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Miquel Pujadó : Brassens en coffret, en catalan

???????????????S’il est docteur en philologie romane, c’est comme auteur compositeur interprète que Miquel Pujadó est plus encore renommé. Dans son pays de Catalogne, et partout où il s’est produit, en Europe et sur le continent américain. A son actif douze albums originaux, trois autres où il a mis en musique des poètes. Et trois autres encore où il chante Brassens en catalan. Vous lirez sur son site le reste de sa biographie, tant il est vrai que son activité artistique ne se limite pas à ces seuls disques, concerts et tournées. Une biographie lui a même été consacrée. Brassens, donc. Miquel Pujadó ressort tous ses enregistrements en un seul et élégant coffret de trois CD : un collector pour les amateurs du chanteur à la pipe, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre des Pyrénées. Inutile de m’objecter que vous ne parlez pas le catalan : vous avez tous fait Brassens 2e langue, facile donc de tout comprendre.
Miquel Pujadó a donné ce samedi un concert au Centre culturel Albareda de Barcelone pour célébrer la parution de ce coffret. Et en a profité pour répondre à nos questions.

 

A Barcelone le 5 avril 2025 (photos non créditées)

A Barcelone le 5 avril 2025 (photos non créditées)

Ce coffret reprend les albums que vous avez consacré à Brassens sur plus de vingt ans. Pourquoi cette envie de les rassembler ?

D’abord, il y avait deux albums qui étaient épuisés et qu’on me demandait souvent. Plutôt que de les rééditer de manière isolée, j’ai cru bon de mettre ensemble toutes les adaptations de Brassens que j’ai faites, chantées par moi ou par d’autres artistes. Puis, même si je me sens très en forme, j’arrive à un âge où l’envie me prend d’organiser un peu le travail que j’ai fait pendant plus de quatre décennies. C’est un projet à long terme, pour les prochains dix ans, mais après le triple CD Brassens et un album prévu pour 2026 avec mes nouvelles chansons (Cicatrius i naufragis – Cicatrices et Naufrages), j’ai prévu un triple CD avec mes travaux sur les poètes, et trois quintuples CD avec toutes les chansons dont je suis le seul auteur-compositeur, en mettant sur le dernier des chansons enregistrées pour des disques collectifs, des chansons que j’ai écrites et/ou composées et/ou adaptées pour d’autres chanteurs, des enregistrements en concert… On va voir si le projet aboutira. Du moins, je l’espère.

Quelles sont les difficultés (ou les facilités) de traduire Brassens en catalan ?

Il s’agit d’abord de donner l’impression qu’il ne s’agit pas d’une traduction, il faut que ça sonne naturel en Catalan, comme si ça avait était écrit directement dans cette langue. Puis, il faut adapter sans trahir, et respecter la forme : les rimes parfaites, la correspondance des accents toniques et musicaux… Chercher aussi des équivalences pour les expressions populaires ainsi que pour les références culturelles… C’est difficile, bien sûr, mais passionnant. Et c’est d’ailleurs pour ça que j’ai commencé à adapter Brassens il y a pas mal d’années (aussi parce qu’en 1991, après cinq albums avec mes propres chansons, j’avais peur de me répéter, et j’avais donc décidé de me reposer de moi même pendant un temps, en me consacrant à une tâche qui pouvait m’éloigner de mon nombril et qui supposait pour moi un défi). En ce qui concerne les “facilités”, il faut dire que le Catalan (langue gallo-romaine) est beaucoup plus proche du Français que le Castillan (langue ibéro-romaine) à niveau lexique, syntactique, etc, et il y a plus de mots monosyllabes et des mots dont l’accent tonique tombe sur la dernière syllabe, et ça facilite tout de même un petit peu les choses.

pujado 2Les Espagnols chérissent-ils encore Brassens ? Y-a-t-il un équivalent de Georges Brassens en Catalogne, en Espagne aussi ?

Il faut séparer les Pays de langue Catalane de l’Espagne castillane. Nous avons eu toujours un rapport plus étroit avec la culture Française, en passant par l’Occitan, langue cousine du Catalan. N’oublions pas que la Catalogne et l’Occitanie ont été politiquement unies jusqu’à la croisade contre les albigeois et la bataille de Muret -même si Jaume I a continué de régner sur Montpellier-, et que les troubadours occitans survivants au massacre on trouvé refuge dans la cour des rois catalans de la couronne d’Aragon (attention: la Catalogne et l’Aragon étaient fédérés. Comme l’Aragon était un royaume, et la Catalogne, des comtés indépendants, on parle de la couronne d’Aragon, mais les rois étaient Catalans : c’est pour ça que pendant le XIIIe siècle le Catalan s’est imposé, après la conquête, à Majorque et les autres îles, et sur la plupart du Pays Valencien.) Alors, quand la Nova Cançó est commencée (fin des années 50, début des 60), Brassens a été un référent important : il était l’évolution logique des troubadours (la France du Nord dévore l’Occitanie, mais l’assimile aussi, et l’équilibre de la Chanson Française -et de la Catalane- en ce qui concerne le texte et la musique est un héritage des troubadours). En fait, le premier disque du collectif “Els Setze Jutges” (Les Seize Juges) était l’EP “Josep Maria Espinàs canta Brassens”, avec cinq adaptations du sétois. Par la suite, pas mal de chanteurs ont été influencés esthétiquement ou à niveau thématique par Brassens, mais il a été peu adapté (trois ou quatre chansons au plus)… jusqu’à que je m’y mette.

En Espagne, en dehors des territoires linguistiques catalans, Brassens est arrivé par deux voies indirectes (le contact avec la culture française est bien moindre) : à travers l’influence de la chanson catalane à partir des années 60 et 70, et bien sûr grâce aux adaptations de Pierre Pascal pour Paco Ibáñez (n’oublions pas que Paco a habité pendant de longues années à Paris -c’est là que je l’ai rencontré pour la première fois vers 1986- et qui se frottait directement à la chanson française). Des équivalents ? En Castillan (Espagnol, si vous préférez), le chanteur les plus “brassensien” était -il est mort il y a quelques années- Javier Krahe (qui, en plus, a très bien adapté Marinette et L’Orage), mais on peut trouver des traces de Brassens dans l’œuvre de Joaquín Sabina, de l’aragonais Joaquín Carbonell (qui en plus a enregistré deux CD avec des adaptations de Brassens) et d’autres chanteurs. Aux Pays Catalans, on peut trouver des traces de Brassens, assimilées bien sûr en ce qui concerne le style particulier de chaque chanteur, chez des artistes comme Pi de la Serra, Ovidi Montllor Pere Tàpias, etc. La Supplique… par exemple, est à l’origine de la chanson d’Ovidi “Les meves vacances (“Mes vacances”) et de celle de Tàpias Al darrer adéu (“Lors de mon dernier adieu”). Tout de même, la substitution scolaire du Français par l’Anglais et l’ignorance des médias en ce qui concerne presque tout qui ne soit pas anglo-saxon en matière de chanson, a fait que les générations les plus jeunes connaissent très peu Brassens et les autres chanteurs francophones (pour eux, quand ils les entendent, c’est souvent une vrai découverte).

pujado 3Ces dernières années, on a exhumé d’autres titres de Brassens. Des de sa « jeunesse » (par notamment Yves Uzureau ou François Morel), des plus récents aussi mais restés inédits car inachevés ou orphelins de musique. Ça ne vous donne pas envie d’un cinquième album ?

En fait, dans le dernier CD de mon triple album on trouve deux chansons posthumes enregistrées par Bertola (Le Sceptique et Si seulement elle était jolie), ainsi qu’une chanson de jeunesse (Il n’y a d’honnête que le bonheur), ainsi que Le Petit-fils d’Oedipe, adaptation d’une vieille chanson de salle de garde (Brassens avait le projet de consacrer tout un album à ces chansons, remaniées par lui). J’ai connu ces deux dernières chansons par des bandes que m’avait fait écouter Pierre Onténiente “Gibraltar”, quand il habitait Impasse Florimont avec sa femme. Donc, pour moi, le travail sur Brassens reste clos. Surtout aussi parce qu’il y a des chansons que j’aime beaucoup (comme la Supplique…) mais qui sont trop personnelles pour les adapter sans les trahir. Mais on se sait jamais… il y a des textes posthumes que j’aime bien, comme L’Arc-en-ciel d’un quart d’heure. Peut-être qu’un jour l’envie me reprendra.

 

Miquel Pujadó, Humor i anarquia [Miquel Pujadó canta Brassens], Audiovisuals de Sarria 2024. Le site de Miquel Pujadó, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.  Pour se procurer le triple CD (20 €, port compris), les intéressés peuvent écrire à : miquelpujado4@gmail.com et ils le recevront chez eux.

Présentation à Paris le 18 mai à 16 h, à la Librairie Publico (145 rue Amelot, dans le XIe)

 

« El testament » : Image de prévisualisation YouTube

« Els compagnys primer » : Image de prévisualisation YouTube

Une réponse à Miquel Pujadó : Brassens en coffret, en catalan

  1. Pierre Schuller 6 avril 2025 à 21 h 13 min

    Rien à rajouter à cette très complète présentation de Brassens et de son influence sur les ACI des Pays catalans et du reste de l’Espagne par l’excellent connaisseur de la chanson française qu’est l’ami Miquel Pujado !

    Répondre

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