Off Avignon 2024 Jules et Jo, quand le présent déménage

Jules et Jo Photo ©Agnès André

8 juillet, Avignon, Espace Roseau Teinturiers

Par Agnès André,

Y’a pas à dire, Jules et Jo sont extraforts pour nous scotcher. Et embarquer un public à cent et quelques têtes, leur « public sublime ». Ça change du concert intimiste de la chanson à textes.

Intimes, ils le sont pourtant : les deux cosmi-comiques tout droit venus de Belgie (et ils en jouent bien sûr) continuent à faire, non pour notre bonheur mais pour le rire, commerce des objets de notre quotidien : après l’abat-jour, le bocal, la caravane de Chaise de jardin (2022), c’est au tour du trampoline, du coussin-péteur et de la lime à ongles d’y passer, objets de choix du tout frais Le futur est génial (juin 2024).

Le filon est sans fin, exploité avec la grâce d’un antiquaire du moderne : le trivial truc ou machin quotidien ne sert bien finalement que de tremplin pour sonder d’un regard désabusé et burlesque les travers de notre société – ou petites (et grosses) faillites humaines, des plus légères (ceux qui nous tapent sur les nerfs/Tapette à mouches) aux plus lourdes (les envies suicidaires/Escabeau).

Sur scène, leur chanson d’objets déménage : c’est coloré, ça pulse, ça fuse, dans un cocasse qui tient bien sûr à leur immense art du décalage mais aussi au gag visuel (impressionnantes et inimitables chorégraphies de Jo). Mais apparemment même le plus baraque des déménageurs s’essouffle.

Jules et Jo mariés ©Photo ©Agnès André

C’est bien dommage, car le début était proprement hilarant et à dire vrai le seul moment passé du festival en prise direct avec le réel : oui, nous sommes quand même le 8 juillet, lendemain de législatives. Ce réel donne lieu à une scène viscéralement surréelle et semi-mystique en ouverture dont même le souvenir reste jouissif. Si ça c’est pas de la chanson durable !

Les titres ensuite s’enchaînent, tantôt lorgnant vers la parodie de styles, tel que la chanson-drama variétoche (Armoire normande) ou le gros rap graisseux mâtiné de voix fluette féminine (Moufles) : on s’amuse grave. Et puis viennent ces chansons où les deux acolytes décident qu’il leur faut un membre du public pour les agrémenter : erreur fatale. L’humour noir plein d’autodérision qui leur va si bien devient glauque : le ridicule l’emporte et le malaise flotte…La salle est partagée entre clappements explosifs et silence de quelques-uns, qui doivent, on suppose, ne pas disposer d’assez d’autodérision pour apprécier le moment.

Ces deux épisodes gâtent la sauce, et nous détournent de leurs trouvailles textuelles. Il est peut-être d’ailleurs révélateur que la seule chanson dont le texte vient véritablement frapper nos petits pavillons pendant concert est celle exécutée sans cocasserie (Lime à ongles ou la quête du bonheur), malgré une diversité d’ambiances et un éclectisme musical sans pareil.

Bref, nul n’est besoin, Jules et Jo, d’alourdir le trait, vous déménagez bien mieux léger !

-Agnès ANDRÉ

Le futur est génial, l’album

Par Catherine Laugier, 

Pour ce nouvel album de onze titres (sorti également en quatre titres en numérique) Jules & Jo reprennent l’argument qui leur a si bien réussi dans le précédent album, se servant d’objets de la vie courante pour évoquer la complexité de la vie, et les sentiments avoués (ou pas) par le jeune couple qui fait la couverture de l’album. Même si l’on perd l’effet de surprise qui nous avait percutés lors du précédent album Chaise de jardin, nous restons saisis par le mélange d’humour pince-sans-rire féroce, même noir, de satire de la société, et d’exploration des tréfonds de l’âme humaine, avec peut-être un degré de folie en plus. Saluons la virtuosité langagière de Matthias Billard, entre jeux de mots, assonances et homéotéleutes, et la richesse de l’instrumentation, qui rajoute le charango (petite guitare andine) de Julie Legait, les claviers et l’accordéon de Matthias Billard, la batterie d’Alain Deval à tous les instruments d’un groupe de rock gérés par Gil Mortio, le réalisateur bruxellois de l’album, également à la programmation.
Le duo (qui est Jules, qui est Jo, on ne l’a jamais vraiment su) entretient l’ambiguïté, se présentant en couverture elle en costume, lui en robe bustier de mariée, bondissant sur une plage nordique immense vers un futur qui ne peut être que génial (images Alice Piemme & Thierry Pili). Pourtant dès le jour de ses noces le jeune couple évoque des fantasmes inavoués « seigneur cachons ces pensées / sous la nappe en papier », situation qui risque de tourner au pire après quelques années de routine : je vous laisse découvrir la chanson cachée finale où le chéri(e) cache des envies de meutre… En attendant cet avenir peu enviable ils partageront leurs fantasmes sensuels entre Canard de bain et Bilboquet, à moins qu’en cadeau l’amoureux n’offre à sa belle, plutôt qu’un bouquet de fleurs, « un p’tit cadeau farceur », un Coussin péteur, dont une voix enregistrée de type annonce de super-marché nous détaille le fonctionnement. Pfff… Certains préfèrent offrir des bonbons…
Le tout dans un panorama musical de tout beauté, de la ballade mélancolique (Lime à ongles, où l’attente de l’amour est si longue qu’elle mène à l’usure…) à la ritournelle électro entêtante de Mixeur où chacun trouve le passe-temps (bonjour les influenceurs) à mixer à sa vie (« qu’je passe ma vie au mi ma sœur »). En passant par des airs dansant cachant des drames ou des envies de suicide. Quant à l’avenir de la société, il reste dans le brouillard, si seulement on pouvait faire taire ceux qui n’ont rien à dire, mettre des Moufles à ceux qui tirent plus vite que leur ombre, ou leur donner « là juste au coin de la bouche »  un petit coup de Tapette à mouches. Que celui qui n’en a jamais eu envie leur jette la première pierre. 

 - Catherine LAUGIER

Jules & Jo, Le futur est génial, Ding ding 2024

Le site de Jules & Jo, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Le Spectacle a eu lieu du 29 juin au 12 juillet (sauf mardis) à l’Espace Roseau-Teinturiers à 22h15. En concert à Saint-Hilaire de Chaléons (44) du 20 au 21 juillet et à Cognac (16) les 6 et 7 septembre, autres dates sur leur site. 

« Bilboquet », a cappella  
« Nappe en papier », audio 
Bande-annonce 2024 (Festival Aurillac août 2023)