Mathilde, cinquante nuances de femme
Parents artistes plasticiens dans la région d’Argenton-sur-Creuse, Mathilde étudie la musique classique et le chant au Conservatoire, puis le gospel à Londres et débute vers 2008 en formation jazz dans de petites scènes parisiennes. En 2015 elle est auditionnée à The Voice avec une reprise de Barbara et va jusqu’en 8eme de finale avec une reprise de Rihanna. Ce qui définit tout à fait l’étendue de son répertoire, de la chanson française au jazz et à la pop, sans les divisions que l’on pose arbitrairement sur la chanson.
Un premier album sort très vite en avril 2016 chez Naïve, Je les aime tous, avec Jacky Terrasson à la réalisation sonore. Treize titres mêlant les plus grands standards de la chansons française (L’hymne à l’amour de Piaf /Monnot, ainsi que Sous le ciel de Paris de Dréjac/Giraud d’abord interprétée par Gréco ; Trenet avec Que reste-t-il de nos amours ; Dis, quand reviendras-tu de Barbara, par laquelle NosEnchanteurs découvrait Mathilde ; La javanaise de Gainsbourg, la Chanson douce de Salvador, ou la sulfureuse Les nuits d’une demoiselle, de Guy Breton/ Raymond Legrand chantée par Colette Renard ; et en bonus le Quartier latin de Ferré) et déjà cinq de ses propres textes, et compositions co-écrites avec le pianiste et compositeur Alexis Pivot.
La chanson titre est une déclaration d’amour à tous les hommes, déclaration de liberté mais aussi de faiblesse. Les volcans endormis « À la mémoire de Benjamin » est d’une émotion poétique délicatement suggérée, et a fait l’objet d’un court métrage onirique de José Manuel Xavier, Les amoureux du Père Lachaise est une chanson cinématographique entièrement de sa plume revisitant le thème éternel des amours impossibles « comme une poésie d’Aragon ». En sus de la voix de velours, son expressivité fait de ce premier album un petit bijou.
Comme toutes les grandes chanteuses populaires, Mathilde chante avant tout l’amour, au sens le plus large, celui des hommes, des femmes, des gens et de leur particularités, du monde. L’amour-amitié, l’amour sensuel, ses espoirs, ses ratés, la vie tout simplement. Comment se fait-il qu’elle ait été victime d’une campagne de dénigrement à grande échelle, de groupes privés aux commentaires publics sur les réseaux ? C’est que Mathilde est indépendante, féministe, rebelle à toutes les injonctions et à toutes les injustices. D’abord attaquée sur son physique évoquant les nanas de Niki de Saint-Phalle, tous ses engagements – comme la reprise de l’Hymne des femmes, chanson de sororité féministe avec la participation de nombreuses militantes, artistes, femmes actives et politiques – lui ont gagné une meute de haineux… mais aussi d’admirateurs.
Ne croyant plus possible d’être reconnue comme artiste en tant que femme dans le milieu du jazz, elle a choisi d’écrire en indépendante de la pop « à texte » et engagée. Et de renoncer à « l’emballage » nécessaire pour plaire aux producteurs, aux programmateurs et aux supposées attentes du public, à l’habillage « Barbie jazz ». Elle veut réussir par sa voix et son écriture, comme les hommes auxquels on laisse la possibilité de paraître tels quels dans leur masculinité. Attaquée, elle a choisi de rétorquer, soit par de petites publications sur les réseaux qu’elle voit comme des tutos de résistance, soit par des chansons, écouter Martyre de la cause, en mars 2022, ou J’veux plus mentir, en janvier 2024.
Voici donc un nouvel album de dix-huit titres pour une heure d’écoute, réalisé avec le britannique Josh Renton, en partie en confinement. Entièrement de son écriture et de sa composition, sauf la belle reprise de Monopolis de Luc Plamandon / Michel Berger, de Starmania - cinq titres plus anciens étant co-composés avec d’autres musiciens. L’album se partage entre chansons d’amour, féminisme doux ou plus radical, et autres engagements.
À la base des chansons féministes, Le corps des femmes que Mathilde chantait déjà en 2016, qui a fait l’objet d’une interprétation chorale mixte sobre, percutante, de toute beauté en 2017, ou d’une chorégraphie inclusive mais uniquement féminine aux Molières 2024. « Mon corps de femme / Porte mon âme / Porte ma vie / Porte mes drames / Mon corps de femme / Ma seule maison / Toujours saccagé / Sans raison / Je veux savoir / Savoir pourquoi / C’est toujours les femmes / Que l’on broie / Et pourquoi toi / Tout feu tout flamme / Tu asservis / Le corps des femmes !« . Libre ! datant de quelques années répond point par point à toutes les attaques, les moqueries, les menaces et les accusations avec autant de volonté que d’autodérision : « Je suis une graine d’anarchiste / Mais oui, une bobo gauchiste ! / Une féministe hystérique / Y’a pas que mes poils qui piquent ! / Bien sûr je dessers ma cause ». Même profession de foi avec toutes ses sœurs, Guerrières de lumière : « Nous, on est pas des filles sages / Pas plus que des filles volages / Nous, on est juste des « meufs sûres » / Sûres d’avoir des droits ». La toute dernière écrite, Révolution, est plus frontale encore.
Mathilde n’est pas toujours dans le cri ou la voix lyrique, ni dans la chanson pop très produite. Le plus souvent elle dit des choses tout aussi percutantes d’une voix douce et modulée, sur des mélodies agréables et mémorables, et elle y est autant persuasive. Il faut écouter Le poids du monde, en simple piano-voix, si chargé d’émotion et d’angoisse, ou Je me souviens, tendre mémoire d’un monde avant la catastrophe écologique.
Et puis ces chansons de l’amour sous toutes ses nuances – en valse douce ; en passion sapiosexuelle dévorante, Chez lui ; en dépendance heureuse et angoissée, la chanson titre : « J’ai de l’espoir plein les poches / Et du monde je ne vois rien / Parce que bien sûr je t’appartiens / Malgré la chute qui approche » ; en soumission addictive mais consciente, dénonçant les violences faites aux femmes et sa conclusion confondante : « Il était une fille / Qui n’est plus là / Elle me manque, mais voilà / Cette fille, c’était moi » ; en solitude sans espoir, Fleur fragile ; en hésitations devant l’engagement amoureux, Ni oui ni non ; contre la sexualisation imposée des corps qui brise les cœurs (Mon cœur) ; en lassitude, J’en ai marre de t’aimer, chantée en écho léger, longue et émouvante litanie « J’en ai marre du silence / Impassible sur tes lèvres / Dérobées de leur fièvre / Lourdes de ton absence » ; et bien d’autres encore.
Entre tendresse et rage, aussi sensible dans ses reprises, du jazz à la variété et à la chanson, que dans ses créations propres, d’une énergie inépuisable, Mathilde fait partie de ces artistes qui ne rentrent dans aucune case. De Barbara à Rihanna, de Léo Ferré à Muse, de Mylène Farmer à Ravel… Il vous faudra du temps pour découvrir toutes ses facettes…
Mathilde, La nuit, le jour, Editions Raoul Breton, 2024. Le site de Mathilde, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. En concert le 31 octobre à Nantes, à Paris le 21 novembre 2024 à l’Alhambra, toutes les dates ici.
« Les volcans endormis » clip 2017
« La nuit, le jour » clip/paroles 2023
« Libre » clip 2023
« Le poids du monde », audio
« Chez lui » audio
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