Didier Pascalis à propos du recueil de Leprest : « C’est ma façon de réparer une injustice »
Didier Pascalis, le producteur d’Allain Leprest, lui rend hommage en publiant l’intégralité de ses chansons enregistrées. Nous en avons récemment parlé (lire notre article ici) ; rencontre aujourd’hui au micro de Robert Migliorini, pour Nos Enchanteurs.
Avec Allain Leprest c’est une longue histoire qui se poursuit sous diverses formes depuis votre rencontre en 2004 ?
Didier Pascalis : Cette rencontre a changé ma vie et influencé mon métier. A l’époque je le connaissais de nom sans plus. Nous partagions des univers musicaux très différents. Je suivais ma route de compositeur principalement pour des musiques de films. Je venais notamment de monter une collection de livres-disques baptisée Correspondances : j’y faisais lire à des comédiens célèbres des lettres d’amour (Hugo, Napoléon, etc.) entrecoupées de mes compositions pour cordes. C’est alors que mon guitariste Thierry Garcia m’appela pour me dire qu’Allain Leprest se retrouvait sans producteur et qu’il avait un nouvel album prêt. Au cours d’un repas qui a suivi, chez Romain Didier, c’est à l’heure du café qu’Allain Leprest jusque-là silencieux s’adressa à moi : « Monsieur, je vous écoute depuis tout à l’heure. C’est décidé, si vous en êtes d’accord vous serez mon producteur ». Il me demande de le raccompagner chez lui et durant le trajet me fait écouter Pantin Pantine. Je n’avais pas encore saisi l’importance de cette rencontre. C’est lors d’une séance en studio que j’ai ressenti un autre choc fondateur. Depuis, je n’ai cessé d’être médusé, hypnotisé, fasciné par ses chansons. Je l’explique : en l’écoutant toute mon adolescence sauvée par la poésie m’a sauté au visage. Un souffle puissant celui de la poésie pure m’a envahi. J’étais en face d’un artiste absolu, décrivant, comme je l’écris dans la préface du livre qui vient de paraître, son impuissance à vivre ce monde si beau et pourtant envahi de tant de souffrances. Ma vie devait changer et allait changer parce qu’il fallait que le monde sache que ce poète existe.
« Donne-moi de mes nouvelles », l’intégrale des 376 chansons enregistrées qui vient de paraître aux éditions l’Archipel, est une nouvelle étape de l’ami et producteur ?
Il a fallu du temps pour mener à bien ce projet éditorial en collaboration avec Cécile Prévost-Thomas, Céline Pruvost et Pascal Pistone, universitaires spécialisés dans la chanson. Allain Leprest a beaucoup écrit. C’était dans sa nature. Il fallait en attendant de pouvoir réunir un jour tous ses textes partir sur une base évidente validée par lui-même : l’intégrale de ses chansons enregistrées par lui ou par d’autres artistes. Cette étape s’inscrit dans une visée globale : ne pas laisser aborder l’œuvre d’Allain Leprest sous l’angle de celle d’un poète maudit. La caricature à mon sens trop souvent relayée notamment par nombre de médias. Ce qui lui a empêché l’accès au plus grand nombre. La publication de l’intégrale des chansons participe de la sorte de pyramide que je construis pour une œuvre poétique d’une telle force de vie et de survie ! Celle de celui que je considère géniale. C’est ma façon de réparer une injustice.
D’autant qu’il y a encore de nombreux textes à rassembler ?
Ce sera une autre étape. Il y a encore des centaines, voire des milliers de textes à découvrir. Comme je l’ai évoqué, Allain disait que les gens étaient son coffre-fort. Tous les jours, il écrivait quelque chose sur des supports les plus variés. J’ai moi-même beaucoup d’inédits car j’ai récupéré toutes ses notes de travail. Il y a des merveilles absolues.
Vingt ans après votre rencontre les défis à relever pour faire découvrir l’œuvre de Leprest restent nombreux. On a pu parler « du plus grand négligé de la chanson contemporaine » ?
C’est mon combat : il y a eu Victor Hugo, Jacques Prévert. Il faut pouvoir connaître Allain Leprest. C’est encore compliqué. C’est aussi dans ce sens que j’ai monté le spectacle « Leprest symphonique » qui inscrit son répertoire dans un registre universel. Quasi intemporel, celui du classique. Un indicateur me rassure concernant la postérité de l’œuvre : les chansons de Leprest sont souvent reprises par d’autres artistes. On en compte près de deux cents à ce jour. On peut espérer que les nouvelles générations investiront à leur tour ce patrimoine. Leprest anachronique à la fois pour certains et si patrimonial pour beaucoup, c’est le paradoxe. Il aimait bien être reconnu mais le grand succès lui faisait peur me semble-t-il. Sans sous-estimer ses tourments. Je me dis que j’aurais aimé le rencontrer plus tôt !
Allain Leprest, Donne-moi de mes nouvelles, L’Archipel 2024, 612 pages, 28 euros. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Leprest, c’est là.
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