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L’Hallelujah instrumentalisé de Notre-Dame

Vianney à Notre-Dame de Paris (capture d'écran)

Vianney à Notre-Dame de Paris (capture d’écran)

Jour de gloire dans Notre-Dame réparée, pour l’heure annexe tant de l’Élysée que du Quai d’Orsay. Jadis Hollande avait rassemblé chefs d’État et de gouvernements pour « communier » suite au massacre de Charlie-Hebdo. Près de dix ans plus tard, Macron en réunit autant pour communier à la maison-mère. Face au président triomphant, saint-sauveur de la cathédrale meurtrie, le pape aurait fait triste figure : il s’est fait porter pâle. Comme l’été dernier aux J.O., la France fait mondiovision, rien n’est trop beau. La facture, si tant est qu’elle soit un jour dévoilée, sera encore une fois fameuse : toujours le « quoiqu’il en coûte » qui fâcheusement coïncide avec le renvoi du gouvernement et de son budget.

Scandale : au prétexte qu’il vente, qu’il risque de pleuvoir, le roi-président discourt dans la cathédrale, rompant ainsi la tradition républicaine, la sacro-sainte séparation de l’Église et de l’État. Aucun autre président n’avait osé, lui se permet tout… Que je sache, Hollande discourait ruisselant, tant que les orages se gonflaient exprès pour toujours donner rendez-vous à cet imperturbable président. Que, par Mickey 3D, la chanson a ainsi immortalisé : « Là je te revois / François sous la pluie / Sous le ciel gris de Paris / Là tu restais là / Tu disais merci ».

Des chansons à Notre-Dame, il y en eut. Le choix est plus délicat, il faut qu’elles soient compatibles avec le caractère sacré du lieu, le dogme et les susceptibilités sacerdotales. Pas de folies non plus ici, nous n’ouvrons ni ne fermons les olympiades : Philippe Katerine peut toujours aller se rhabiller. Audimat oblige, les artistes impérativement se doivent d’être stars. D’humbles stars, propres à satisfaire la populace devant son écran sans nuire à l’aura des puissants de ce monde, présents l’instant d’avant : l’hôte Emmanuel Macron, et Donald Trump, Elon Musk, Volodymyr Zelensky, prince William, Bernard Arnault et consorts. Car il n’y a que du beau linge, pas de menu fretin. Les misérables n’ont pas été conviés à l’inauguration de Notre-Dame.

Parmi ces vedettes, Vianney. Une star nous dit-on, je ne comprendrai jamais en quoi. Passons. Qui, en ce lieu empreint de ferveur, n’a pas trouvé mieux que de nous chanter du Leonard Cohen.

En interprétant Hallelujah en un tel lieu, une telle cérémonie forcément d’exception, Vianney sacralise une chanson certes ambiguë mais non religieuse. Il l’instrumentalise. D’une chanson complexe, il en fait un hymne au service de la cause, dans une « version inédite de Leonard Cohen dont Vianney a écrit les paroles en français » (sic) très éloignée du texte d’origine, de l’esprit surtout, fardant une chanson pas plus religieuse que ça, malgré son titre, en un hymne à la Dame dédiée (notre Dame, pardi !). C’est joli, ça ne mange pas de pain et fait son effet mais c’est, sinon un blasphème à l’adresse de Cohen, au moins une trahison.

Si on en croit la notule de France-Inter en date du 2 novembre 2023 présentant une émission consacrée à cette chanson : « À qui Leonard Cohen s’adresse-t-il quand il évoque cet épisode tiré de la Bible ? La première strophe d’Hallelujah fait référence à David, le roi musicien, mais le reste de la chanson s’éloigne de la religion. Au fur et à mesure, on comprend que Leonard Cohen évoque une femme qu’il a connue, qu’il a aimée et qu’il ne voit plus. C’est certainement à elle qu’il s’adresse depuis le début de la chanson. Dans certaines versions « live » de ce titre, il lui rappelle quelques moments intimes où ensemble ils profanaient le verbe sacré dans la joie. Sur une mélodie ascendante évoquant tout à la fois un regard porté avec espoir vers le ciel mais aussi la jouissance, il déclame « Je me souviens, lorsque j’entrais en toi, de même la colombe sacrée, chacun de nos râles chantaient Alléluia. » Convenons qu’en un tel lieu, de tels propos incongrus auraient fait singulière dissonance.

Si, sur la mélodie de cette chanson, on avait fait une goguette, reconnue comme telle, avec un nouveau texte adapté à la circonstance, c’eût été acceptable. Et c’est le cas. Mais on fait passer cette interprétation pour une traduction de l’original, transformant sans l’avouer et le propos et l’esprit du créateur qu’est Leonard Cohen. Ce n’est certes pas la première fois que cette chanson est dévoyée, qu’on substitue aux propos de Cohen un discours résolument religieux, avec parfois des paroles d’une consternante dévotion. Ainsi par Les Prêtres, dans les années 2010, groupe créé à l’initiative du médiatique et sulfureux père Di Falco… Reste que c’est petit, c’est coupable. La nouvelle existence de Notre-Dame commence par un péché, je n’ose dire un pieux mensonge.

 

« Hallelujah » par Vianney : Image de prévisualisation YouTube

« Hallelujah » par Leonard Cohen : Image de prévisualisation YouTube

7 Réponses à L’Hallelujah instrumentalisé de Notre-Dame

  1. Michel DAUZAT 9 décembre 2024 à 15 h 25 min

    Bien vu, Michel ! Bravo ! C’est en effet étonnant de voir comment certains pillent cette chanson extraordinaire sans jamais se pencher sur la version originale et son contenu. Un véritable détournement.
    J’en offre une traduction française aussi fidèle que possible ici :
    http://www.polyphrene.fr/2010/02/hallelujah.html
    Bien amicalement
    Polyphrène

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  2. Philippe Giroux 10 décembre 2024 à 13 h 12 min

    J’avoue que je n’ai pas entendu la version de Vianney ; celle des Prêtres, écrite carrément par Mgr Di Falco, m’avait déçu. Gaëtan de Courrèges a enregistré une version hybride, en modifiant le texte mais également la musique des couplets, qui est très intéressante. En effet, il y a du sacré dans l’Hallelujah de Leonard Cohen. Du sacré profane, du sacré humain, propre à toucher tout un chacun, même les chrétiens, même en pleine conscience des paroles explicites, enfin, plutôt implicites… La tentation est tellement grande de tenter de s’approprier ce monument au nom d’un dieu qui s’incarne ! Veuillez pardonner les chrétiens de dérober l’œuvre d’un juif bouddhiste par amour du beau. Faut-il y voir systématiquement du politique ? Je ne sais pas vraiment, j’ai boudé la retransmission. J’ai fait mon petit François. Je suis un pauvre pécheur.

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  3. Bruno Soldera 10 décembre 2024 à 13 h 14 min

    Ça mon petit Michel, c’est de l’article… (comme d’hab)
    J’ai toujours adoré cette chanson, depuis que je grattouille (y a 50 ans)
    J’ai détesté et sa « traduction » et son « interprétation »…

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  4. Guillaume Ledent 10 décembre 2024 à 13 h 16 min

    Bravo, belle analyse.

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  5. Agnes Petit 10 décembre 2024 à 13 h 19 min

    Merci pour votre parole sur Vianney. J’ai beaucoup étudié les chansons de Leonard Cohen. Cette utilisation de la chanson m’est insupportable. Là où il est question notamment d’adultère, de violence, de foi en la vie. Vianney commet un outrage

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  6. Bruno Ruiz 11 décembre 2024 à 9 h 49 min

    Lu sur la page facebook de Bruno Ruiz :

    QUELQUES MOTS À PROPOS DE L’ADAPTATION DE LA CHANSON DE COHEN PAR VIANNEY À NOTRE-DAME

    Il existe plusieurs versions de la chanson Hallelujah de Léonard Cohen, la plus célèbre étant évidemment celle de Jeff Buckley. Mais à chaque fois, le texte raconte la même histoire. Une histoire d’amour entre le narrateur et une femme. Et à chaque fois, le mot Hallelujah est pris dans le sens métaphorique du cri émis par la femme pendant l’orgasme. Il y a donc dans la version originale de Cohen un désir un peu transgressif de flirter religieusement avec le péché de chair. Or dans toutes les versions françaises que l’on trouve (il n’y a pas que la version de Vianney) cet aspect, qui me paraît fondamental, disparaît à chaque fois, laissant place à des sortes de prières dans certain cas, et dans la version de Vianney une sorte d’hymne à la paix qui n’a rien à voir avec l’original. Comme si les adaptateurs ne tenaient compte que du titre de la chanson. Il ne s’agit donc pas d’une traduction, mais d’une adaptation française, pratique très courante dans les années soixante où les paroliers s’en donnaient à cœur joie pour édulcorer souvent les paroles originales, leur faisant dire à peu près n’importe quoi comme ce fut le cas en particulier pour Bob Dylan adapté par Pierre Denanoë pour Hugues Aufray. Reconnaissons-lui cependant quelques réussites. Au passage, je recommande d’écouter les excellentes adaptations de Sarclo pour se rendre compte souvent de l’écart. Et que dire de la chanson « Comme d’habitude » de Claude François, qui traite de l’ennui de la vie en couple et devient en anglais « My way » bilan testamentaire d’une vie ? Imaginez ce qui se passerait si on prenait une telle liberté en traduisant les poètes étrangers !

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  7. Le chameau 11 décembre 2024 à 19 h 35 min

    Je n’ai rien contre Vianney mais le fait de mettre sa version en parallèle avec celle de L. Cohen, ça fait plutôt mal à notre gentil chanteur car comme m’on dit: entre les 2 il n’y a pas photo et je dis cela sans connaître le texte original

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