Sylvain Fesson, poétique et pop éthique
Sylvain Fesson est d’abord un poète. Mais un poète qui s’entoure de musiciens. En 2015 naît un premier album , folk-ambient, avec Arthur Devreux à la composition, Sonique-moi, douze titres urgents, avec cette chanson titre parlée, si battante, insistante « Je ne peux / Que peau être / Sonique-moi », mais beaucoup aussi des ballades progressives, rêveuses, aux textes minimalistes mais essentiels, Le cœur du monde, L’amour plus fort, Violaine ou Les oiseaux, faits pour ouvrir l’imaginaire. Ses racines, Bashung, Murat, Dominique A, Yves Simon… pour les textes, parfois d’une crudité brûlante, ce que ne laisse pas deviner l’appellation « Chocolat Liégeois ». Alors qu’en musique la tentation est plutôt anglosaxonne, Radiohead, Nick Cave, Massive Attack, Bowie, Kate Bush…
Son art est aussi visuel, il aime illustrer ses titres en clips qui sont autant de courts-métrages cinématographiques, qu’il réalise lui-même.
En 2016 sort le diptyque Amy (I) et (II). Dans le (I) la musique baroque se drape de nappes atmosphériques, ambiance hindoue, un son qui fait penser aux vibrations des hangs, méditations sur des notes minimalistes de piano, juste ponctuées d’un souffle de saxo, comme pour nous hypnotiser… Le (II) gagne force et profondeur avec violoncelle, guitares avec la plainte de la guitare électrique de Pierre-Alexandre Voye, et synthétiseurs, pour un message envoûtant. Anathème est balade entre déesses urbaines, symbolisées par la statue de Dalida, sensualité de la terre qui s’érige sur le tour entre les mains féminines des céramistes, chevaux et bovins en rut dans une nature brumeuse… Sortes d’improvisations où vous vous laisserez prendre, à moins que vous ne vous raidissiez en refusant l’emprise de la transe, notamment de celle d’Amy II « J’te préfère morte, Amy Winehouse »… On y discerne l’ambition d’un art total, mêlant poésie, musique et arts plastiques, la construction méthodique d’une œuvre qu’il prend et reprend au gré de l’inspiration.
En 2017 un premier Ep de six chansons revient sur terre avec des titres très charnels, autour de L’amour plus fort. En parallèle de sa version solo plus intimiste, il mène un projet rock, Kistram, de 2021 à 2023, actuellement en stand-by, avec le guitariste Achod Papasian, où il a revisité certains de ses morceaux comme Chocolat Liégeois.
2023 voit en quelque sorte l’aboutissement d’une première phase de son parcours, avec un album de neuf titres, Origami, tous mis en vidéo, pour quarante et une minutes dans lesquelles il faut se laisser transporter. Synthèse de ses mots – reprenant l’alternance de textes très écrits et de vers minimalistes mais puissants - et de cette musique qui vous fait voyager immobile, avec Celinn (Céline Wadier) aux chœurs célestes bien que très incarnés sur plusieurs titres.
À la composition guitare, piano, saxo basse, et à la production musicale, Vivien Pézerat a créé les atmosphères des chansons, les boucles sonores, sur lesquelles Sylvain Fesson pose ses mots, que ce soit d’anciens poèmes retaillés sur mesure, ou de tout nouveaux parfois improvisés. L’album est le résultat d’une longue maturation qui a pris six à sept ans d’allers-retours entre mots et musique.
L’harmonium d’Arno Bisselbach et la guitare d’Elnour Zidour sur la chanson titre, les percussions, les traces de piano et de saxo, créent une harmonie toute orientale en même temps que percutante et contemporaine « Tu étais là, il n’y avait que toi / Ton beau regard de rose épique ».
Parfois, en ouverture, s’évade dans une atmosphère plus urbaine, où sons bruitistes, désaccordés, se tissent aux chœurs aériens, jusqu’à nous désorienter « J’ai l’impression qu’il n’y a plus / Ni haut ni bas / Ni gauche ni droite ». Mais c’est Center Parcs, avec le toulousain d’origine gabonaise Da Nill, ses sons et son ballet hip-hop devant le Monument aux morts des combattants de la Haute-Garonne de Toulouse, sur un texte-haïku, qui résume le mieux nos vies modernes et leur absurdité « Un spectacle et la guerre ».
On retrouve l’Amy qui lui était venue en rêve sept ans plus tôt, repensée en format chanson. Cette fois, samplée, la voix de Winehouse y flotte en guise de refrain, dans une rythmique très entêtante, comme si elle revenait, après avoir vécu cachée, marquée glorieusement par le temps, « Comme un second souffle de l’âme (…) Comme si t’étouffais avant ça / Comme si t’étouffais sans cela ».
Dans l’album se nichent aussi discrètement des chansons d’amour, dont la plus évidente, où l’on rejoint le sacré, est L’amour au soleil et sa « Quadra douce du cercle » aussi imagée qu’explicite, alors que Sentima choisit le minimalisme extrême pour exprimer le doute sur l’avenir. Minimalisme partagé par Sakin, avec la chanteuse et poétesse Lila Lakehal, qui revisite Les oiseaux de l’album Sonique-moi.
Des textes illustrés de délicats dessins d’archives à l’ancienne issus du livre de Jean-Pierre Legoff « Coquillages », ainsi que des fines illustrations orientalistes de Magali Rifflart-Villeneuve, complètent le soin accordé à cet album pensé dans ses moindres détails, une création singulière qui ne sacrifie ni le texte, ni la musique, ni la mise en image, et ne ressemble à aucune autre, rassemblant des artistes passionnés toujours prêts à expérimenter en se renvoyant mutuellement la balle.
Sylvain Fesson, « Origami » 2023, autoproduit. Le site de Sylvain Fesson, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
« Origami »
« Parfois »
« Sentima »
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