CMS

Nicolas Jules, créateur d’émeutes

Nicolas Jules trio au Petit Duc à Aix, photo ©Anne Lefebvre

Nicolas Jules trio au Petit Duc à Aix, photo ©Anne Lefebvre

À deux reprises, nos chroniqueuses ont rencontré Nicolas Jules et ses acolytes, une fois à Veynes en janvier, dans l’intimité d’un café associatif – épicerie – recyclerie, en formation réduite contrainte, puis en février à Aix-en-Provence en Trio, dans le chaleureux Théâtre le Petit Duc spécialiste du jazz et de la chanson française. Lieux de prédilection pour Nicolas Jules dans les deux cas. Alors que son dernier album, La reine du secourisme, est paru en 2024, il nous en annonce un nouveau dont il nous donne les titres au fur et à mesure, le onzième étant… L’enfer.
Le titre de cet article vient de la chanson Ta colère, de l’album Le Yéti de 2021.

 

Nicolas Jules [Duo] : deux doux égar(n)ements

Par Agnès André,

Buffet de la gare, Veynes, 16 janvier 2025

Nicolas Jules en duo à Veynes Photo © Agnès André

Nicolas Jules en duo à Veynes Photos © Agnès André

L’horloge est arrêtée sur 11 h 46, le chandelier chavire et « ce ne sont pas des anges qui passent mais des trains ». Dans ce bancroche décor de stable déséquilibre, qui d’autre que Nicolas Jules ? C’est drôle on dirait que même la saison l’a fait exprès : Nicolas Jules Trio arrive…en DUO ! (Le batteur, le bordelais à l’ogresque beat Roland Bourbon qui dans ses rêves parfois croise « Jean Coq-tôt » est cloué sous le marteau d’une grippe hivernale : ben zut.)

Ben beau. Ben dingue. Ben doux. Bain doux diantre ! Oui, « c’était doux », dit l’un-spectateur. Doux ! Des anges ! Et puis quoi encore ? (Le diable et sa queue rousse n’étaient pas là.) Le diable non ; Frédéric Jouhannet oui.

Les deux font la paire. On pense aux duos comiques. Le mime Jouhannet « riant silencieux » n’ouvre la bouche que pour égrainer des sourires d’un « grand poète de la Drôme » (Attila Jószef, hongro-drômois aux mots rock), mais point n’est besoin de plus : ce Léo Haag du violon tapote-tape-décoiffe-et-recoiffe-frotte-crisse-oint son instrument : c’est le langage.

D’une corde pincée, d’un beat nonchalant en boucle, on se met en route. On déboule sur des bouches rouges, on passe des portes en pizzicati, on pèse des silences, on pousse des pensées et on voit le soleil-pas-Timide « mordre l’horizon ». Images. Désert western et rapaces (Mort aux photocopieuses). Crispation de machine (Lavomatic). Dévalade d’escalier (Ta colère). Biches des bois et gibbons (Faon et Bengale bien sûr).

La route est loin d’être droite (ah la-palissade !). On ne sait jamais — suspendus à un intermède plus ou moins méandreux, à sa légendaire prosodie à suspense, à un break musical sans cymbales… où tout cela va bien nous mener… Aucun problème, on marche bancal par connivence : cet art de l’égarement se teinte d’une (déconcertante peut-être pour le spectateur nouveau) familiarité ! Plus on est proche d’ailleurs, plus on en prend pour son grade ; et entre attesté et taquinerie, des personnages s’ajoutent en route : le technicien son (Éric Labrousse) qui le croisa sur son chemin ; Philippe Séranne qui l’invita ici-même en 2015 ; et Anny-Claude, la groupie du guitariste et interprète ce soir du refrain de Faon.

Nicolas JULES duo ©aandré_5809-350x525De tout cela découle oui de la dérision, mais aussi du doux. Alors qu’à l’Hôtel de Valence l’on observe trente-trois oiseaux tomber dans la baignoire, c’est comme si l’archet langoureux épongeait un peu du silence qui coule sur le lino. Dans Jardin secret, les derniers mots semblent parler de l’ici et du maintenant, d’eux deux (et de nous peut-être ? On se prend à rêver !) : « nous formons une belle équipe ».

Certains mots restent un peu plus longtemps là : « Je ne peux pas garder la lumière dans ma main mais je la tiens dans ma mémoire » (Six heures et demi), même dans l’oubli de Sans toi : « … ou bien le temps nous effacera sans rien réparer des dégâts ». Dame ! Pas moyen de se prélasser dans la langueur, le powète nous r’donne une tape de son pince-sans-rire légendaire, le genou nonchalant assorti à la pupille pétillante de son compère : gauche droite gauche droite, on oscille comme cordiste un poil distrait, empêchés de tourner en rond, empêchés de prendre le sentier battu. Sortis du concert, nous vient ainsi la furieuse envie de passer par un autre chemin, de se dégotter une nouvelle habitude, bref de réarpenter ce réel un peu usé par les tictacs du temps !

La dernière fois qu’on avait vu Nicolas Jules, c’était presque ici. Il y a dix ans, en 2015. Nicolas Jules n’était alors pas du tout, mais pas du tout connu (Anny-Claude n’était pas là). Philippe Séranne, inventeur du feu-Festifaï et dont le flair-du-cœur dépasse les frontières (francobelges) l’avait invité à ce drôle de festival où d’autres gens de chanson se sont coudoyés, des gens comme Lacouture et Coutant, Gensse et Gely. Voici ce qu’on y disait dès lors :

« Le cheveu insomniaque, le soulier corbeau et l’air ailleurs plus que railleur, […] Nicolas Jules touche ses spectateurs au propre comme au figuré avec une de ces ondulations acrobatiques – soubresauts du genou et tressautements d’épaule comme des spasmes électriques – à vous ravir la prunelle. Par décharges affectives, il nous « chante que des chansons d’amour » (et de mort sur un reggae) de sa corrosive et douce dérision – « tu ressemblais à un quinté dans l’ordre » susurre-t-il… ».

Nicolas Jules va avoir cinquante-deux balais, oscille du genou avec un peu plus d’allant (en chœur avec Frédéric Jouhannet, du burlesque à ne surtout pas manquer), mais la poésie n’a pas d’âge et – comme la poussière – se redépose à chaque concert : ça dé-ménage nos intérieurs.

 - Agnès ANDRÉ

 

Nicolas Jules trio, tricéphale ébouriffant

6 février 2025, Le Petit-Duc à Aix-en-Provence

Par Catherine Laugier, suivi sur la chaîne web

Nicolas Jules trio au Petit-Duc, chaîne web capture Catherine Laugier

Nicolas Jules trio au Petit-Duc, chaîne web captures Catherine Laugier

Cette fois-ci ils sont au complet, en trio, Roland Bourbon, qui vient de Bordeaux, avec quelques traces de sa grippe qui lui casse la voix mais ne l’empêche pas d’arborer sa non tenue habituelle, à gauche, avec une jolie poupée ancienne, genre porcelaine et dentelles, cadeau d’un fan, sitôt offerte sitôt adoptée, bien posée à ses pieds devant la batterie (en fait il collectionne surtout les poupées clowns, surtout si elles ont un instrument de musique). Au milieu Nicolas Jules, domicilié en Belgique de temps en temps entre les étapes de ses tournées, et son improbable chemise à petits motifs sertis de carreaux, pantalon à plis, faisant mine d’être ailleurs, enfin Frédéric Jouhannet le violoniste, de Rouen, en costume discret, le troisième homme depuis 2021 après Clément Petit au violoncelle ou Brice Perda au tuba. Ne pensez-pas que ça fasse moins de bruit. Ne croyez-pas non plus qu’il s’agit de simples musiciens.

Dans ce trio bien rodé, chacun joue son rôle de pince-sans-rire à sa manière : Roland imperturbable, le regard sévère, presque étonné, durant tout le spectacle (on verra lors de l’entretien ultérieur qu’il est tout à fait capable d’exprimer des émotions dans la vie courante, et même de sourire). Nicolas reste impassible, le regard à peine moqueur, dominant la situation. Quant à Frédéric, il présente un petit sourire en coin assez terrifiant, à la Fred Parker, le pianiste du Cirque des Mirages. D’ailleurs Nicolas nous le présente en parlant d’une « présence presque dérangeante » et d’un « comportement social inhabituel ». C’est vous dire l’impact de ce Monsieur…

2025-02-06 Nicolas Jules trio 350 490x368L’accord des trois frôle la perfection, tant qu’on ne sait jamais s’il s’agit d’improvisations (ils sont tous grands amateurs de jazz) ou d’une connaissance naturelle de l’autre, des autres, par une connivence d’âme et de ressenti.
Le « beau mammifère s’il en fut » Roland Bourbon met dans son jeu de batterie une subtilité d’autant plus remarquable qu’elle paraît en contraste avec un physique de catcheur, effleurant ses cymbales et tambourin de ses balais, tirant des notes magiques de ses maillets délicatement posés sur les lames de bois de son xylophone, agitant ses grelots, marquant le tempo de ses baguettes avec une justesse qui amplifie d’une façon subliminale le message des chansons.
Tandis que Frédéric joue de son violon (de ses deux violons) en virtuose, en tirant des solos rock comme pourrait le faire un guitariste, des emballements tziganes (avec cris à l’appui), le pinçant, le frottant, le frappant pour des effets inédits. Le violon semble un animal doué de vie propre… Le clou de sa prestation est son numéro de dépeçage de l’archet, mû en fuseau, en gerbe de crins du plus bel effet… et qui dans cet état chevelu arrive encore à caresser les cordes.
Il ne faut pas oublier le jeu de la belle Gibson vintage à ouïes de Nicolas, qui se suffit à elle seule en solo. Pour taquiner ses collègues, Nicolas dit qu’il préfère jouer seul… Même si à leur instante demande il leur prête son
Crayon (dans ton chignon), dans une oxymore musicale : « Je suis un groupe de rock / Tout seul dans ma chambre d’hôtel / Mais je ne casse rien / Rien d’autre que l’espoir de te retrouver ».

2025-02-06 Nicolas Jules  trio 506 850x485Mais les chansons, me direz-vous, les chansons ? D’année en année Nicolas s’est constitué un répertoire toujours plus cohérent bien qu’en constante évolution – il préfère toujours son dernier album, voire le prochain – dans un univers bien à lui, comme disent les prêts-à-insérer.
On le suivra au long d’une quinzaine de chansons, prédilection ce soir pour les chutes des
Falaises et la tendre sauvagerie du Carnaval, le dernier album ne s’illustrant que par la chanson-titre.
Que des chansons d’amour, ou plutôt des chansons SUR l’amour, lumière et ombre, début et fin, incompréhension et pourtant toujours fascination pour l’inaccessible étoile, bouche rouge et yeux hameçons. Peu d’avis sur la personnalité de ces dames plus ou moins distantes, plus ou moins décevantes. Partagerait-il la sentence de Brassens, qu’on lui a maintes fois reproché,
« Mais pour l’amour on ne demande pas / Aux filles d’avoir inventé la poudre » ? Peut-être pas, puisque apparaît le reproche « Tes mèches sont plus folles / plus rebelles que tes pensées ». N’empêche qu’elle lui fait voir les falaises, ce qui est mieux, convenons-en, que grimper au plafond, mais c’est plus par sa bouche que par ses mots : « tu parles comme un livre / que tout le monde aurait lu ». Ou encore « ta beauté m’éblouissait et tu me parlais en vain » de cet Hôtel de Valence.
Heureusement nous sommes charmés au sens magique du terme, par cette mélancolique chanson sur la solitude à deux, jouée à la perfection, balancée, émouvante, douce, tandis que les « trente-trois oiseaux muets, les oiseaux bleus de ta robe » s’impriment dans nos yeux tout autant éblouis. Transportés par l’ambiance africaine de Mon fleuve, ma jungle, mon Bengale. Bercés par la plus ancienne de la soirée, l’incontournable Bétonneuse, où les instruments nous caressent en sourdine jusqu’à la montée du violon sur le grand ravalement des nébuleuses.

En bon admirateur des songwriters anglo-saxons ou des chansonniers québécois, Nicolas Jules est maître des mots comme des sons, laissant le sens rebondir au fur et à mesure du déroulé de la chanson comme des écoutes successives. Roi des aphorismes, des effets inattendus, il nous décoche ses fulgurances « 
Pour voir comme elle est belle, il lui faudrait mes yeux ». Dans son jardin il a le rêve assez fleuri et ses armes tiennent dans sa plume et dans le boucan de ses pensées, qu’il a parfois besoin de cacher dans la lumière et le bruit. Entre nous, une de ses chansons les plus émouvantes sur la solitude, et son havre, le bistrot.

Et puis il y a ces intermèdes qui tiennent du standup contant les anecdotes en tournée, les hasards des rencontres… avec un humour vache qui n’épargne pas même sa mère – autrice d’une pochette d’art naïf où elle a bien saisi l’expression de son fils, sur fond blasonné de têtes de félins semblant des masques africains, dans la lignée parfaite de ce Carnaval Sauvage. Nicolas Jules envoie toujours des clins d’œil à son public, reconnaissant les uns, remerciant les autres… Il salue de sa petite génuflexion de pensionnaire du Couvent des oiseaux, tandis que Roland lève la jambe dans une danse sauvage et que Frédéric se fait un masque de son violon, avant l’ultime rappel.

- Catherine LAUGIER

 

 Le site de Nicolas Jules, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Nicolas Jules est en tournée de concerts, avec également un nouveau spectacle, September Cohen avec Eric Lareine et Pascal Maupeu.

« Timide », clip 2023 Image de prévisualisation YouTube
« Ta colère », Théâtre Thénardier 2022 Image de prévisualisation YouTube
« Hôtel de Valence », clip session 2023 Image de prévisualisation YouTube
« Jardin secret Jardin Public » clip 2023 Image de prévisualisation YouTube
« Le crayon », en quatuor en chambre 2023 Image de prévisualisation YouTube

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

code

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

Archives