Bernard Joyet, le chanteur émérite qui mérite plus encore
Notoire épicurien du verbe et de la chanson, Bernard Joyet est un insatiable de l’objet discographique. Quand les CD se font de plus en plus plats (souvent à tous les sens du terme), lui fait dans l’épais, le cossu, presque l’édition spéciale dont il mesure l’importance en prenant son pied (à coulisses, ce qui est bien le moins pour un musicien). Depuis longtemps il ne fait plus un disque : il en fait deux pour le prix d’un : une livraison de nouvelles chansons ET la reprise d’anciennes par son gang de potes (qui ressemble à s’y méprendre au générique de NosEnchanteurs) chaque fois renouvelé.
Car si, dès son éclosion, l’œuvre de Joyet se bonifie quasi dans l’instant, la reprendre lui confère derechef un soupçon d’éternité. Sans compter que c’est gratifiant pour le repreneur d’inscrire un tel monstre à son répertoire. Michèle Bernard, Jérémie Bossone, A Thou Cœur, Anne Baquet, Rémo Gary, Mélanie Dahan, Romain Didier, JeHan, Samuel Leroy et Valérie Mischler, Pascal Mathieu, Laurent Malot, Hélène Maurice, Sarclo, Hervé Menuet, la Cie Les Oiseaux de passage, Véronique Pestel, Thomas Pitiot et le producteur (et par ailleurs notre confrère) Franck Halimi s’y pressent tant qu’ils en sont désormais pressés. Bien fait pour eux.
Liz Van Deuq, Les Joyeux Urbains et Chloé Lacan, eux, ont trouvé refuge sur l’autre disque, en d’inspirés duos avec l’artiste en chef, celui dont le portrait aux cheveux blancs et bouclés orne la pochette.
On ne se refait pas et ce Joyet là est à nouveau un grand cru, un festival à lui seul. Pour autant, c’est un genre de chanson orpheline, à savoir que personne n’a jamais vraiment fait ça et que personne sans doute ne le fera plus. Ce n’est pourtant qu’une description, scrupuleuse, acérée, du monde dans lequel nous pataugeons, nous grenouillons. Mais c’est l’écriture qui change tout : de l’ouvrage très ouvragé, subtilité des mots, et le déroulé des démonstrations, parfois tirées de lointains passés. Chaque titre est comme exposé, j’ose même le terme de conférence bousculée, où chaque mot gesticule, où l’auteur argumente, démontre et conclut. Avec brio.
La voix trahit certes l’âge du bonhomme mais lui confère plus encore de sagesse, comme le chanteur émérite qu’il est.
Contrairement à nos habitudes, nous n’en tirerons pas d’extraits, de bribes de chansons, passages plus mémorables ou plus poétiques que d’autres, afin d’illustrer notre propos. Car les textes de Joyet ne se sectionnent pas, ne s’offrent pas à la découpe facilement. Ils se consomment toute affaire cessante, en leur entièreté, en leur fulgurance et leur malice, leur subtilité.
Pas suffisant, m’objecterez vous. Car de quoi cause-t-il au fait, le Bernard ? Par ses propos tortueux qui témoignent de sa droiture d’esprit, le bougre nous parle d’orpaillage, de postérité, du béotien qu’il dit être et des sachants, de rupture, reconditionne son Securitas rien que pour le chanter avec son fiston. Il fait Le Bouilleur de grue pour potage incongru, évoque un élu qui se croit Cyrano et n’est que Pinocchio, ruine une vocation de musique classique et scrute l’horizon. Ça ne vous évoque certes rien mais faites confiance à Joyet : il n’a jamais fait que des satisfaits. Entre nous, à écouter ce nouvel album, y a de quoi l’être : c’est encore du très bon, à déguster sans nullement se priver. L’émérite nous mérite, nous le méritons tout autant.
Bernard Joyet & franginades 2, Label épique/EPM 2024. Le site de Bernard Joyet, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Ton commentaire brillantissime m’donne à penser que t’as déjà goûté au nouveau beaujolais !!
Mouai, j’te dis à l’an prochain à Mouhet ! J’y s’rai comme touai !