Allons-y mon Père. Je serais près de vous jusqu’au bout. Partout où vous irez vous m’emmènerez, n’est-ce pas, je vous en conjure.
– Le Père René : Venez, mes amis, mes frères… Nous avons encore à faire un long chemin ensemble. Mon frère, prenez Jacques dans vos bras. Doucement, tout doucement. Nous devons emporter notre crime pour le montrer à Dieu. »
(Dernière scène de la pièce Mourir, cette chance !, G.-M. Dolet, 1966)
Mourir, cette chance est un franc succès, un événement qui déplace et fait parler le tout-Saint-Étienne. La première représentation, au Théâtre des Mutilés du travail, est introduite par le député de droite Lucien Neuwirth, ancien des Forces françaises libres ; la seconde, à l’Amicale laïque Tardy, l’est par le député communiste et ancien résistant Théo Vial-Massat. L’action se déroule dans un cachot, où sont réunis par le plus pur des hasards quatre prisonniers : le prêtre (Bernard Lavilliers) qui héberge des « terroristes » poursuivis par la Gestapo, un résistant (Marcel Odouard), un trafiquant de marché noir (René Mondon) que les Allemands utiliseront comme cobaye et un lycéen (Michel Bonnefoy) qui sert d’agent de liaison. La pièce n’est pas sans faire songer au film de Roberto Rossellini, Rome ville ouverte. Elle évoque un douloureux et authentique épisode de la guerre, quand six jeunes lycéens furent arrêtés en novembre 1943 par les agents de l’Obersonderführer Albert, qui tous seront abattus après avoir été torturés. La presse ne tarit pas d’éloges tant en direction de l’auteur et du metteur en scène que des interprètes. Le journaliste de La Tribune-Le Progrès remarque particulièrement Bernard Lavilliers « dont la noblesse de l’interprétation fait oublier la jeunesse. »
Ce théâtral fait d’armes de Bernard sera longtemps la grande fierté des Oulion. La pièce connaîtra d’autres représentations, mais sans Lavilliers dont la mention au générique d’une future distribution, de fait erronée, témoigne d’un départ pour le moins précipité. Marcel Odouard, n’ayant de cesse de vanter son talent et de lui prédire un brillant avenir, l’a définitivement convaincu de se consacrer pleinement à la chanson. Nanar vient donc de démissionner de la Manufacture d’armes. Roger Veyre, de plus de vingt ans l’aîné de Bernard, reprendra le rôle du Père René, redonnant en l’occurrence un âge sans doute plus crédible à ce personnage.
Michel Kemper, Les Vies liées de Lavilliers, Éditions Flammarion ; 400 pages, 20 euros.
Très bien écrit et passionnant à lire, avec cependant quelques réserves dont celles de faire chanter Léo Ferré à la Fête de l’Huma en septembre 93 alors qu’il était déjà mort !!!
Réponse : Je suppose que, selon la formule, « nos lecteurs auront rectifié d’eux-mêmes » cette erreur. C’est bien en septembre 1992 que Lavilliers et Ferré se sont retrouvés sur la grande scène de la Fête de l’Huma. Beaucoup de correcteurs, moi le premier, n’avons pas su identifier en temps cette jolie coquille. Merci pour cette remarque et pour votre confiance, m’sieur Javelle ! Amitiés. MK