Jack Simard en trio, l’énergie du désespoir

Jack Simard Trio à Venelles Photos ©Catherine Laugier
16 novembre 2024, MJC de Venelles,
Depuis le temps que vous l’attendiez, cet article. Il fallait bien laisser passer le temps avant de repartager l’enthousiasme de Pol de Groeve découvrant avec ravissement Jack Simard dans sa lointaine Belgique. Pas si loin d’ailleurs de la région de Simard qui loge dans les Vosges et pour qui Venelles (Bouches-du Rhône, à 20 km d’Aix-en-Provence) est du plus grand exotisme.
C’est d’ailleurs réciproque, peu de gens ont entendu parler de lui avant ce premier passage ici et plus largement dans le SUD, où il ne se risque qu’avec précaution, comme d’ailleurs dans ce monde Trois minutes trente avant la fin des temps. Avec le compte à rebours de tout ce qui reste à faire, alors qu’en procrastinant, en se divertissant on s’acharne à le tuer, le temps.
Simard est un acteur inné, je dis bien un acteur, pas un comédien, un qui vit ses émotions tant qu’on ne sait si elles viennent des sujets de ses chansons ou s’il les vit lui-même, lui toujours dans l’action, l’expression, le jeu du corps qui se plie, se tord, s’agenouille, se dresse, se roule par terre, se redresse, se replie, s’effondre comme touché par une balle au cœur. L’énergie du désespoir. Metteur en scène de ses chansons, après la dernière seconde avant la fin des temps, après cet aveu « T’es plus belle que toujours et je t’aime à la mort » où le public retient son souffle, avant de timidement commencer à applaudir, sidéré, déjà séduit, lui fait repartir la musique. Celle du batteur à la longue chevelure qui, malgré son calme apparent, nous tachycarde, Vince Cegielski ; celle de Sébastien Valle, assis ou debout, grand maître d’œuvre à ses claviers. Alors Simard signe de son habituel « Je m’appelle Jack Simard et j’écris des chansons », rajoutant de sa voix feutrée et d’un ton patelin « rigolotes ».
Ces chansons là, de pré-apocalypse, il nous les donnera toutes, avec générosité, ponctuant le concert de moments de tendresse (Il me restera toi, qui s’adresse non à une femme, mais à son chien fidèle) ou de révolte : Si tu veux bien prendre ma place... auquel le public répondra à la lettre, avec des des padapapapapa amplifiés par la batterie qui donne le rythme. Et déclenche des Bravo redoublés sur cet oxymore « Pour la joie c’est sûr que c’est raté / Peut mieux faire en humanité, mais pour le (…) reste : Bravo ! », sur une musique grinçante à la Stromae.
Si l’avenir est noir, il garde suffisamment d’humour, d’énergie et de combativité, un Sang neuf pour juste devenir « des humains plus ou moins grands », pour nous donner quand même la niaque : pourfendant le monde superficiel et formaté tel un moderne Cyrano de Bergerac « Non (…) / Au soin, à la forme / Au bon goût, à la norme / Au bon vouloir, au bon sens / Au bon dieu, à la bien-pensance (…) Alors non, merci, vraiment », maniant l’auto-dérision, « à c’rythme là dans quatre chansons y a plus personne dans la salle », le « gosse[s] de quarante ans » – le temps ne semble avoir aucune emprise sur lui – est capable de nous attendrir, et le public a forcément envie de démentir « Nos blagues de vieilles poches / Ne font plus rire personne / On est aigris et moches ». C’est de lui dont il se moque, « Merci d’être resté plus de deux chansons », celui qui se souvient de tout sauf de ses concerts, celui qui fait l’éloge du doute, qui se tait pour ne pas faillir, renonce à choisir « parce que dire c’est choisir / Et choisir c’est trancher / trancher c’est renoncer / Et renoncer c’est mourir ». Et culmine dans l’autodérision avec cet emballant Arrête « ton cinéma, Simard, arrête ton bla bla bla » qu’on attend impatiemment à chaque concert, si l’on en juge par le nombre de vidéos d’amateurs tournées par des publics variés.
Simard, c’est cette rage de ce monde qui lui gonfle le cœur, l’envie de l’affamé « à [s']en bouffer les doigts » qu’il est resté, le doute si émouvant, comme murmuré à notre oreille, de n’avoir pas su s’aimer, d’avoir voulu trop plaire à son public, et si « [s]a pseudo poésie n’était que de l’esbroufe / Qui n’a guère diverti que quelques pignoufs », la conscience de notre fragilité sur terre, « Parce qu’avec ou sans moi, demain, il fera jour », mais l’espoir toujours chevillé au corps d’un sursis dans ce monde en ruine, « elle est revenue ». Qui donc, la liberté, l’espérance, en tout cas, un principe féminin, et qui a.. « le feu au cul ». Il faut bien cela pour combattre tous les empêcheurs d’aimer en rond, et le public ne s’y est pas trompé, qui lui a fait une ovation. Avec ses textes fleuves et son corps habité, tendu comme un arc, il pourrait assurer le spectacle à lui seul. Pour autant, les deux musiciens en font un véritable feu d’artifice, et le « son », mot actuel ô combien galvaudé, n’en finit pas de soutenir la lettre du message. Que demande le peuple ? Qu’on lui présente de véritables artistes tels que ceux là, et qu’il puisse dire : « Si c’était à refaire, je signe ».
Le site de Jack Simard, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit, c’est là. En concert privé à Tinqueux (51) les 20, 21 et 22 mars 2025, le 29 mars à Charmes (88), à Nogent au Festival Bernard Dimey le 10 mai, autres dates sur son site.
« Trente minutes trente avant la fin des temps », L’engrenage production 2023
« Il me restera toi », Live à la Rotonde 2015, (album « Du bruit pour rien », 2015)
« J’ai faim », concert studio 2020 FR3 (album « Sauvage », 2018)
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