Off Avignon 2024, Julie Lagarrigue au mordant de l’amour
10 juillet, Avignon, Théâtre de l’Arrache-Cœur
Par Agnès André,
« Et puis tu sais, quand j’aboie, quand je mords / c’est mon volcan que tu vois, que j’essore ». A cappella dans la salle Barbara-Weldens du fameux théâtre-chanson avignonnais, Julie Lagarrigue nous plante aussi sec un coup de dent au cœur. On est quelques-unes-quelques-uns, à midi, à nous offrir sans l’avoir trop su au mordant de l’amour chanté par cette autrice-compositrice-interprète découverte en 2020 avec le très salué Amours sorcières.
La powêsie, Jules et moi, son nouveau spectacle, est ce que l’on sait : Julie Lagarrigue chante Nicolas Jules. Oui, c’est bien ça, Nicolas Jules, la légende vivante (de la chanson que personne n’écoute), qui ne peut « être chanté que par lui-même ». C’est avoir du chien, sans conteste. Des hommages aux chanteurs morts, ça ne manque pas. Aux vivants, c’est plus rare (et souvent, d’ailleurs, à l’article de la mort – ainsi le lit-on avec Hallyday).
Par bonheur, chez Julie Lagarrigue et Nicolas Jules, la rencontre est ailleurs que six pieds sous terre. Elle est déjà : au piano. Ce piano, c’est une certaine intimité, un côté moins flambeur que l’électrique, plus lyrique. Et timide : Julie Lagarrigue nous offre peu ses sourires, se montre derrière une jolie raillerie, bien qu’il nous eût plu de voir l’éclat qui ne l’illuminera (comme l’amour ?) qu’un peu plus tard.
Chansons nous embarquent néanmoins, sans que se dise « celle-là est de Nicolas, celle-ci de Julie » : on devine. Ou non. Lorsqu’on ne devine pas, il y a le voisin la voisine qui fredonne, alors on se dit que. Le lien de l’un à l’autre est tangible, jusqu’au crissement du train que l’artiste s’amuse aux dépens de nos pavillons à insérer à une de ses chansons : les deux – Nicolas, Julie – se rencontrent souvent sur quai de gare. Un continuum qui se poursuit en dehors des rails, dans l’écriture même, où images se font écho sans se dédoubler – « mon cœur est un tambour » du Beau de la forêt (Amours sorcières, 2020) vient réfracter « mon petit tambour sous votre balcon » de Charenton (la nuit était douce comme la queue rousse du diable au sortir du bain, 2013).
On est presque surpris dans ces interprétations de découvrir un Nicolas Jules vachement plus amoureux qu’il n’y paraissait peut-être chez lui (était-ce le mâle, le détachement, l’électrique ? Mystère…) Quoi qu’il en soit le piano, tantôt lié tantôt brusque, éclaire finement les mots du « poète lunaire ».
C’est quoi la powêsie, la poésie ? questionne d’ailleurs tout du long l’artiste, faisant référence à l’album Powête, un des premiers de NJ, très présent ici. Eh bien, c’est peut-être regarder les mains de Julie Lagarrigue, petites cloches souples, sur le clavier. C’est peut-être aussi sentir le frisson venir à la moitié ; à la poignante interprétation des Kilomètres : enfin la voilà qui nous embarque ! Qui nous fait entrer chez elle avec ou sans clé (on les aura données au piano gouailleur de Celui qui n’a rien) !
On s’abandonne de concert. On Rend les armes, ce titre qui donne son nom à l’album, à la beauté liquide : nous voilà « fondu dans la douceur », dans la voix qui contient du Barbara. Ça nous mord à pleines dents : La mer est immense (La mue du serpent blanc, 2022) prend tout l’espace, Ça ne coule pas de source, à la guitare, est éclatant. Elle joue et l’on recueille la joie de jouer. J’mentirais, enfin, coup au cœur aux mots égrenés : « le coton, l’encre, les chansons, mon ventre ».
Ainsi un moment beau. Qui laisse une marque discrète comme celle des dents sur la peau.
-Agnès ANDRÉ
Julie Lagarrigue, croiser les plumes
Par Catherine Laugier,
« Dis, c’est quand, avec ton cheval blanc, que tu m’emmènes ». Julie Lagarrigue nous donne l’ambiance immédiatement : une émotion désarmante, chaleureuse, pour nous parler de sentiments intimes. Amoureuse, prête à rendre les armes, oh comme le duduk d’Edouard Lhoumeau, les percussions de Franck Leymeregie et le pandero et la basse de Thomas Labadens nous fondent dans la douceur, mais une douceur en marche, qui nous percute au plus profond. Julie a réussi son pari, que tout le monde lui prédisait périlleux : faire un double disque en correspondance entre la powesie de Nicolas Jules et la sienne originale, qui ose un romantisme pêchu, un lâcher prise total, treize titres de son cru, où se croisent son portrait de Nicolas Jules, Le garçon (de la lune), et un d’elle-même, de la plume de Nicolas Jules, Telle ou telle : « Entre et tu sauras / Si je suis telle que je crois / Ou telle que tu m’inventes », qu’elle a mise en musique. Cette inflexion sur telle, nous fend le cœur, comme dirait Pagnol. Tout comme la jeune voix qui double La vie qui coûte cher, un texte d’Anna Amourachêne qui nous le confime, « Ce qui vient du cœur [c'est] le plus important ». Julie Lagarrigue invente ici une nouvelle musique, un rock tendre, sombre aussi (cette basse, ce cri sur Peut-être là !), qui a du western (Ça ne coule pas de source), du tango, du Satie en lui, quand les angoisses vous prennent à la gorge : « D’un fond de vase je crie / Je vais me noyer et je crie » (La mer noire). C’est Régis Wattripont qui prête sa plume d’un Pierrot mélancolique et joyeux, pour relancer l’espoir « J’ai repris ma plume au fond du caniveau / J’ai trouvé les rimes, j’ai trouvé les mots » dans un joyeux la la la cuivré de saxo, cornet, flûte, bugle, autant de musiciens qui nous invitent à la joie.
Et les reprises de Nicolas Jules, me direz-vous ? Je dirais que c’est une réussite totale, démentant tous les pronostics. Il serait facile de dire qu’elle révèle la partie féminine de Nicolas Jules, en chantant ses chansons d’une façon moins distanciée, légère et profonde à la fois, seulement accompagnée d’un piano qui a, encore une fois, assez souvent des accents à la Satie, mais aussi de ballades romantiques, ou même presque de ragtime, ce qui renouvelle totalement des chansons qu’on a l’habitude d’entendre accompagnées de guitares ou de basses. Un choix éclectique, de 2004 à 2020. Les lettres d’amour se font pressantes, joyeuses (« Embrasse-moi » dément la timidité des mots qui se bousculent sur le papier bleu ; Grand fou, du premier album officiel de Nicolas Jules – une de mes préférées personnellement – traduit si bien ces déclarations que l’on n’ose jamais envoyer) et répondent, ou précèdent, la déclaration inaboutie de La pie, de l’album de créations personnelles, qui en fait synthèse. Les chiens « gardiens de ton cœur » qu’il aurait mieux valu désapprendre sont à l’inverse d’Igor et Blaise, ces chiens d’un rêve menaçant qui en fait s’avèrent protecteurs. À côté de chansons devenues des incontournables de Nicolas Jules, Des kilomètres, Par le trou des voyelles, Celui qui n’a rien (joli numéro d’ivrogne sur notes dissonantes), Bétonneuse, elle a choisi des chansons qu’on a moins entendues, de plus récentes aussi, mais qu’elle a toutes faites siennes, tout en respectant l’esprit de Nicolas Jules. Et puis, la voix de Julie, velours modulé, inflexions douces, légèreté cristalline, murmures de confidence « je tourne autour d’un ptit soleil ». Un bonheur.
- Catherine LAUGIER
Le site de Julie Lagarrigue, c’est ici. ce que NosEnchanteurs à déjà dit d’elle, c’est là. Au Théâtre de l’Arrache-Cœur, à 12h, jusqu’au 21 juillet, relâche les mardi.
Julie Lagarrigue, Rendu les armes, le double album, Microcultures, autoproduit, 2024
« Rendu les armes », Poitiers 2024
« J’mentirais », Poitiers 2024
« Des kilomètres », Gif sur Yvette 2023 (Nicolas Jules)
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