Benoît Dorémus : « C’est un album pathologique »
Pour Nosenchanteurs, Benoît Dorémus a eu la gentillesse
d’accorder un entretien, trois jours avant la sortie de l’album.
Rendez-vous quartier Montparnasse, rue de la Gaité, à deux pas de Bobino.
VINCENT CAPRARO : Bonjour Benoît, au nom de NosEnchanteurs merci pour ta disponibilité. Nous avions soutenu la production de ce nouvel album En Tachycardie au travers de la plate-forme de financement participatif Kisskissbankbank. L’album est sorti le 5 février. Quel défi incroyable ?
BENOÎT DOREMUS : L’objectif a été atteint en 24 heures. Je ne m’y attendais pas du tout et quand je pense aux 8 derniers mois passés ça a été non stop. La levée de fonds, je découvrais, ça a cartonné, et derrière il a fallu assurer dans un laps de temps hyper court.
La tournée Francis Cabrel arrivait, avec cette chance d’en faire les premières parties…
C’était une belle opportunité de jouer devant des gens qui allaient me découvrir. Partir sans rien ou alors avec mon premier album ça n‘avait pas de sens alors que je n’avais rien sorti depuis 5 ans et que mes chansons étaient prêtes. Je devenais fou contre le système, des maisons de disque qui se désintéressent complètement des gens comme moi. Je n’avais pas encore trouvé mon économie ni les moyens de le faire. Il y a un an à la même heure je n’étais pas drôle du tout…
Après avoir été porté par Renaud, maintenant par Cabrel, des artistes qui ont cru sincèrement en ton talent, en ton écriture, cela doit mettre la pression ?
Bizarrement non. Cela ne m’a pas mis la pression. C’est la partie encouragement et qui fait du bien. La pression je me la mets tout seul en fait. Quand Renaud et Cabrel me font des compliments ou quand j’ai bossé avec eux cela m’encourage au contraire. J’ai passé un peu plus d’une semaine chez Cabrel, il y a un an, à faire des guitares-voix, à travailler mes chansons du matin au soir en tête à tête. Bizarrement j’étais hyper à l’aise et cela ne m’a pas collé de pression particulière, pas du tout. Nous étions rapidement dans la déconnade et la complicité même si j’avais envie de bien faire, j’étais concentré. La pression c’est plutôt quand je ne suis pas avec eux. Je veux qu’ils soient fiers de moi. Qu’ils n’aient pas cru en moi pour rien. La pression c’est plus pour remuer le merdier, tout ce qu’il y a autour, pour qu’on en parle. Qu’ils soient fiers de moi quoi…
Du coup tu as d’autres personnes qui travaillent avec toi ?
On a tout fait avec mon manager que j’ai rencontré il y a un peu moins d’un an, Vincent Moya. Oldelaf m’a fait rencontrer Vincent Moya. Après discussions on a décidé d’y aller ensemble. C’est parti comme ça. En fait je fais tout ce boulot avec lui. On a engagé une attachée de presse parce que c’est un métier tellement particulier, de relance, de réseau que je n’ai pas. C’est un métier à part entière, ce n’est pas à l’artiste de faire ça. Elle s’appelle Maud Cattoire. Elle a eu un coup de cœur pour l’album.
Un coup de cœur pour En Tachycardie c’est le cas de le dire…
De toute façon c’est un album qui marche sur le volontariat. Les gens sont rémunérés bien sûr mais depuis le Kisskissbankbank c’est un peu qui m’aime me suive. Vous avez bien compris que c’est artisanal. Les musiciens, le réalisateur de l’album, tout le monde a joué le jeu.
Tu as de belles collaborations. Francis a fait une petite participation voix-banjo. Il y a un petit clin d’œil de Souchon aussi ? Et une petite poussée d’Archimède avec les frères Boisnard, Nicolas et Frédéric qui ont composé la musique de Lire aux chiottes.
Bien joué ! Oui Souchon c’était incroyable, une musique de Maxime Le Forestier aussi. C’est ça qui m’encourage, ça fout pas la pression les encouragements de la profession, des collègues. J’me dis ce ne sont pas mes chansons qui coincent. C’est l ‘époque qui est dure. Il y a des dizaines de chanteurs dans ma situation. Avec ces soutiens et ces encouragements j’ai arrêté de me dire, comme par le passé, que ce sont mes chansons qui coincent ou que je n’étais pas bon .
Ça y est tu as passé le cap ?
Oui parce que je vois bien les copains. On est tous dans la même situation chacun à son échelle. Pour la chanson française c’est horrible. Tout le monde s’en tape et c’est difficile. Je crois qu’il n’y a pas d’appétit pour les gens. Je viens de passer une semaine avec des gamins dans le Périgord à leur faire faire des chansons. Ils étaient ravis mais ils ne sont pas nourris par la chanson. Ce n’est pas ce qu’ils écoutent. Ils s’en foutent. Moi quand j’étais au lycée j’étais déjà un cas à part. J’écoutais Souchon, Reggiani, Renaud. Il y en avait quelques-uns comme moi mais je n’étais pas dans la masse à l’époque. Ils écoutaient du rock indépendant, les Smashing Pumpkins, ou encore la vague Nirvana et pour le français c’était Noir désir, presque exclusivement Noir des’. La chanson à texte c’était pas ça. Et là aujourd’hui j’ai l’impression que les jeunes écoutent du rap. Quand j’avais 12-13 ans, j’écoutais beaucoup de merde aussi. C’était ce qu’écoutaient les copains, ce qui passait en radio… Mais pour eux écouter des choses en français si c’est pas du rap, t’es un gros ringard. Ou alors ils ne l’avouent pas et écoutent en secret. Ils aiment bien ce qu’écoutent leurs parents, Calogero etc, mais ils ne vont pas l’avouer devant les copains. Pour eux, ils écoutent du rap.
Pourtant il y a plein de gens qui écrivent. Tu as vécu à Astaffort les sessions de « voix du sud », formidables échanges entre auteurs compositeurs interprètes dans la petite cour de l’école de Francis. C’est aussi une tradition forte la chanson française ?
Oui mais pas à la mode, pas médiatisée. La chanson française elle est underground comme le rap français l’était il y a 20 ans. Il y a un fossé entre la chanson et la variété française qui fait encore de bons scores de temps en temps. Il y a un truc qui s’est cassé et qui ne marche pas.
Alors, je suis allé faire un petit tour En Tachycardie. J’ai fait un beau voyage, ça remue. Je me suis dit, ce garçon possède une grande sensibilité et une pudeur mais là il se lâche. Tu as une retenue naturelle en tant que personne que j’ai pu ressentir depuis quelques années mais là tu te lâches sur des sentiments de façon très personnelle et même intime. C’est dur les relations amoureuses avec les femmes ? Avec cette sensibilité exacerbée tu arrives à rebondir avec humour. Même si en filigrane on perçoit les douleurs et la déprime sous-jacente. Mais c’est génial parce que tu laisses toujours des respirations d’humour.
C’est marrant parce qu’il y a plein de gens qui m’ont dit : « moi j’écoute ton album parce qu’il est drôle et met de bonne humeur ». Il y a à la fois des gens qui percutent et qui ont ressenti la vague, comme toi, de sentiments douloureux. Des gens se prennent ça en pleine gueule, et d’autres le voient beaucoup moins et trouvent que les chansons sont marrantes. J’ai eu beaucoup ça après les premières parties de Cabrel : « vous m’avez fait rire ». Il y a deux niveaux de lecture de toute façon et je me donne un peu de mal pour que justement on ne pige pas tout à la première écoute. Pour ce qui est de la pudeur ça sert à rien d’écrire, de faire de l’art, si c’est pour être pudique. Enfin ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse la pudeur. Bizarrement je peux raconter mes histoires de cœur intimes et c’est pas pour autant que les gens qui écoutent ce disque me connaissent.
C’est subtil, tu arrives à faire passer des choses sans pour autant t’exposer.
Ça me gène d’autant moins que je crois que nous avons tous vécu ça. On a tous eu le cœur brisé, certains plus fort que d’autres mais enfin. Il se trouve que moi j’aime bien en parler.
Brassens en pleine poire. C’est juste génial cet exemple-là d’aller balancer des boules de neige dans la tronche du maître en se disant un peu, « salope » tu m’as trompé, les amoureux des bancs publics finalement c’est pas pour moi.
Tiens, j’avais pas pensé aux bancs publics.
L’amour dans le parc quand tu évoques dans la chanson, dans l’herbe à l’été passé. Et je l’imaginais aussi sur les bancs publics de Brassens. Il y a une revanche quoi. C’est aussi un hommage détourné ?
C’est ça il y a plusieurs histoires en une. J’ai mis du temps à la tisser celle-là. J’ai eu l’idée assez vite de toute façon c’est parti de la réalité. C’est une vraie histoire et puis après c’est un travail de pâte à modeler. Elle a été longue à façonner. De toute façon c’est une chanson dense.
J’ai trouvé l’axe très bon c’est ma petite préférée de l’album. Qui me touche. Cet album est tout sauf un électrocardiogramme plat et pour revenir sur l’idée de la rupture, cela m’a évoqué Je t’en remets au vent de Thiéfaine mais sans aller dans le pathos.
Si je suis allé un peu dans le pathos. C’est un album pathologique.
Oui soigné à coup de 20 milligrammes… C’est drôle que des gens t’aient dit « je me suis bien marré ! »
Sur les mêmes chansons des gens m’ont dit j’ai pleuré et d’autres j’ai pas arrêté de me marrer. C’est tant mieux, ça change des chanteurs qui ne font que se plaindre au premier degré sur une chanson d’amour.
Oui, on ne se trouve pas dans une ballade classique.
Le sujet est parfois grave, je dramatise un peu et j’y mets un peu d’ironie ou d’autodérision. C’est ce que j’attends des chanteurs que j’écoute, dans les films ou les bouquins.
C’est aussi une façon d’exorciser, on ne s’en sort pas sinon. Alors la scène, il y a les Trois baudets qui arrivent en mars ? Une formation avec des musiciens ?
Je prépare les Trois baudets, deux petits concerts avant, à Lyon et à Toulouse. Mais on se concentre sur les Trois Baudets pour présenter l’album. Oui à trois. On va essayer de défendre un compromis avec l’album qui est très produit et la scène où l’on n’est que trois. Mais en même temps avec du son qui envoie un peu et un peu intimiste. On réfléchit à ça.
Les derniers temps tu te produisais seul avec ta guitare sur un concept acoustique et là l’album se prête un peu au son, non ?
Là je suis content de repartir avec des potes musiciens. Ça fait 4 ans que je fais des concerts seul. Cela m’a permis de faire beaucoup de progrès à la guitare et de prendre un peu d’assurance sur scène. Là je suis content d’avoir des complices avec moi. Un guitariste qui joue avec moi depuis le premier album. Un super copain et une seconde personne au clavier et machines comme on dit maintenant C’est un petit nouveau on n’a jamais joué ensemble mais ça booste, ce sont de nouvelles motivations.
Tu as déjà des retours journalistiques de l’album ?
Oui oui, on a eu une page entière dans le Nouvel Obs, ça fait super plaisir, titrée « Le coup de maître de Dorémus » pas dégeu ! De Sophie Delassein qui est réputée comme critique assez intransigeante. Et puis quelques petites chroniques sur le net à droite et à gauche. L’album sort le 5 février. Les retours sont plutôt bons pour l’instant. Le plus dur serait de se donner autant de mal depuis 5 ans et que derrière il ne se passe rien.
L’artwork tu as travaillé avec qui ? J’ai beaucoup aimé cette pochette. C’est carrément organique ?
C’est ce qu’on voulait. C’est une idée de Franck Loriou. Quand je lui ai dit que je galérais pour trouver le titre de l’album et que je pensais l’appeler En Tachycardie. Il a tout de suite dit, c’est chouette !, super idée comme si c’était un pays comme Tintin chez les Picaros, Benoît « En Tachycardie », et ça l’a inspiré pour illustrer.
Lire aux chiottes, une tranche de vie ça parle à tous, c’est drôle je me souviens de photos sur le net de toi floutées assis sur les chiottes ? Il me semble même que Renaud a enregistré un album aux chiottes ?
Il a fait toutes ses voix de La belle de Mai chez lui. Il habitait à l’époque à 100 mètres d’ici, boulevard Edgar Quinet. Un album qui sonne génialement. Effectivement il a fait les voix dans les chiottes, c’est là où ça sonnait le mieux ! Effectivement je crois qu’il y a des photos ça me dit quelque chose.
Ma chère Laura, une aventure même pas commencée qui déjà…
Ouais, elle s’en prend plein la gueule. C’est l’expression d’un sentiment douloureux je sais pas comment le dire autrement. C’est évidemment une chanson d’amour. Je suis un gros défenseur concerné par le droit des femmes et écoeuré par la manière dont elles sont traitées partout dans le monde. Les femmes sont nos égales mais elles nous brisent le cœur.
Tu penses qu’il y a une inaptitude au bonheur en couple, que pour toi c’est un éternel recommencement ?
Dans mon histoire personnelle oui sans doute. Il y a des gens qui s’en sortent très bien en amour et qui même s’ils connaissent des ruptures, ne traversent pas ça. Moi c’est ma façon. Je ne sais pas pourquoi mais je suis fait comme ça, ça ne m’explose le cœur en miettes, j’en ai fait un album et malheureusement je crains que cela ne se reproduise encore. Mais j’espère pas.
Dans 20 milligrammes tu reconnais ne pas avoir la sagesse de Khalil Gibran. Lui même dit à propos du couple une phrase intéressante : « Emplissez la coupe de l’autre mais ne buvez pas à la même coupe ».
C’est marrant que tu me parles de ça. Cet été j’étais témoin de mon petit frère qui s’est marié. Un mariage laïque, et c’est moi qui ai fait la cérémonie. On s’est bien marré. C’est moi qui ai remplacé le curé ! Et je leur ai lu exactement ce passage-là sur le mariage de Khalil Gibran.
Finalement si ça ne marche pas le plus souvent est-ce que ce n’est pas à cause d’une espèce de mythe de l’amour fusionnel ?
Sûrement, c’est dur de faire tenir une histoire d’amour debout longtemps. Effectivement on doit être attaché à des idéaux qui ne sont pas compatibles avec la réalité. Quand on le comprend c’est un arrachement en fait. On appelle ça une rupture et je trouve que ce n’est pas le bon mot. Une rupture c’est sec. C’est comme casser un bout de bois, ça dure une fraction de secon , pour moi c’est plus une déchirure, c’est un tissu qui se déchire et qui n’en finit pas de faire craquer sur toute la longueur. Ce n’est pas du tout une rupture. La douleur elle dure souvent bien plus longtemps que l’histoire elle-même. Je ne connais pas grand monde qui n’ait pas déjà eu le cœur brisé. Certains se protègent peut-être mieux que d’autres, mettent des barrières assez hautes pour ne pas que ça ne se reproduise. Je ne sais pas. En tout cas c’est vrai qu’il y a un côté extraterrestre entre les mecs et les nanas. On se comprend et on ne se comprend pas. C’est aussi un sujet d’humour, une source d’inspiration dans la chanson, le cinéma, le théâtre… c’est ce qui fait tourner la terre.
Et en même temps la Femme de ma vie tu la vois partout. Tu les observes, les adores. Tu as aussi un côté vraiment féminin au regard de ta sensibilité ?
Peut-être. Je ne m’en rends pas compte, j’ai l’impression que tout le monde est comme moi. Je suis ma normalité ? Je ne sais pas comment les autres mecs pensent. Je ne conçois pas qu’on puisse être insensible. Je ne comprends pas qu’on puisse l’être trop. C’est vrai que j’ai un public plutôt partagé mais c’est vrai qu’il y a aussi beaucoup de filles à qui ça parle et c’est peut-être parce qu’ il y a une fraction de mon cerveau qui s’adresse à elles.
La Bête à chagrin , l’artiste et ses souffrances. Il faut souffrir pour créer ?
Est-ce qu’il faut ? Non je ne pense pas, il y a des artistes qui donnent l’impression d’avoir des vies hyper heureuses et moins tourmentées. Mais les artistes qui me touchent, que j’ai rencontrés, que je connais, que j’observe ou qui m’intriguent sont souvent, j’aime pas trop le terme, des écorchés vifs, mais des introspectifs, des hypersensibles des gens qui doutent, qui se considèrent pas aimés alors qu’ils sont adorés. C’est un thème qui m’a inspiré et c’est une chanson sur ce que l’artiste fait autour de lui. Il fait du bien au public mais il peut faire du mal aussi dans son cercle intime. Quand tu vois l’homme derrière l’artiste… C’est ça le sujet, j’ai essayé que ce soit marrant mais on ne se doute pas toujours combien c’est compliqué d’être amoureux d’un artiste, c’est un calvaire. Déjà il ne se supporte pas lui-même alors il demande aux gens de l’aider à le supporter. Artiste c’est une drôle de bestiole.
Toi tu es toujours quelqu’un qui doute aussi. Et le fait d’être aimé de ton public tu y crois ?
Oui j’y crois bien sûr, sinon j’aurais laissé tomber depuis longtemps parce que j’en ai vraiment chié ces dix dernières années et surtout ces 5 dernières années . C’est même ce qui m’a porté. Le kisskissbankbank c’était concret. C’était palpable et ça m’a boosté à un point … je serais un idiot de ne pas le reconnaître, je ne sais pas, il y en a qui m’aiment tellement fort que je suis presque déçu de leur donner si peu. Que mes chansons ne passent pas à la radio. Ils ont envie de ça, de venir me voir dans des grosses salles, pas que en première partie mais en tête d’affiche. S’il y a de la pudeur, elle plus là. Je suis même presque gêné qu’on m’aime autant alors que je galère.
Oui j’ai vu sur les réseaux sociaux tu as plein de gens qui t’apportent leur amour leur soutien..
Leurs nichons aussi (rires)
La puissance de cet amour-là, il emplit suffisamment ?
Faut faire gaffe. Si le succès et la gloire faisaient le bonheur on serait au courant depuis longtemps. Tu as parlé de Renaud, c’est un cas à part, mais quand même, c’est pas quelqu’un que le succès et la gloire ont rempli.
C’est une question qui m’intrigue, pour être devant les scènes souvent et vous observer au travers de mes objectifs, j’ai toujours pensé que vous étiez quelque part des monstres quoi. Et ça me remplit d’émotion à chaque fois. C’est dingue d’avoir autant de gens qui vous aiment, est-ce que ça permet d’y croire ?
Ouais ! c’est une drôle d’idée. Je ne sais pas comment je réagirais si j’avais un énorme succès et si vraiment les gens qui m’aiment devenaient le grand public. Qu’est ce qu’on pense dans ces cas-là ? On prend conscience que c’est un peu du vent, que ça peut être éphémère et en tout cas artificiel. Mais ça m’est pas arrivé pour l’instant. Les gens qui m’aiment, ils m’aiment fort et ne sont pas si nombreux. Enfin ils sont un peu partout mais ils ne sont pas si nombreux. Mais ces gens m’aiment sincèrement.
C’est déjà énorme !
C’est énorme, en plus ils ont tenu cinq ans sans que je sorte de disque.
Renaud ça a du être un poids aussi, les gens t’ont découvert grâce à lui , avoir Rien te mettre sur un album de Renaud c’est pas rien.
Oui mais cela ne m’a jamais mis la pression. Renaud m’a plutôt sauvé la vie que lesté au fond du canal.
Et le public est devenu petit à petit ton public ?
Il y a des gens qui s’intéressent à la chanson française en général comme toi, qui suivent beaucoup ce qui se passe, qui peuvent aimer ce que je fais comme ils peuvent aimer Ours ou Ben Ricour. Des gens pointus qui aiment la chanson. J’ai une petite partie du public qui m’a connu grâce à Renaud c’est vrai et puis une grosse partie que je suis allé chercher moi, en faisant 400 concerts en dix ans dans mes petits endroits, avec le bouche à oreille aussi.
Avec Alexis HK et Renan Luce, sur la tournée Seuls à trois, ce fut une belle aventure ?
C’était notre récré à nous, hyper cool. Alexis et Renan font partie des très bons copains, j’ai pas mal d’amis dans la chanson, de très bons collègues mais Renan et Alexis sont plus que ça. En dehors du métier, on se voit en vacances, on va arroser les plantes chez les copains. Enfin, ce sont vraiment des amis proches. Nous étions tous les trois à des moments très différents dans nos carrières. Cette récré là a fait un bien fou à tous les trois.
Je n’ai pas vu le spectacle d’Alexis sur Brassens mais j’en ai eu des échos plus que favorables.
C’était génial, il a joué là, à Bobino. C’était magnifique. Il m’a bluffé Alexis. Brassens il en parle tout le temps. C’est un personnage marquant dans sa construction personnelle. C’est sûrement pour ça que c’est si réussi. Il y a mis tout son cœur.
Toi dans ton écriture tu casses un peu toutes les conventions de la chanson. Bien que nourri aussi à la Brassens, tu as un style très personnel, avec des influences rap. Je sais que tu es fan d’Eminem. L’influence est marquante dans « dernièrement » .
Je crois que je me suis mis à rapper, entre guillemets, mais parce que j’avais beaucoup de choses à dire et sans faire des chansons d’un quart d’heure, il fallait que ça aille. J’aime ça. J’aurais bien aimé être un rappeur dans une autre vie. Je ne le suis pas mais je me sers des ingrédients du rap comme les rappeurs nous piquent des samples du rock ou des chansons. Moi je leur pique quelques techniques pour faire mes textes. J’essaye de faire en sorte que le fond soit au service de la forme.
De toute façon c’est un album qui touche, j’espère qu’il va rencontrer un large public.
Je suis content parce qu’il n’y a pas de regrets. C’est l’album que je voulais faire depuis dix ans. Même au niveau des arrangements, de l’orchestration. C’est exactement ce que je voulais faire. Ça pourrait être mieux mais moi je ne pouvais pas faire mieux. C’est une énorme satisfaction personnelle.
Encore que quand on écoute le tout premier album autoproduit Pas en parler avant Jeunesse se passe il n’y a pas à avoir de complexe. Même si bien sûr En Tachycardie est super produit c’était quand même franchement bien fait.
Je regrette un peu qu’il soit sorti quand même, c’est du bricolage ! Je l’aime bien mais c’était même pas un album. Il a couté zéro, c’est une maquette. C’était gravé à la maison. Je n’y connaissais rien de rien.
Justement dans le contexte dans lequel tu l’as réalisé, je trouve que pour du bricolage c’était vraiment pas si mal. C’était sérieux. Il y avait quand même une sacré maturité artistique.
Les chansons étaient là. Il y a des gens qui y sont très attachés. Ça me fait plaisir. Je l’ai réécouté il y a deux ou trois ans. J’avais passé 7 ou 8 ans sans le réécouter du tout. Je me suis pris une autoclaque. J’en étais pas fier parce que depuis j’ai appris beaucoup de choses. J’avais un peu oublié mais je me suis dit pour un gars de 22/ 23 ans c’est pas si mal. Surtout que ça n’a même pas été fait en studio c’était fait dans la cuisine pour le coup. Ça me paraît loin, j’ai l’impression que c’était une autre vie… il y a douze ans, enregistré en 2004.
Tu l’avais enregistré au moment où Sarclo t’avait chargé d’apporter sa guitare Martin à Renaud ?
Non non, c’était deux ans avant. J’avais commencé pendant un an ou deux à jouer dans les bistrots comme ici, je me suis dit, bon je vais essayer d’en faire mon métier. Comment ça marche ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Donc pour aller démarcher il faut bien faire écouter ce que je fais. Je n’avais rien. Donc avec un copain, qui est devenu mon manager à l’époque, on a fait ça comme ça. Mais c’était bien avant que je rencontre Renaud. C’est justement le jour où je l’ai rencontré que j’avais cet album-là. Quand je lui ai apporté la guitare je lui ai dit que je faisais des chansons et demandé si je pouvais lui laisser un disque. Ça a commencé comme ça. Je crois que j’avais suffisamment travaillé, je savais suffisamment ce que je voulais pour que ça intéresse Renaud. Il a vu effectivement les défauts que ça comportait, y compris l’influence trop grande qu’il avait sur moi, vocalement, tout ça. Mais il a vu ce qu’il y avait derrière aussi. Il a dit bon, ce mec-là, s’il travaille dur…
On peut effectivement y trouver une filiation, une sensibilité commune mais ce n’était pas de l’imitation de Renaud. Tu avais déjà ton univers ?
Oui sinon il me l’aurait jeté à la gueule. « Pour qui tu te prends… » Tu me disais au début de la discussion, est ce que ça m’intimide les Renaud et les Cabrel ? Non parce que Renaud ce jour-là il m’a débloqué. Ce sont les autres qui m’emmerdaient, les peu de gens du métier qui avaient écouté mes chansons disaient : « tu chantes comme Renaud… » Ils avaient raison mais que Renaud arrive et dise « On s’en fout, écoutez ce qu’il raconte » et bien ça change tout. Ils m’ont porté beaucoup plus qu’intimidé. Pareil pour Francis Cabrel qui a bien vu que j’étais un disciple de Renaud. Mais il a vu au-delà aussi.
Et puis au-delà de Renaud et Cabrel il y a plein de chanteurs qui te construisent ? Tu m’as parlé de Reggiani tout à l’heure…
Reggiani, énorme claque en terminale. Mais dans les français, Alain Souchon et Gainsbourg en troisième et en seconde. J’avais piqué un best-off à mon frère. Je découvrais les Beatles, Supertramp, Police. Elvis, j’ai eu une grosse période Elvis. Enfin, tellement de choses différentes. Pou ce qui est de l’expression française, chronologiquement Reggiani, Brel, Gainsbourg, Renaud, Souchon, Brassens.
Et puis quelques autres. Des gens qui m’ont mis des claques inattendues. Par exemple, Julos Beaucarne. Je l’ai découvert j’avais dix-sept ans. J’ai écouté ça tout un été. Il fait partie des gens qui comme moi ne sont pas connus mais…
C’est pas quelqu’un qui naturellement vient comme référence pour ta génération.
Il devait y avoir une cassette qui traînait dans la voiture de mes parents. Je pourrais en citer d’autres. Il n’y a pas que les gens connus qui m’ont touché. Henri Dès, ses chansons m’accompagnent encore maintenant. Ses chansons sont d’une précision parfaite, d’une justesse au niveau de la mélodie. Ce sont aussi des influences .
Des gens comme Guillaume Aldebert semblent avoir aussi ses influences-là, c’est la même génération.
Oui, nourris au même biberon . Guillaume, c’est un énorme bosseur aussi.
Depuis quelques années avec Enfantillages il explose. Il remplit les salles, les petits gamins connaissent tout par cœur et il a réussi la performance de faire des chansons pour mômes intelligentes sans les prendre pour des idiots. Avec une écriture qui parle aussi aux parents. Tu parlais d’Henri Des mais on aurait peut être pu aussi évoquer Anne Sylvestre.
Oui j’aurais pu le dire aussi.
Mais Guillaume on l’attend aussi pour un album pour adultes. Vous avez en commun, un peu ce côté adulescent. On sent que la période du lycée, de l’adolescence c’est une période qui vous inspire un peu tous les deux.
J’essaye de soigner cette nostalgie. J’essaye de moins l’être et je crois que je le suis moins. En tout cas moins nostalgique qu’il y a dix ans.
Plus que la nostalgie est ce que ce n’est pas plutôt pour préserver la sensibilité de cette période de l’adolescence. ?
Oui bien sûr. C’est l’âge où l’on se fait des promesses à soi-même. Des promesses que beaucoup de gens oublient portés par la vie, les soucis… Moi je me suis fait des promesses que j’essaye de toujours tenir maintenant. C’est comme si je me le devais. C’était des promesses par écrit, que j’ai toujours sous les yeux, que j’écrivais dans mes cahiers quand j’avais quinze ans et que j’ai toujours aujourd’hui. « T’as pas intérêt à être devenu ci ou ça », « t’as intérêt à toujours écrire, à être un mec bien, gentil … ».Je ne veux pas décevoir ce mec-là. Je tiens bon pour lui, pour les gens qui trouvent que c’est une bonne idée. Ouais, je savais ce que je voulais .
Et le Benito de 15 ans il savait déjà qu’il allait faire ça ? C’était une évidence ?
Ben ouais. C’était une évidence. Petit, quand j’ai découvert les rimes, la poésie ça m’a scotché. Vers 8-9 ans. Après, en grandissant, j’ai voulu être romancier puis réalisateur.
Merci Benoît pour cet entretien, c’est un plaisir de te rencontrer cela fait des années que l’on se croise on s’aperçoit et finalement on a réussi à se rencontrer. Ton travail m’a beaucoup touché.
J’ai mis toute mon âme dans ce truc donc quand il y a des gens qui aiment…
Oui « un disque c’est un objet avec une âme » moi je le reçois comme ça, j’espère qu’il y a plein de gens qui le recevront aussi comme ça aussi .
Tu veux dire en Digipack machin ?
Non, avec une âme… mais en Digipack aussi …
Certains ne seront peut être pas touchés mais je pense que cela peut faire du bien à des gens. Et c’est déjà le cas .J’ai déjà eu des retours j’en ai vendu sur la tournée.
D’ailleurs ça a marché J’ai vu que tu avais demandé des volontaires pour distribuer tes flyers sur la tournée Cabrel.
Sur toutes les villes, j’ai eu au moins quatre personnes. C’est génial il y a des gens supers qui sont venus gratuitement. Neuf fois sur dix je les invitais sur le concert quand j’avais assez d’invit’. C’était ma manière de les remercier. Ils repartaient avec l’album on faisait une photo. On discutait dix minutes et c’était trop cool. Dans chaque ville de France. on a fait 43 dates. Les gens sont prêts à donner une heure de leur temps pour venir distribuer. Il y a beaucoup de chanteurs qui aimeraient avoir ça ce public-là .
C’est en ce sens que je me sens tellement redevable envers ce public-là. J’espère qu’un jour je pourrai leur offrir plus. Il y a des gens qui me disent, « Pourquoi tu passes pas à la radio ? » Je ne sais pas quoi répondre. J’aurais envie de leur dire, « si tu savais mon pauvre, j’y suis pour rien… ».
C’est tout ce que tu voudrais, non pas le côté notoriété mais toucher plus large ?
Oui. Moi je voudrais que mes chansons soient connues, pas ma gueule, mon nom. C’est de la musique. C’est fait pour être écouté, diffusé. Et les gens ont besoin de ça. En tout cas si ça me permet de continuer à en faire. Ce que je ne veux plus, c’est d’être dans des conditions aussi précaires pour faire mon métier. Un jour je voudrais aussi une famille et j’veux pas gagner des mille et des cents mais je suis sur l’intermittence, je la retrouve, je la reperds… Si je trouve une économie un peu durable…
Forcement ça libère, pour créer, pour produire.
Là c’est vrai je le vis mal. Ça allait jusqu’à trente cinq piges et maintenant je me dis merde ; ça me freine pour mon épanouissement, pour une vie de famille par exemple. Ça me pompe toute mon énergie, tout mon temps, tous mes soucis, tous mes trucs. Mais bon c’est mon choix, c’est ma passion. Je l’ai bien cherché.
C’est vrai quel courage, quelle ténacité. Qu’est que c’est balèze de tenir la barre.
Tu sais j’ai essayé d’arrêter. J’ai failli reprendre des études il y a trois ans. J’étais vraiment au fond du trou et j’ ai pas réussi quoi. Finalement je n’ai pas vraiment choisi parce que je ne sais pas quoi faire d’autre. Et puis il y a eu Astaffort et ça m’a reboosté.
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