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Bertrand Betsch, accalmie après la tempête

Bertrand Betsch Photo ©Bastien Carayol

Bertrand Betsch Photo ©Bastien Carayol

Il y a eu le message terrifiant J’ai horreur de l’amour, album de 2022, un album plein de rancœur, presque de haine, qui vous laisse KO allongé(e), commence caché dans une douce mélodie dont on ne perçoit le pessimisme qu’en prêtant bien l’oreille : « Toi que je n’ai jamais aimée (…) aucun désir (…) à qui je n’ai jamais donné / que le fruit de mon amertume (…) Toi l’avenir va je t’oublie / Toi le présent je t’injurie (…) Au fond je l’ai toujours su / L’amour est un pari perdu ». Sombre ? Vous n’aviez rien encore entendu.
BETSCH Bertrand 2022 J'ai horreur de l'amour avril 500x500Au fur et à mesure le ton monte en même temps que la musique se fait de plus en plus dissonante, trompant l’ennemi avec des ballades symphoniques
« Les cachets avalés / Les bébés qu’on fait passer (…) Tout doit disparaître / J’ai en moi cette colère / Et la soif de déplaire… », battant l’autodérision jusqu’au pire « Une anguille sous la roche / Mais rien dans la caboche (…) ça se taille l’aorte », culminant dans Détruire dit-elle « À SOS amitié ils m’ont envoyé chier (…) Fais-moi du sale (…) L’amour est une friction / L’amour est une fiction ». L’amour est une guerre, La der des ders, et le piano joli est chargé de menace « Je connais ton adresse (…) Reste bien sur tes gardes (…) Aimer c’est voler (…) Aimer ultraviolet ». On est achevé par cette Deadline où il parle à la mort comme une amante.
Frappés comme par un coup bas après
La vie apprivoisée, Tout doux, La Traversée. C’est qu’on avait oublié les coups de poignard de son premier album La soupe à la grimace cachés sous la voix vénéneuse et douce, la désespérance du genre humain de Des gens attendent, repris en filigrane dans ses Chroniques terriennes, morceau fleuve de 28 minutes. Ou la déclinaison de la mort de ses deux albums Demande à la poussière et Orange amère.

BETSCH Bertrand 2022 Juke box Babe vol 500x500BETSCH Bertrand 2022 Souvenirs du Mali 500x500C’est que malgré un physique plutôt calme (éviter quand même le regard inquiet, parfois même inquiétant) et la voix douce, légèrement voilée, enveloppante, Bertrand Betsch semble toujours se débattre contre des vieux démons. Parfois la noirceur domine, parfois la sérénité, l’acceptation de la vie, l’espoir que fait naître la beauté que l’on traque partout. D’ailleurs, dans les deux cas, cette beauté vous transperce, beauté des phrases dont les mots choisis, d’une grande justesse ouvrent la voie, creusent les sentiments, stimulent l’imaginaire. Beauté des arrangement musicaux qui ne refusent ni la modernité (ses programmations) ni le classicisme (cordes et pianos), parfois nus, le plus souvent riches, encadrant les mélodies qui vous bercent.
Toujours là où l’on ne l’attend pas, Bertrand Betsch s’est même payé le luxe d’un album entièrement instrumental,
Souvenirs du Mali, 28 petits morceaux captivants, et d’un album de reprises, Juke Box Babe Vol.1, en 2022 où il reprend Brel, Barbara, Souchon, Bashung (Angora, Happe), Thiéfaine (Magistrale La Dèche, le twist et le reste), Murat (la si peu entendue Prière pour M « Dieu de la mélancolie.. »), Manset… quelques anglo-saxons, et même 3 minutes sur mer (Valayé /Cajal) avec la rare Fallait que ça passe. Un choix judicieux au milieu de titres plus connus, deux sur l’enfance (Allo Maman Bobo, L’enfance) et d’autres raretés.

BETSCH Bertrand 2024 Kit de survie en milieu hostile 500x500Et déjà, un album en 2024 pour balancer celui de 2022. Le titre nous donne une ouverture : Kit de survie en milieu hostile. Qu’il nous parle de la situation du monde ou de préoccupations plus intimes, on va se l’approprier, ce kit : c’est exactement ce dont nous avons besoin en ce moment. Couverture en noir et blanc, avec une vague étrange qui ressemble un peu à une tête et un corps de cheval galopant dans les flots, poursuivi par une nuée d’oiseaux. Ou d’insectes, ou de particules nocives. Des portions de photos se déclinent à l’intérieur avec des carrés d’un bleu doux, céruléen. Comme l’eau de ces Grands voyages, « À la brasse, à la nage », pour se « délester de tout ce lourd passé ». Car il va falloir faire avec « Le temps ce sournois guet-apens », qui fauche à Apollinaire son refrain entêtant, le balançant sur une ritournelle presque dansante, « Jamais les amours ne reviennent / Les jours s’en vont rien ne demeure / Vienne la nuit et sonne l’heure », jouant de nos maux, de nos mots, amour-propre, amour sale. Ce temps qui a pris nos amis aussi, « Et toi que deviens-tu », comme une réponse à Manset, un de ses maîtres… chanteurs. Qui a pesé sur les épaules de cette femme, belle de son automne, mais qui n’ose plus déposer le poids de ses souvenirs. Une chanson tendre à laquelle on ne croyait plus de la part de Bertrand Betsch, pas très souvent indulgent envers les femmes, et qui là prend la suite d’un Brassens et son Saturne, d’un Moustaki avec Sarah. « Je déposerais bien sous sa chemise / Des baisers doux comme une incise / Sur elle je prendrais la main mise / Mais elle porte des valises ».
Les musiques sont douces, encore plus dans la plus incisive des chansons de l’album,
J’irai pleurer sur vos tombes, pas une promesse de souvenir ému, non, plutôt une menace : aux riches égoïstes et méprisants, vous n’emporterez rien sous vos sépultures. Une langue sans faux semblant : « Vous que jamais ne tracasse / Le sort des laborieuses classes (…) Vous qui battez pavillon / À l’hôtel du grand capital / Vous qui êtes à votre façon / La banalité du mal ». Chanson politique assez rare dans son répertoire.
Même s’il fait un bilan mélancolique de sa vie,
Nous n’avons fait que fuir, comptant reculades et dérobades, listant échecs comme souvenirs, J’y pense et puis j’oublie, la consigne est de rester vivant, Danse sous avalanche, chanson ancienne qui s’insère parfaitement dans le message de ce nouvel album. Rejoignant la philosophie nietzschéenne de cet Amor fati, troisième du nom en chanson française après Jamait et Cantat et certainement pas la dernière : « Va où le vent se jette / Embrasse la tempête ».
Finalement nous trouverons notre consolation dans la beauté mélancolique de cette poésie sagace, qui nous interpelle, malgré tous les aléas de la vie, (C’est la soupe à la grimace, autocitation de son premier album de 1997) : « Il faut saisir sa chance / Et aller vers la joie ».

 

 

Bertrand Betsch, Kit de survie en milieu hostile, Microcultures / La Centrifugeuse 2024. La page facebook de Bertrand Betsch, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. En concert le 19 avril à Limoges et le 20 avtil à Pinsaguel. 

« Les grands voyages », clip 2024 Image de prévisualisation YouTube
« 
Vienne la nuit et sonne l’heure », clip 2024 Image de prévisualisation YouTube

 

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