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La chanson française à l’export, tout un monde

Entrée de l'exposition © Didier Plowy – CMN

Entrée de l’exposition Photos © Didier Plowy – CMN

« Voyage, voyage », elle voyage dans le monde la chanson francophone. Et depuis des lustres. De Maurice Chevalier un temps l’acteur le mieux payé à Hollywood à Marie Laforêt en Turquie en passant par Patricia Kaas à Moscou. Car le français résiste. « Langue officielle de plusieurs dizaines de pays de tailles et de situations variées sur la planète, langue d’usage de plusieurs organisations internationales majeures, langue d’arbitrage international de maints sports, le français devise avec d’autres langues dans le divertissement, le loisir, l’audace, la rêverie, l’évasion » souligne Bertrand Dicale le commissaire de la stimulante exposition présentée à la Cité internationale de la langue française, nouveau rendez-vous de la francophonie, à Villers-Cotterêts (Aisne). Là même où François 1er signa l’ordonnance de 1539 qui imposa le français, à la place du latin, dans les actes administratifs et les décisions de justice.

DSC_0226 Négresses vertes 326x490DSC_0015 maghreb 326x490Chante donc France ! « La commanderappelle le journaliste et historien de la chanson, Bertrand Dicale – c’est de montrer ce qui a marché dans le monde ». Ces succès des musiques populaires francophones dont un échantillon a rythmé notamment les cérémonies d’ouverture et de clôture des récents jeux olympiques à Paris. Reprenant en son titre des extraits des « Feuilles mortes » de Jacques Prévert, ces « Chansons qui nous ressemblent » se proposent d’explorer une géographie mondiale de la chanson francophone. Cette exposition temporaire est par ailleurs complétée par une salle spécifique imaginée par l’équipe du Hall de la chanson qui a choisi vingt titres emblématiques des manières de jouer avec le langage.

DSC_0101Vian 326x490DSC_0049 Kaas 326x490Pour honorer une feuille de route ambitieuse, l’exposition temporaire s’organise en espaces successifs dans lesquels sont rassemblés des « récits proches les uns des autres : le cabaret pour les prestiges d’une culture de l’élégance (à la mode de Juliette Gréco par exemple) ; la rue pour les libertés, les combats et les résistances ; le music-hall pour le romantisme unique au monde du mot amour ; le club pour la pointe de l’actualité pop ; le dancing pour l’hédonisme collectif ». D’étapes en étapes, casque audio haute définition semi ouverts sur les oreilles, le visiteur parcourt un tour hors de France chansonnier. Au total plus de quatre cent cinquante extraits musicaux, des centaines d’images d’archives, des objets de collection dont des instruments, déploient ce dont parlait Stendhal « Le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue ». Un génie qui va jusqu’à intéresser des peuples si différents. « Très souvent la chanson en langue française agrandit la vie » explique encore Bertrand Dicale. A l’image de ce parcours ludique et interactif décrivant un art de vivre en chansons.

DSC_0264 Greco Rezvani 490x326DSC_0220 F Hardy 490x326C’est aussi que la chanson cultive la variété des mots et des musiques. S’adaptant à l’occasion à l’air du temps. A l’image de la rappeuse Aya Nakamura (une des artistes invités à la cérémonie d’ouverture des Jeux, accompagnée par les musiciens de la Garde Républicaine) qui incarne dans la première séquence de cette exposition les habits neufs de la francophonie qui s’exporte et invente une langue avec des accents d’anglais, de créole afro-caribéen et d’argot des banlieues. Vidéo à l’appui on la suit dans le clip de son succès de 2019 « Pookie » déambulant, dansant, dans les couloirs du château de… Fontainebleau. Les plus connus (Aznavour, Montand, Gréco, Céline Dion, etc.) côtoient des artistes moins connus dans l’hexagone comme Clémentine Mitz (« la Française idéale du Japon »). Le visiteur engrange nombre de détails sur ces chansons défiant durablement les tubes en anglais. Ainsi l’hymne officiel de la Légion étrangère « Le Boudin » (potentiellement une chanson pour…enfants !) est la chanson militaire la plus célèbre au monde. Sans que l’on sache vraiment pourquoi le français reste une « langue de géants ». A l’unisson de la chanson française la plus souvent enregistrée « Plaisir d’amour » et qui a traversé toutes les époques, tous les genres, tous les styles, y compris aux Etats-Unis, depuis 1784 année de sa publication. La France est aussi une romance !

 

« Ces chansons qui nous ressemblent ». A la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts. Jusqu’au 5 janvier 2025

Le site  de la Cité, c’est ici.  Le site de l’exposition, là

  

Questions à Bertrand DICALE, journaliste, auteur, commissaire de l’exposition
Recueilli par Robert Migliorini pour NosEnchanteurs

« Je ne pense pas que la chanson française soit moins bien équipée que jadis pour traverser les frontières »

NosEnchanteurs : -1- Comment la cérémonie d’ouverture et de clôture des récents jeux olympiques ont résonné pour vous sous le registre des chansons choisies?

Bertrand DICALE : Les cérémonies des Jeux de Paris 2024 ont porté l’attention du monde entier sur des chansons françaises, et cela ne doit pas être une surprise. Autant que l’on sait partout dans le monde que la Tour Eiffel est à Paris, il y a sous tous les cieux et dans toutes les cultures une vague idée d’à quoi peut ressembler la chanson de France (au-delà de la plus célèbre qui n’est pas La Vie en rose, mais La Marseillaise). 

DSC_0021Nakamura 490x327Donc, il ne faut pas s’étonner que la cérémonie s’achève sur L’Hymne à l’amour chanté depuis la tour Eiffel par la chanteuse francophone qui a vendu le plus de disques dans l’histoire. Il ne fallait pas non plus s’étonner qu’Aya Nakamura tienne un des premiers rôles, pour lequel Thomas Jolly a dessiné ce symbole magnifique de la voir avec le Chœur de l’Armée française et l’orchestre de la Garde républicaine dans For me formidable, chanson dans laquelle Charles Aznavour s’amusait il y a soixante ans de la pénétration de la langue anglaise dans notre imaginaire amoureux. 

Et l’on ne peut qu’être ravi que le monde ait découvert Mon truc en plumes, écrit par le génial Bernard Dimey pour Zizi Jeanmaire, interprété par Lady Gaga – qui y a certainement gagné pour le reste de sa carrière une sorte de passeport culturel français honoraire. 

Mais je trouve aussi savoureux que tant de commentateurs et de spectateurs des cérémonies de Paris 2024 aient passé tant de temps à ouvrir des yeux ronds en disant « ah mais ça aussi, c’est français », à propos de grands succès anglophones de la pop, de l’électro ou du disco. De ce point de vue, la mission a été accomplie et même mieux qu’accomplie. 

-2- L’exposition honore le patrimoine de ces succès. Où se pointe la relève dans la chanson francophone alors que l’anglais poursuit son expansion?

Si une langue est en expansion dans le monde des musiques populaires, ce n’est pas l’anglais mais l’espagnol, porté par le reggaeton, que nous sommes un des rares pays à ne pas comprendre pour ce qu’il est, c’est-à-dire une musique tropicale pop et transculturelle, incarnant le désir de plaisir de reconnaissance de chacun de ses auditeurs d’une manière aussi urgente et impérieuse que jadis le rock. D’ailleurs, si je ne crois pas qu’Aya Nakamura chante en anglais, mais je ne serais ni surpris, ni choqué qu’elle parachève en espagnol sa conquête du monde hispanique – déjà unique dans l’histoire de la musique populaire francophone. 

Quant à la chanson en langue française, je ne pense pas qu’elle soit moins bien équipée que jadis pour traverser les frontières. Au contraire, même : la création du Centre national de la musique en 2020 et le travail qu’il accomplit pour accompagner producteurs, labels discographiques et artiste à l’exportation est le complément d’un nouveau paradigme de la consommation mondiale de musique : le streaming permet à tous les internautes d’écouter tout ce qui bon leur semble. 

DSC_0076 Zaz 490x326Jamais Aya Nakamura, Zaz ou Stromae n’auraient conquis les classements de meilleures ventes dans des dizaines de pays sur quatre ou cinq continents dans cet âge d’or que l’on a tendance à résumer au triomphe d’Édith Piaf ou Charles Aznavour à New York. 

3- L’exposition a -t-elle à son tour vocation à voyager hors de France?

L’exposition « C’est une chanson qui nous ressemble », présentée à la Cité Internationale de la langue française de Villers-Cotterêts a été conçue et réalisée pour ses espaces. Elle n’a pas vocation à voyager, ne serait-ce que parce que les instruments de musique, les disques de platine et les objets prêtés par les artistes ou leurs ayant-droit l’ont été seulement pour la durée de l’exposition jusqu’au 5 janvier 2025 

C’est pourquoi elle est accompagnée d’une quarantaine de podcasts disponibles sur l’application de Radio France et d’un livre publié aux éditions du Patrimoine.

 

« C’est une chanson qui nous ressemble » n’est pas seulement une délectation sonore et visuelle au château de Villers-Cotterêts, c’est une perspective inédite qui consiste à inverser l’axe de la caméra en essayant de comprendre qui et pourquoi a obtenu ou obtient de grands succès auprès de publics non-francophones. Et cela nous invite à aborder notre culture avec le regard de l’autre, ce qui est toujours instructif !

Bertrand Dicale, « C’est une chanson qui nous ressemble », succès mondiaux des musiques populaires francophones ». Editions du patrimoine. 224 p., 2024.
On en parle s
ur France Info le 1er septembre 2024 dans l’émission de Bertrand Dicale, « Ces chansons qui font l’actu », à propos des Jeux de Paris.  

Edith Piaf, « La vie en rose » au Carnegie Hall, 1956, live montage photos Image de prévisualisation YouTube

Charles Aznavour, « For me formidable » au Palmarès des chansons, 1966, INA  Image de prévisualisation YouTube

Clémentine Mitz, « Quel temps fait-il à Paris », session acoustique 2021 Image de prévisualisation YouTube

Céline Dion, « Hymne à l’amour », cérémonie d’ouverture des JO Paris 2024 Image de prévisualisation YouTube

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