Claudine Lebègue, cette chanson qui t’embrasse
27 avril 2024, festival Chants ouverts, Saint-Vincent-de-Durfort,
C’est peu dire qu’elle ne hante pas particu- lièrement les program- mations. Tant que parfois on peut l’oublier, l’ignorer. Mais dès qu’elle entre en scène, même si on ne connaissait pas son nom l’instant d’avant, elle entre violemment dans nos cœurs, et bouscule, chavire tout, ravivant ce qui est enfoui. Par des anecdotes pas farouches, elle réveille des choses en nous. Elle, c’est Claudine Lebègue, « née le 26 juin 1956 » et « faite maison, sur le boulevard des inutiles ». Elle nous raconte sa vie, un rien décalée, touchante. Elle s’autobio.
Et d’emblée, tutoie le public, en fait son complice, suscitant en nous d’émouvants souvenirs, du vécu, ou non, du commun, du banal. Avec des mots qui sont les siens, et forcément un peu des nôtres, quelles que soient nos origines. Des mots d’amour, parfois : « En s’embrassant, on s’est compris. C’est dans les baisers qu’on chope la langue ». Des mots d’amitié, surtout. De solidarité.
Du plus loin qu’elle se souvient, tout est sensible, même les pellicules de son paternel photographe, tant que Claudine était AsaDine. Sensible sa zone, aussi, cette ville nouvelle tout en béton, laboratoire d’un étonnant vivre ensemble. Elle en a gardé l’enthousiasme. Et la patate.
Son poste de radio restitue les sons de l’époque. Et les airs du temps, Cloclo s’il avait un marteau, et les autres. Elle parle, elle chante, elle enchante. Elle vise et toujours fait mouche.
Son tour de chant tient tant de l’effraction, du recel et, disons-le tout net, du vol. De l’effraction, oui : elle entre en nous, bouleverse tout, met notre cœur en vrac. Et, en collectionneuse, devient gardienne de bribes de nos vies, la receleuse.
Lebègue est roublarde et voleuse. Au prétexte d’échange de souvenirs, tous nimbés d’émotion, elle troque les siens contre les vôtres : des bouchons et des tickets de métro usagés contre vos bijoux, si possible cette bague en or madame. Qui plus est devant tout le monde, masquée dans le feu de son propos : ni vu ni connu j’t’embrouille, un peu comme au mont de piété. Elle rend à la fin, mais j’ai pas vu.
Ce qu’elle vient de nous présenter est presque compile de ses précédents disques et spectacles. Même Rose et Roger, son tube d’il y a longtemps, y retrouve place. Compile d’enfance, pile et face, le drôle et cocasse comme ce qui l’est moins. Sa vie n’est pas forcément notre histoire mais, par elle, ça le devient. Ses paroles désinhibent, elle lève, soulève l’émotion. Tout nous revient. Elle, c’est dans le béton qui poussait comme herbe folle dans sa banlieue. Son art est comme les négatifs du paternel, pour le coup embobinés dans le soufflet de son accordéon : il garde les fidèles traces dans toute la gamme chromatique, même dans celle de gris. Du plan serré au panoramique, la vie va dans ses p’tites histoires, dans ses p’tites chansons, qui toutes doivent valoir ces verres qui nous requinquent au café du coin, ces recettes partagées avec les voisins venus d’un peu partout, et cette évidente entraide. Qui jadis furent un mode de vie et le sont de moins en moins. Lebègue nous chante l’enthousiasme d’un paradis perdu, d’un éden sublimé que le prétendu progrès, l’absolue modernité et les avancées technologiques ont petit à petit anéanti. Avant que le vivre ensemble ne se mue en peurs.
Si seulement son chant pouvait réenchanter le monde…
Le site de Claudine Lebègue, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
Enfin une critique à la hauteur du talent de Claudine Lebègue, bravo Michel, et merci Claudine !