iAROSS : au cœur de ce que nous sommes
Sauvé dans Agnès André, L'Équipe, Lancer de disque
Tags: Adil Smaali, Barrut, Carlo de Sacco, Caroline Sentis, Grèn Sémé, Iaross, Nouvelles

iAROSS (photo ©CahuateMilk)
Il y a des albums qui mettent un petit temps à s’apprivoiser : il faut les réécouter, il faut une patience pour se mettre à les goûter. Le dernier album de iAROSS n’est pas de cette espèce : on y entre comme en mer chaude. D’emblée : bien, portés.
Portés par la pulsation batterie (Julien Grégoire) ; la ponctuation électrique de Colin Vincent aux guitares (ancien guitariste du groupe, auteur-compositeur-interprète du duo Muet). Portés aussi par ce « nous » qui nous accueille : Nous sommes. Pas si fréquent que ça, le nous en chanson. Mais pronom iarossien s’il en est, et qui ponctue leurs albums depuis Renverser (2013) jusqu’à ce quatrième opus studio : « C’est toujours avec une distanciation poétique, une pudeur vraie que iAROSS vit le sort de ses frères humains […] » écrivait ainsi Catherine Laugier sur le titre Tangue, qui suit ici Nous sommes et Libre, comme une petite poésie de titres : Nous sommes/Libre[s]/Tangue…
Car iAROSS c’est l’art du mot leitmotiv et des arrêts sur images : le sens qui glisse par le son (on pense à Dimoné) et la prosodie – des mots lancés ou retenus – créant une poésie toute particulière. Une écriture aussi par échos qui pourra peut-être rebuter au premier abord (l’impression de ne plus distinguer une chanson d’une autre) mais qui réécoutés produisent l’effet inverse : ces mots qui reviennent, au sein d’une chanson, d’un morceau à l’autre (d’un album à l’autre) ont quelque chose de rassérénant. Dans les jeux de répétition et de variation, le sens s’ouvre sur d’autres images… Une façon de faire écriture fort proche de celle d’une auteure bien connue de NosEnchanteurs, avec qui Nicolas Iarossi dit d’ailleurs posséder quelques affinités (et on veut bien le croire) : « Je crois que je pourrais écrire une chanson complètement différente avec exactement les mêmes mots, disait ainsi Louise O’sman en entretien (Hexagone no 33), […] l’agencement des mots fait intensément partie du jeu poétique ».
Il y a aussi peut-être un peu de malice et de mordant dans ce jeu : « J’ai posé mon cœur contre ton corps » entend-on dans Mon amour, ce titre tendre au cœur de l’album – une pause. Pour dans Cœur mécanique, la suivante, réentrer dans un étourdissant capharnaüm de « cœur[s] numérique[s] » au son des cuivres obsédants de leur nouvel et virtuose acolyte, le trompettiste Guillaume Gardey de Soos.
Ce double battement, un regard à la fois d’espoir et de résignation « dans [leur] mission de dépeindre ce monde qui va à vau-l’eau », affleure en effet constamment à la surface des morceaux. Si Nicolas Iarossi envoie un peu moins « tout paître » que par le passé (Le cri des fourmis, 2017), l’on saisit bien la critique derrière la grenade [qui] explose (Orange bleue), le silence de l’écran télé (Là où tout brûle) ou les glaciers qui fondent (Le vent souffle). Tangue, moins direct sous le reflux berçant des mots, évoque la traversée méditerranéenne des migrants, évocation renforcée par la présence en arabe d’Adil Smaali, musicien d’origine marocaine qui a vécu une dizaine d’années sans papiers à Montpellier.
« Dans cet album il y a un vrai travail sur les langues ; [et une volonté de] faire le pont entre les racines », précise Nicolas Iarossi. Ainsi après Tangue : Là où tout brûle, où s’invite le créole réunionnais de Carlo de Sacco du groupe Grèn Sémé (grand succès à Fédéchanson en novembre), avec qui iAROSS entretient une brasillante histoire d’amitié musicale – leur batteur est d’ailleurs l’ancien batteur du trio rock. Orange Bleue, plus loin, invite les chœurs de Barrut en occitan, « cette langue qu’on ne connait pas et qui pourtant fait partie de nos racines », lance le Montpelliérain.
Faire des ponts : spécialité de iAROSS. Jusqu’entre les titres qui parfois sans prévenir glissent de l’un à l’autre : c’est par la voix de la chanteuse jazz Caroline Sentis que nous sommes imperceptiblement guidés du « peuple qui danse » de Libre à l’eau qui Tangue… Sans oublier bien sûr leur marque de fabrique, ces longs ponts musicaux qui nous embarquent – atmosphères dévorantes – laissant flotter et fondre les mots, pour les retrouver plus tard neufs sous la voix teboulienne du chanteur. En quelque sorte, une euphorie renouvelée.. – euphorie, étymologiquement : « la force de porter » !
iAROSS, Ce que nous sommes, Le Cri du charbon/Attaraya/Inouïe distribution, 2025. Le site de iAROSS, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’eux, c’est là. En concert le 13 mars 2025 à Montpellier, le 14 à Mignennes (89), le 15 au Zèbre de Belleville à Paris, et le 16 au Pax à Saint-Etienne.
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