Charles Dumont, 1929-2024
A l’heure du grand départ, on se posera souvent la question de ce que la mémoire de la chanson retiendra, au bout du compte, du disparu. Que retiendra-t-elle de Charles Dumont, décédé à l’âge de 95 ans, après toute une vie consacrée à cet art ? Son ultime album, L’âme sœur, est sorti il y a cinq ans.
Si le trompettiste qu’il fut s’est d’abord essayé à la chanson sur des poèmes de Francis Carco qui furent repris par Cora Vaucaire, s’il fut chanté aussi par Line Margy, c’est indubitablement le nom d’Édith Piaf qui restera collé au personnage, dont il fut le compositeur favori dès 1960. « Tu n’étais qu’un faiseur de chansons. Il fallait que tu deviennes un vrai compositeur » lui lance-t-elle. De leur collaboration naîtront une quarantaine de titres signés, pour les paroles, par Michel Vaucaire, Michel Rivgauche et Piaf elle-même (qui d’ailleurs incite Dumont à devenir interprète). Parmi ces titres, Non je ne regrette rien, Les Flonflons du bal, Mon Dieu, Les Amants…
Mais être compositeur de Piaf a pour condition d’en être l’exclusif compositeur, sans partage possible. Dumont le paiera à la mort de la vedette, ce monstre de scène, cette mangeuse d’hommes. La disparition de Piaf mesure le vide autour de lui, à plus forte raison dans une période de grande mutation : yéyé et rock ont grandement supplanté la chanson. On le dissuade de poursuivre dans cette voie ; il compose dans un premier temps pour la télévision et le cinéma avant de revenir à ses premières amours, devenant un fort habile artisan d’une chanson exclusivement ou presque dédiée aux sentiments.
« Charles Dumont promène au monde de la chanson son art de vivre et d’aimer, avec l’innocence un peu perverse des rêveurs. Il habille la femme avec des mélodies, la déshabille avec des mots. Il n’en finira jamais de s’émerveiller, d’être amoureux, d’être heureux et malheureux, de tendre les bras vers vers cet autre que chacun de nous cherche avec plus ou moins de bonheur (…) Charles Dumont apporte, dans l’air du temps, de la passion et le goût nostalgique des amours qui ont l’impudence de vouloir encore s’appeler par leur nom » écrivait, en page quatre de couv, Sophie Makhno (ancienne secrétaire de la chanteuse Barbara et directrice artistique d’une maison de disques, qui remit en selle Dumont dans le milieu de la chanson) pour sa monographie publiée en 1985 dans la collection Poésie & Chansons chez Seghers.
De la disparition de Piaf à il y a peu, ce sont vingt-deux albums qui vont paver le chemin chansonnier de Charles Dumont, devenu crooner, dont certains plus que d’autres entretiennent l’ardent souvenir de la chanteuse. Avec des réussites notables, sanctionnées par deux disques d’or : Une chanson en 1976 et Les Amours impossibles en 1978, ainsi que le Prix de l’Académie du disque Charles-Cros en 1973 pour Une femme. Et des titres qui, un temps, seront de beaux succès à défaut de faire un tabac, tels que Ta Cigarette après l’amour ou Toi la femme mariée. Dumont collaborera aussi avec Dalida ou Tino Rossi. Sa chanson Le Mur fut reprise par Barbra Streisand qui en fit un grand succès sous le titre I’ve Been Here.
En 2012 chez Calman-Lévy, Charles Dumont a réuni ses souvenirs de carrière dans le livre Non, je ne regrette toujours rien. Avec lui disparaît une certaine esthétique de la chanson, que d’aucuns trouveront poussiéreuse, réactionnaire même. Seule l’idée de chansons d’amour, par essence inépuisable, restera, en d’autres mots, d’autres portées.
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