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Les tubes à essais de Séranne & Co

par Agnès André

L’album se prépare en studio… (photo DR)

Automne 2012. Le Moyen Âge n’est plus mais les fous du roi se baladent encore… En digne troubadour du présent, Philippe Séranne, seul au piano depuis des années abandonne enfin son tabouret, porté par une musique instrumentale à multiples mains: rassemblant sa basse-cour, il fait sa sortie dans le royaume des Hautes-Alpes, utérus d’un nouvel album plus habité que jamais.

En sortie à la Grange, lieu d’accueil d’horizons musicaux

Au bout d’une route entre roches et vergers ouvrant l’horizon sur une montagne-pyramide, La Grange, drôle de lieu-dit de la rencontre, s’offre en ce jour aux transhumances.

Mais ce soir, point de bêlements : on y accueille une toute autre sorte d’animal dont le nom, inconnu des scènes nationales, sonnera familier aux arpenteurs de petits lieux secrets de Paris à Marseille en passant par Budapest : Philippe Séranne – « saltimbanque mondialisé » – fait sa rentrée sur l’échiquier musical pour nous présenter un nouvel album « Je suis le fou ».

Après dix jours passés dans cette grange étrange transformée en studio d’enregistrement (studio Alys) et salle de concert par ses propriétaires-musicophiles, Pascal Perrot et Anne Baillons nous lâchent le fauve en ce début d’automne. Que dis-je : les fauves ! Autour du pianiste-chanteur, ce sont sept autres ombres qui se profilent dans l’écho des projecteurs…

« Ceci n’est pas un concert », ceci est une expérience.

Issu de ces journées intenses d’enregistrement, le concert s’ouvre autour de Serge Folie (studio Albedo) « accoucheur » et directeur musical du projet, dont les mains courent – liquides – sur le piano : Gilbert Gandil aux guitares ; Patrick Argentier, sourire aux lèvres, pied à la batterie et crotale tibétain en main (entre autres), enfin le pinceau « trop petit » à son goût de Johan Troïanovski – compagnon à dess(e)ins de Philippe Séranne depuis cinq ans –, peuplent la scène. Ce noyau artistique, dont est prévu la mise en scène prochaine au printemps 2013, est rejoint exclusivement ce soir de trois invités du nouvel opus : les voix de Géraldine Lefresne et d’Ahmed Chétiba ainsi que le violon alto de Nassim Hiber apportent leur tonalités singulières; lyriques, tendres ou grandioses enrichissant la « construction [de cette] histoire musicale à part entière, [de] davantage de surprise, de couleur et de relief ».

Devant nous en effet, le rythme s’extrait du verbe pour prendre possession des textes. Portés par une énergie comme démultipliée par la somme non synthétisée de leurs instruments, “Séranne and Co” « font tout péter », mais pour mieux laisser place à ces espaces soudains qui se libèrent: des images réveillées par les accents ou les suspensions, visions de steppes sauvages ou de villes étrangères se matérialisent, percutant l’espace-temps des poutres de bois. Le mouvement ne perd pas les mots ; l’ « urgence de dire » se (re)cueille: « ne chante pas » intime Serge Folie à Philippe, « on écoute ce que tu joues ». 

…mais les titres se rodent en concert (photo DR)

Quitte à être « politiquement énervé », « autant chanter » !

Cette urgence qui imprégnait son premier album enregistré en une semaine – « comme un cri » – n’est pas apaisée mais captivée par le rythme. Comment en effet occulter ce « cri » nourri par une carrière parallèle de près de vingt ans dans la coopération internationale en matière de droits de l’Homme et de la Planète ? Philippe Séranne nous a-larme de son chant joyeux et rieur de la beauté et des blessures de notre monde : quitte à être « politiquement énervé », « autant chanter » !

Touchante, la voix se fait ici presque palpable, s’accordant au pinceau de Johan sous lequel les couleurs naissent avec la même énergie : Séranne and Co emportent cette fois le corps tout entier dans une tournée chantée et « dessinée », communiquant par sensations autant que par la raison. Caractéristique héritée une fois de plus de sa première occupation de  « perpétuel exilé et vagabond » (D. Desmas, Centre de la Chanson), l’ébranlement de cette opposition très occidentale est née de la rencontre d’artistes en Colombie intégrant naturellement émotion et raison dans leur engagement. Depuis, Philippe Séranne réunit les contraires, l’intime et l’universel, la souffrance et la beauté, la légèreté et la gravité : « C’était drôle mais c’était pas drôle », témoigne un spectateur à l’issu d’un concert au Limonaire à Paris. Une geste qui se déploie en nos entrailles dans un concert qui n’est pas un concert mais un évènement à la fois à écouter et à toucher, à ressentir et à vibrer.

Expérimentation jusqu’au bout enfin, les artistes oscillent parfois mais n’emmêlent pas leurs pinceaux : jouant du hasard et des imprévus techniques, le droit est à l’erreur, singularité qui avait d’ailleurs séduit Serge Folie à l’écoute du premier album de Séranne : « tout est dans ces détails qui sont loin du formatage de variété ».

Philippe Séranne continue sa surprenante maturation et semble avoir plus que jamais « la tête qui pétille et le piano qui chauffe » : place au fou !

Le blog de Philippe Séranne, c’est là. Une vidéo plus ancienne de Séranne : http://www.dailymotion.com/video/x9gz79

 

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