Catherine Ribeiro, 1941-2024
Ce fut mon premier concert, en 1975 je crois, au Cirque municipal de Troyes, avant que cette salle ne devienne le Théâtre de Champagne : une scène ce soir-là dans le sombre, pas le moindre projecteur, chanteuse et musiciens vêtus de noir, elle et sa longue chevelure de charbon. Et des milliers de bougies allumées… Je n’étais pas bien grand et n’ai pas compris grand’chose à cet étrange spectacle mais en ai gardé pour toujours l’obsédant souvenir. C’était Catherine Ribeiro + Alpes en leurs messes noires qui rassemblaient alors chaque fois des milliers de personnes…
Débuter sa vie de concerts par l’ardente pasionaria que fut Ribeiro, c’est peut-être se fixer un cap de beauté et d’exigence, de rigueur et d’absolue passion. Être né sous le signe de Ribeiro n’est pas anodin. Le deuil est douloureux qui définitivement enterre une époque.
Ce fut la plus belle voix de la chanson française (et n’objectez pas par l’évocation de ces prétendues stars qui ne lui arrivent pas même à la cheville), une qui refusa de chanter des niaiseries, de la guimauve : son chant était bien plus grand, autrement plus généreux. Douceur et colère mêlées.
Furtivement actrice chez Godard (Les Carabiniers, en 1963, où elle eut pour partenaire Patrice Moullet, son futur complice d’Alpes), elle entre en chanson en enregistrant Dylan et devient une des vedettes yé-yé de l’époque : c’est à ce titre qu’elle figure sur le fameux poster d’Europe1 qui rassemble les stars du moment. Mais le faux semblant, l’artifice, l’escroquerie n’est pas son lot. Mai 68 passe par là qui définitivement l’éloigne de la chansonnette, du futile. C’est une chanteuse de lutte qui naît des cendres des barricades, d’un lyrisme étonnant, fascinant, envoûtant. Du passé, la Ribeiro que voilà a fait table rase, s’engageant dans un rock progressif, immense audace dans le monde frileux de la chanson, entre psychédélisme et minimalisme, tenté par le jazz, ne fréquentant plus que les scènes alternatives, les fêtes politiques, en des engagements (écologie, Palestine, contre la guerre…) toujours d’actualité.
Chaque concert est alors événement, rien que l’évocation de son nom suscite enthousiasme ou rejet. Elle est par nature la chanteuse rouge, à l’évidence marginalisée, tue, privilège qu’elle partage, avec certes dignité mais non sans tristesse, avec Colette Magny : le biznesse déteste plus que tout la chanson contre.
Neuf albums de Ribeiro + Alpes se succèdent, recelant un chapelet de titres mythiques : Poème non épique, Qui a parlé de fin ?, Frères humains… Après l’exceptionnelle aventure avec ce groupe mythique, Ribeiro poursuit en d’autres portées, les siennes et celles de la formidable interprète qu’elle se révèle être. Ce sont répertoires d’amour, de Brel à Piaf, de Ferré à Manset : ces récitals-là resteront aussi dans notre mémoire vive.
Ribeiro a consacré deux albums, l’un à Piaf, l’autre à Prévert (« Jacqueries », le titre de cet album lui valant un procès par la veuve de Prévert qui, l’imbécile, n’en appréciait pas le titre). Révolutionnaire par essence, elle réalisera à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française l’album « 1989… déjà ! Du tiers-état au tiers-monde ». En 2002, Catherine Ribeiro tentera mais en vain de reformer le groupe Alpes. Dans ses deux derniers albums (2005 et 2007), elle interprétera à nouveau ses titres de l’époque Alpes. Sa dernière scène parisienne fut, en 2008, celle du Bataclan.
Merci pour ce magnifique hommage à Catherine qui a compté pour moi dans ma carrière. J’apprends avec tristesse que la veuve de Prévert lui a fait un procès pour Jacqueries !
Moi aussi ça été difficile d’obtenir le feu vert pour mon album sur Prévert Kosma et ses inédits.
Merci Michel Kemper pour tes écrits en général et pour cette page consacrée à la belle artiste sans concession que fût Catherine Ribeiro…. Oui, une icône !
La veille ou l’avant veille du concert de Troyes, elle avait chanté dans l’église de Crépy en Valois ce qui avait plus qu’ému les bourgeois, les bien pensants ainsi que le grenouilles de bénitier.
Aujourd’hui le soleil ne brille plus comme avant.
Merci Michel.
Quand la Vie fout le camp et ne nous apporte plus la PAIX…
Merci bien fort, Michel, pour le bel hommage que tu as fait à Catherine Ribeiro dans NosEnchanteurs, l’excellent quotidien de la chanson. La vraie chanson !
Très bel article pour une belle artiste. Confidence pour confidence ce fut aussi mon premier concert
Merci pour ce bel hommage, complet et si juste. Si les autres médias, muets et amnésiques, pouvaient en prendre de la graine…