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Barjac 2024. Quand la poésie fait l’art-évolution

Christian Olivier Barjac 2024 Photo ©Anne-Marie Panigada

Christian Olivier Barjac 2024 Photo ©Anne-Marie Panigada

Samedi 27 juillet 2024, Espace Jean Ferrat – Cour du Château de Barjac (Gard),

 

par Franck Halimi,

Le titre de l’édito du programme de Barjac m’en chante 2024 donne le ton : « Drôle d’époque… ». La directrice artistique du plus grand des petits festivals de chanson de caractère, Julie Berthon, y évoque avec pertinence et impertinence « La convergence des brutes [qui] semble avoir pris le pas sur nos frêles espérances. » Et l’audacieuse programmation de la soirée d’ouverture avec BlauBird suivie de Christian Olivier à L’Espace Jean Ferrat illustre significativement cette ambition. En honorant la poésie sous deux visages singuliers et deux voix ô combien différentes.

BlauBird Barjac 2024 Photo©Anne-Marie Panigada

BlauBird Barjac 2024 Photo ©Anne-Marie Panigada

Quand BlauBird (« oiseau bleu » en germano-british) ouvre cette 29ème édition du festival dans ce lieu emblématique qu’est la Cour du Château avec le sample « Calme des nuits » qu’elle a imaginé et fabriqué avec le Professeur Inlassable (ce drôle de sorcier qui effectue des collages sonores aussi étonnants qu’inventifs) pour en faire un véritable décor acoustique, on est intrigué. Et puis, lorsqu’elle enchaine avec le célèbre poème de Victor Hugo « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne« , le temps suspend son vol, mais pas l’escadrille d’oiseaux qui s’élève alors dans la voûte céleste, comme pour nous signifier que nous partons pour un drôle de voyage au long cours.

Le ciel est partout, L'ALBUM Après cet album en 2018 où elle nous chantait ce Blue Bird qui lui a donné son nom de scène, et empruntait à Hugo son Demain dès l'aube, Laure Slabiak qui a longtemps été une voix lyrique, nous offre fin 2022 une ode à la Beauté, à l'Amour et à la poésie de près d'une heure.  Réalisé par François Lalonde (celui de Lhasa), aux percussions, batterie, guitares avec Michel Schick aux clarinettes klezmer et saxophones, son époux Olivier Slabiak, leader du groupe de musique yiddish et tzigane Les yeux noirs) aux violons, Mario Légaré  à la basse et contrebasse, mais aussi un accordéon des balkans, une harpe, un tahru, un violoncelle, un piano classique... Avec en invité Tcheky Karyo sur Tes mots dits, voix grave et rugueuse qui met en valeur le velours de celle de Blaubird.  L'album est pétri de références littéraires, cinématographiques, musicales, en citation ou en inspiration.  La Lorelei, celle qui souffre plutôt que la nymphe fatale « Quand brillera l'absent / J'affronterai le temps (..) On m'appellera vaincue » ; La Péri de ce paradis lyrique de Schumann puisant déjà dans la poésie persane, celle des Dieux masqués de Saïs ; Le roi de Thulé (Goethe) de l'épilogue citant Sur la route de Madison – remarquer la double référence au personnage de Méryl Streep, dont le fin visage n'est pas sans rappeler celui de Laure - avec encore une citation d'Out of Africa pour ce souvenir d'amour perdu La vie s'afflige. En français, passant fluidement à l' anglais, le yiddish, l'allemand, l'arabe ou l'espagnol, Laure chante surtout l'amour, sensuel et même brûlant avec Reste, « S'arrête le temps entre mes reins / Me laisser et te laisser partir / C'est doux comme une vague », Oiseau de nuit (texte de Bertrand Nogent) ou Laisse moi rêver, romantique avec L'ombre de mon amant, toujours mélodieux et mélancolique. Elle signe ici une majorité de titres paroles et musique, avec aussi celles d'Olivier Slabiak. On voyage de la Bulgarie avec ce traditionnel en yiddish, Papirosn où un enfant tente de survivre après un premier progrom après la première guerre mondiale, à l'orient libano-syriaque avec ce traditionnel de Fairuz, Habbaitak Be El Saif , l'histoire d'une jeune fille délaissée, en passant par le Chili de Pablo Neruda avec No me quites.  Toute la mélancolie de ceux -et surtout de celles- qui vivent et meurent d'amour. - Catherine LAUGIER

Le ciel est partout, L’ALBUM ©Patrick Swirc
Après cet album en 2018 où elle nous chantait ce Blue Bird qui lui a donné son nom de scène, et empruntait à Hugo son Demain dès l’aube, Laure Slabiak qui a longtemps été une voix lyrique, nous offre fin 2022 une ode à la Beauté, à l’Amour et à la Poésie de près d’une heure.
Réalisé par François Lalonde (celui de Lhasa), aux percussions, batterie, guitares avec Michel Schick aux clarinettes klezmer et saxophones, son époux Olivier Slabiak, leader du groupe de musique yiddish et tzigane Les yeux noirs) aux violons, Mario Légaré à la basse et contrebasse, mais aussi un accordéon des balkans, une harpe, un tahru, un violoncelle, un piano classique… Avec en invité Tcheky Karyo sur Tes mots dits, voix grave émouvante qui met en valeur le velours de celle de Blaubird.
L’album est pétri de références littéraires, cinématographiques, musicales, en citation ou en inspiration. La Lorelei, celle qui souffre plutôt que la nymphe fatale « Quand brillera l’absent / J’affronterai le temps (..) On m’appellera vaincue » ; La Péri de ce paradis lyrique de Schumann puisant déjà dans la poésie persane, celle des Dieux masqués de Saïs ; Le roi de Thulé (Goethe) de l’épilogue citant Sur la route de Madison – remarquer la double référence au personnage de Méryl Streep, dont le fin visage n’est pas sans rappeler celui de Laure – avec encore une citation d’Out of Africa pour ce souvenir d’amour perdu La vie s’afflige.
En français, passant fluidement à l’anglais, le yiddish, l’allemand, l’arabe ou l’espagnol, Laure chante surtout l’amour, sensuel et même brûlant avec Reste, « S’arrête le temps entre mes reins / Me laisser et te laisser partir / C’est doux comme une vague », Oiseau de nuit (texte de Bertrand Nogent) ou Laisse moi rêver, romantique avec L’ombre de mon amant ; toujours mélodieux et mélancolique. Elle signe ici une majorité de titres paroles et musique, avec aussi celles d’Olivier Slabiak. On voyage de la Bulgarie avec ce traditionnel en yiddish, Papirosn où un enfant tente de survivre après un premier progrom après la première guerre mondiale, à l’orient libano-syriaque avec ce traditionnel de Fairuz, Habbaitak Be El Saif , l’histoire d’une jeune fille délaissée, en passant par le Chili de Pablo Neruda avec No me quites. Toute la mélancolie de ceux -et surtout de celles- qui vivent et meurent d’amour.
- Catherine LAUGIER

Illico happé par la voix profonde (voire « cocoonante ») de la chanteuse – enveloppée dans un univers mixant son sobre piano au violon sensible de son mari, Olivier Slabiak (fondateur du groupe Les Yeux noirs) -, je me laisse porter par la musique de la fameuse poésie, tout en en redécouvrant le sens profond. Extrait des Contemplations, il s’agit d’un poème d’amour et de deuil que Victor Hugo a écrit en hommage à sa fille Léopoldine, dans lequel il évoque son pèlerinage annuel sur sa tombe. Transcender ainsi une ineffable douleur pour en faire un objet artistique est vieux comme le monde et, pourtant, quand une œuvre nouvelle de qualité vient me chatouiller l’ouïe de finesse de la sorte, je ne peux m’empêcher de me réconcilier avec ce monde intranquille qui nous entoure et nous pénètre.

Et la suite du concert est à l’avenant : avec un répertoire centré sur le sentiment amoureux, et grâce à ses cordes vocales pas locales, BlauBird nous fait voyager sur les ailes d’un oiseau bleu, traversé par des langues, des bruits et des sons s’entremêlant harmonieusement. Ainsi, de Neruda à Fairuz, les caresses et entrechoquements de l’espagnol, de l’allemand, de l’anglais et de l’arabe font, comme le français, partie intégrante du kaléidoscope sensitif musical ma foi fort agréable d’une interprète formée au lyrique mais qui a su s’en affranchir. Et ce, même si le sens des textes ne m’a pas autant séduit que la façon dont ils sont portés…

Christian Olivier Barjac 2024 Photo ©Anne-Marie Panigada

Christian Olivier Barjac 2024 Photo ©Anne-Marie Panigada

C’est pourquoi la transition avec le second plateau composé de Christian Olivier et de ses acolytes a constitué un véritable choc pour une bonne partie du nombreux public présent. Car, d’emblée, un coup de tonnerre retentissant et des éclairs lumineux éblouissants viennent fracasser la quiétude ambiante de cette douce soirée estivale. Et l’on sent bien que quelque chose va se passer… Et effectivement, quelque chose se passe, avec l’arrivée d’un quintet de sacrés musiciens (Martial Bort, guitare – Clarisse Catarino, accordéon – Delphine Langhoff, batterie et machines – Pierre Payan, claviers et scie musicale – Ilia Zelitchonok, violon) qui vont derechef, à grands coups syncopés de rock, d’électro, de samples, de dub,… nous foutre un coup de fouet salvateur. Alors, non… les pratiques SM ne sont pas forcément my cup of tea (je ne parlerai qu’en présence de ma vodka). Mais, c’est vrai que leur irruption tonitruante articulée à la présence charismatique de l’ancien leader des Têtes Raides (et à sa voix qui en impose), à des images typographiques parlantes, à des vidéos sacrément bien foutues (qui donnent de la matière granuleuse et de la profondeur de champ au tableau proposé), à des lumières travaillées avec minutie (même si certains effets stroboscopiques ont dérangé pas mal de gens), et bien… toute cette partition écrite à la virgule près – mais sans que l’énorme boulot qu’a dû constituer sa mise en œuvre ne se sente – trouve de la souplesse et du liant grâce à Christian Olivier et à son expérience scénique.

Bon, OK… mais, qu’est-ce que ça raconte ? Le Ça est le Ça ! est un ambitieux projet qui s’inscrit dans la continuité du précédent La révolution au cœur et est assis sur des poèmes et extraits de textes de douze auteurs russes autour de la Révolution d’Octobre : Akhmatova, Blok, Bounine, Essenine, Harms, Klebnikov, Maïakowski, Mandelstam, Pasternak, Tsvetaïeva, Volochine et Zdanevitch dans des traductions de la référence contemporaine en la matière, l’engagé André Markowicz. Alors, si d’aucuns ne se sont pas retrouvés dans cet univers poético-musical radical (à la Prévert) racontant une révolution passée (en en prônant une nouvelle ?), d’autres ont regretté un manque de fil conducteur leur permettant de ne pas perdre le déroulé d’une histoire tragique, tandis que d’autres encore, peu habitués à être sollicités de la sorte, refusaient d’entrer dans le jeu de la participation active intimée par le chanteur à maintes reprises.

Pour ma part, j’ai trouvé cette soirée sacrément culottée, à la fois de par sa structuration par Julie Berthon (quel grand écart entre BlauBird et Christian Olivier), mais aussi de par les partis pris des deux propositions artistiques. Et si j’ai décidé d’écrire dessus, c’est justement parce que, en plus de vingt ans de festival barjacois, je n’avais jamais entendu autant d’avis différents ET nuancés sur un double-plateau ! Mais, surtout, ce que j’ai vraiment aimé, c’est qu’un tel festival – amoureux du langage – puisse donner la parole à tout un éventail de poésieS différenteS, démontrant ainsi que, contrairement aux poncifs qui ne les accompagnent que trop, elles ne sont pas une langue morte, mais les véhicules éclectiques et efficaces de pensées vivaces et contemporaines. Et ça, c’est pas rien !
- Franck HALIMI

 

Blaubird, Le ciel est partout ; Christian Olivier, Le Ça est le Ça. Le site de Blaubird, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, làLa page facebook de Christian Olivier, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. 

Blaubird, « Demain dès l’aube », Paris 2019 Image de prévisualisation YouTube
Blaubird, « No me quites », au Prix Moustaki, 2023 Image de prévisualisation YouTube
Blaubird, « Oiseau de nuit », session Cargo Abbaye de Royaumont 2023 Image de prévisualisation YouTube
Christian Olivier, « Le ça et le ça », clip 2023 Image de prévisualisation YouTube 
Christian Olivier, « La révolution au cœur », montage 2024 Image de prévisualisation YouTube
Christian Olivier, « Le concert à la gare », session La Palène 2023 Image de prévisualisation YouTube

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